30/12/2011

Le réchauffement, cause croissante de migrations



30 décembre 2011


Familles en provenance du Bhoutan, réfugiées " climatiques " au camp de Timai, dans l'est du Népal, le 13 octobre.

Les migrations liées à une cause environnementale ne sont plus un phénomène à venir, mais déjà une réalité : elles sont devenues plus importantes que les migrations liées aux conflits, indique Shahidul Haque, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le premier " Etat de la migration environnementale 2010 " (State of Environmental Migration 2010) que vient de publier cette organisation avec l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
Si, en 2008, on comptait 4,6 millions de personnes déplacées dans leur pays du fait d'un conflit violent, il y en avait 20 millions qui avaient dû quitter leur lieu de résidence à la suite d'une catastrophe naturelle. Les " migrants environnementaux " ont été 15 millions en 2009, 38 millions en 2010. " L'année 2011 devrait voir un chiffre de même ampleur, explique François Gemenne, chercheur à l'IDDRI et coordonnateur de l'ouvrage. Le tsunami et l'accident de Fukushima, les inondations en Thaïlande, en Chine et aux Philippines ont provoqué des déplacements massifs. "
Le rapport rassemble une série d'études de cas qui montrent la diversité des situations et la complexité du phénomène. Réalisées par des étudiants de Sciences Po-Paris sous la supervision de spécialistes, elles analysent précisément la gestion des crises qui se sont produites en 2010 au Pakistan (inondations), en Russie (feux de forêts), en Haïti ou au Chili (séismes), en France (tempête Xinthia).
Mais l'un des principaux apports de la recherche est de montrer que des événements soudains et brutaux ne sont pas seuls à provoquer ce type de migrations. Une dégradation lente de l'environnement peut aussi conduire à des déplacements involontaires. Par exemple, la fonte des glaciers himalayens au Népal se traduit à la longue par des inondations dues au déversement des excédents des lacs glaciaires.
Des sécheresses durables peuvent aussi induire des migrations sur la longue durée, comme au Darfour (Soudan) ou dans le Nordeste brésilien. Le cas de l'Amazonie brésilienne est un autre exemple : la déforestation entraîne une occupation des terres puis, rapidement, les sols ainsi mis à nu s'épuisant, les populations finissent par migrer.
D'autres caractères des migrations environnementales apparaissent nettement. D'une part, la très grande majorité des cas analysés sont des migrations internes aux pays, sans franchissement de frontières. Les pays sont seuls face au problème qu'ils endurent, alors que, lorsque celui-ci découle du changement climatique, ils n'en sont souvent pas responsables.
D'autre part, les migrants environnementaux subissent leur situation et aspirent fortement à revenir chez eux - à la différence des migrations économiques, où l'on espère trouver ailleurs un meilleur sort que chez soi.
Un troisième élément original de l'étude est de montrer, à travers le cas français de la tempête Xinthia, que les pays du Sud ne sont pas seuls à être confrontés au phénomène de la migration environnementale. Plusieurs milliers de personnes durent aller vivre ailleurs, soit du fait de la tempête elle-même, soit en raison de la décision prise par la suite d'évacuer les habitations situées en zone vulnérable. La tempête " a montré des failles significatives dans le système français de contrôle des inondations et de protection des populations sur les zones côtières ", observe sobrement le rapport.
De fait, le cas français - comme les autres - souligne l'importance des politiques publiques adoptées : un leitmotiv du rapport est d'indiquer que les conséquences des catastrophes naturelles sont tout aussi liées à la préparation et à la gestion des pouvoirs publics qu'à l'ampleur même de l'événement.
Les migrations environnementales commencent à pénétrer l'agenda international. Il est certain qu'elles vont s'amplifier : la base de données EM-DAT, gérée par le Centre de recherche sur l'épidémiologie des désastres (CRED), à l'Université catholique de Louvain, montre une augmentation constante du nombre de désastres depuis 1970. Par ailleurs, les événements météorologiques extrêmes devraient se multiplier, selon le résumé du rapport spécial publié en novembre par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Le droit international reste à construire. La convention de Genève sur les réfugiés (1951) n'est pas adaptée à la migration environnementale, notamment parce qu'elle implique rarement un franchissement de frontières.
Le problème consiste à trouver chez les pays responsables du changement climatique les fonds pour aider les pays qui en sont le plus victimes à y faire face. La décision de la conférence des Nations unies sur le climat à Cancun, en décembre 2010, a ouvert la voie : son article 14-F cite les migrations et déplacements liés au changement climatique parmi les mesures qui pourraient être financées par le " Fonds vert ". Ce fonds est pour l'instant une coquille vide. Les pays riches ont promis de le doter de 100 milliards de dollars (77,3 milliards d'euros) par an à partir de 2020.
Mais, selon François Gemenne, il faut voir encore plus loin : " Il faut déjà réfléchir à un scénario de fort réchauffement, qui impliquerait une nouvelle distribution des populations à la surface du globe. Certaines zones ne seront plus vivables, et leurs habitants devront migrer. Il vaudrait mieux y penser aujourd'hui, plutôt qu'avoir à décider dans l'urgence. "
Hervé Kempf
© Le Monde
 
Les sécheresses derrière la crise du Darfour
Le Darfour, au Soudan, illustre bien les processus lents de dégradation environnementale éclatant en crise soudaine. A partir des années 1980, les sécheresses ont déstabilisé l'équilibre entre des populations nomades au Nord et des agriculteurs sédentaires au Sud. Les migrations ont commencé à se produire du Nord vers le Sud alors que celui-ci était lui-même affaibli par la baisse des pluies. Les migrants furent la cible de violences. Dans la guerre civile des années 2000, 300 000 personnes furent tuées.
Cette cause environnementale a été ignorée dans la gestion du conflit.
 

08/12/2011

Sahel : quatre mois pour éviter la crise alimentaire

 
9 décembre 2011
                  
         De la Mauritanie au Tchad, les récoltes et les troupeaux souffrent du déficit 
         pluviométrique de 2011




Les cartes, établies grâce à des relevés satellitaires et présentées, jeudi 8 décembre, par Action contre la faim (ACF), parlent d'elles-mêmes. Octobre 2004 : une bande ocre traverse l'Afrique d'ouest en est. Elle indique le déficit de végétation et annonce la terrible crise alimentaire qui frappera le Sahel, et notamment le Niger, quelques mois plus tard. Octobre 2010 : le vert a remplacé l'ocre. Les pluies, abondantes jusqu'à provoquer des inondations, ont favorisé la végétation et soulagé agriculteurs et éleveurs. Octobre 2011 : l'ocre est de nouveau de rigueur, de façon moins prononcée, toutefois, que sept années plus tôt.
La situation est assez grave, cependant, pour que le gouvernement nigérien et le Programme alimentaire mondial (PAM) aient tiré la sonnette d'alarme, fin octobre, annonçant un déficit céréalier de 500 000 tonnes pour la récolte en cours. Fin novembre, l'organisation non gouvernementale Wetlands International s'inquiétait de la " sécheresse extrême " dans la région du delta intérieur du fleuve Niger, au Mali. Pour ACF, c'est toute la bande sahélienne, de la Mauritanie au Tchad, qui est menacée d'une crise alimentaire en 2012, conséquence du déficit pluviométrique enregistré en 2011.
Selon le PAM, qui signale, de plus, des attaques d'insectes sur les céréales, les récoltes pourraient être inexistantes dans certaines zones du centre et de l'ouest du Niger. " Et le bétail meurt par centaines en Mauritanie, où le nombre de personnes confrontées à l'insécurité alimentaire est déjà passé d'un demi-million à 700 000 ", note Gaëlle Sévenier, porte-parole de l'agence onusienne.
" Les pays où la situation est la plus inquiétante sont la Mauritanie et le Tchad, estime Patricia Hoorelbeke, représentante d'ACF en Afrique de l'Ouest. La première parce qu'elle est particulièrement impactée cette année, alors qu'elle subit généralement moins que d'autres ces problèmes de pluviométrie et de production. Le second car la situation structurelle y est très dégradée : le niveau des soins et des programmes de développement y est extrêmement faible. "
Les effets de la crise alimentaire pourraient se manifester à partir de mars ou d'avril 2012, quand les foyers auront consommé leurs réserves et que se posera la question de la disponibilité et du prix des denrées alimentaires sur les marchés locaux. " En raison de la récurrence croissante des sécheresses dans le Sahel (...), les familles vulnérables n'ont pu reconstituer ni leurs stocks alimentaires ni leur cheptel ", s'inquiète le PAM.
" La fréquence des accidents climatiques et des crises alimentaires dans le Sahel s'est accélérée depuis le milieu des années 1990, analyse François Grünewald, directeur scientifique du groupe Urgence-réhabilitation-développement (URD). Dès lors, la fragilité du système ne cesse de s'accroître. "
S'ils ont baissé en 2011, les taux de malnutrition grave chez les enfants de moins de 5 ans restent élevés : en juin, ce taux était encore de 14,8 % dans la région de Tillabéry, au Niger, alors que le seuil d'urgence se situe à 15 %.
Si l'importance de la crise alimentaire à venir reste difficile à évaluer, notamment parce que la situation peut varier considérablement d'une région à l'autre, son caractère inéluctable rend nécessaire la mise en place rapide de réponses pour en atténuer l'impact. Parmi celles-ci, l'intensification des programmes visant à fournir aux familles vulnérables de l'argent ou des produits alimentaires en échange d'une participation à des travaux communautaires, ou la distribution d'aides financières à des populations ciblées (femmes soutiens de famille, par exemple).
Le PAM estime avoir besoin d'une assistance supplémentaire de 45 millions d'euros pour renforcer ses programmes de nutrition auprès des populations les plus vulnérables au Niger : enfants de moins de 2 ans, femmes enceintes ou allaitantes. " Certains bailleurs de fonds commencent à se mobiliser, mais cela reste très timide, constate Patricia Hoorelbeke, d'ACF. Mais si l'on attend six mois pour réagir, le coût sera de deux à trois plus élevé, tout comme l'impact sur le développement humain dans les pays concernés. "
Le contexte régional accroît la vulnérabilité des populations. Les crises libyenne et ivoirienne ont ainsi provoqué le retour au Niger de 200 000 travailleurs migrants dont les envois d'argent faisaient vivre leurs familles. Par ailleurs, l'aide d'urgence vers le Tchad est censée transiter par la Libye, ce qui ne sera probablement pas possible dans les mois à venir.
Enfin, le poids du Nigeria dans les échanges commerciaux régionaux est souvent un facteur d'aggravation des crises : les commerçants nigérians achètent les céréales dans les pays sahéliens à bas prix, au moment des récoltes, pour les revendre lorsque les cours sont au plus haut, en période de pénurie... quand ils ne les réservent pas au marché national.
Face à ces comportements spéculatifs, les stocks de sécurité constitués par les Etats du Sahel en argent ou en céréales ne pèsent pas bien lourd. " Après avoir cassé les organismes qui géraient les stocks d'urgence, relève François Grünewald, on s'aperçoit aujourd'hui qu'on aurait bien besoin d'instruments de régulation. "
Gilles van Kote
© Le Monde