20 mai 2009
Arrestation, dans le golfe d'Aden, de pirates présumés par des commandos de la frégate française " Floréal ". CHAMUSSY/SIPA
Emprisonné aux Pays-Bas, il sera bientôt jugé à Rotterdam avec ses quatre complices.
Il y a deux sortes de pirates pour Osman M.F. : " Les professionnels et ceux qui les aident pour un peu d'argent ", explique ce Somalien âgé de 30 ans à la police néerlandaise. Il existe aussi, aurait-il pu ajouter, une troisième catégorie, la sienne, celles des apprentis pirates malchanceux. L'horizon d'Osman M.F. s'arrête désormais aux miradors de Krimpen, une prison des Pays-Bas. Il sera bientôt jugé par une cour de Rotterdam aux côtés de quatre autres pirates. Loin, très loin de Ras Assair, " le point le plus au nord de la Somalie ", d'où, pour la dernière fois, il a largué les amarres le 1er janvier.
Son aventure avait commencé au village de Bulo Hayo, près de Kismayo (Sud). Avec d'autres hommes, il achète l'équipement du parfait pirate : une embarcation et des armes. " Il y a une organisation qui donne gratuitement des bateaux aux gens. Je crois que ça s'appelle l'Unicef. Nous avons acheté 800 dollars un bateau à des gens qui l'avaient reçu de l'Unicef ", dit-il.
A bord, les hommes embarquent un AK47, un fusil d'assaut HKG3, un fusil automatique léger (FAL) et un lance-roquettes acquis " sur le marché pour 1 300 dollars ". " Sayyed a reçu de l'argent de son père, qui avait de la terre. Moi aussi, j'ai vendu de la terre. " Lestés de 300 litres d'essence, de biscuits, de cigarettes, " de 20 litres d'eau et de quelques dattes ", les cinq pirates mettent le cap au nord-est.
Direction le Yémen, " en nous orientant avec les étoiles, car nous sommes des nomades ". " Sur la radio BBC en somali, nous avons entendu qu'il fallait naviguer en direction du Yémen et que nous aurions de fortes chances de rencontrer des bateaux. " A bord, " Sayyed barrait le bateau et nous tenions les armes à tour de rôle ".
Quatorze jours plus tard, l'équipée tombe sur le Samanyulo, cargo battant pavillon des Antilles néerlandaises, conduit par un équipage turc. Et l'attaque tourne mal. Osman M.F. raconte sa version des faits. Accusé d'avoir conduit l'attaque, il affirme, dans le procès-verbal de son audition, avoir agi en état de légitime défense... A court de nourriture et poussé par un moteur toussotant, les pirates sont accueillis par l'équipage du Samanyulo à coups de cocktails Molotov. Touchée, l'embarcation rejoint les fortunes de mer.
Les cinq hommes sont repêchés peu après, à 160 milles (296 km) au nord-est des côtes somaliennes, par l'Absalon, une frégate de la marine danoise appartenant à la CFT 150, une coalition de lutte contre le terrorisme en mer, qui, croisant dans les environs, avait répondu à l'appel de détresse du Samanyulo.
A la demande de La Haye, les cinq hommes sont envoyés aux Pays-Bas pour y être jugés. Si l'expédition n'avait pas échoué, Osman M.F. aurait conduit les " négociations ". " Je devais aller à bord du navire et m'occuper des contacts entre les otages et notre groupe. " Osman, illettré et ne parlant que somali - " Je peux poser des questions en faisant des gestes " -, avait embarqué un " traducteur ".
" JE NE SUIS PAS UN CRIMINEL "
Face à la justice néerlandaise, il reconnaît en partie ses torts. " Je sais que - la piraterie - est criminelle, mais quand on a faim, pas de travail et qu'il y a une guerre depuis très longtemps dans le pays, alors tu cours le risque ", se justifie-t-il. Puis il avance un argument bien fragile : " L'attaque sur le navire s'est faite à partir du territoire somalien, il n'y a pas de loi en Somalie, je ne suis donc pas un criminel. " Ni loi " ni police ", précise-t-il.Mais ce qui est vrai en Somalie ne l'est pas ailleurs. D'autant que la communauté internationale a commencé à réagir face à la multiplication des actes de pirateries (plus d'une centaine d'attaques enregistrées depuis janvier dans le golfe d'Aden, selon l'Organisation maritime internationale). En 2008, les Nations unies ont obtenu de Mogadiscio l'autorisation de réprimer la piraterie dans les eaux territoriales somaliennes.
Loin de ces finesses juridiques, Osman a d'autres préoccupations. Il s'inquiète pour sa femme et son fils de 6 ans, dont il reçoit des nouvelles par l'intermédiaire d'une organisation de la diaspora somalienne aux Pays-Bas. " Si l'épicier n'est pas payé, ma femme n'aura rien à manger ", se plaint-il.
Avant la piraterie, Osman était pêcheur. " Si les compagnies de pêche occidentales n'avaient pas massivement pillé les fonds marins, il ne serait pas devenu pirate ", défend son avocat, Haroon Raza. Depuis Kismayo, Osman embarquait " sur les bateaux des autres ", et la plupart du temps, " recevait sa part de la recette ". Cent cinquante dollars par an, " c'est très peu pour la Somalie ", commente-t-il.
En 2008, la piraterie a rapporté des dizaines de millions de dollars aux pirates somaliens. Osman résume sa conversion en quelques mots : " Je suis pêcheur... Enfin, plus maintenant. La mer est vide. "
Stéphanie Maupas
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