26/05/2011

A la conquête du marché africain, l'Inde n'use pas des mêmes méthodes que la Chine

    
27 mai 2011

 Le premier ministre indien Manmohan Singh, lundi 23 mai, lors de son arrivée à Addis-Abeba, la capitale de l'Ethiopie, où se tient le deuxième sommet Inde-Afrique.
New Delhi Correspondance
Le pays mise sur la formation, le développement agricole et le transfert de compétences

Malgré l'océan qui les sépare, l'Inde redécouvre en Afrique un continent voisin que les intérêts commerciaux et diplomatiques ne cessent de rapprocher. Réunis mardi 24 et mercredi 25 mai à Addis-Abeba, en Ethiopie, seize chefs d'Etat ont réaffirmé leur engagement à poursuivre un partenariat économique entamé lors du premier sommet Inde-Afrique organisé en 2008 à New Delhi.
Après avoir abaissé ses tarifs douaniers à destination des dix-neuf pays africains les moins développés, l'Inde a annoncé, mardi, 3,5 milliards d'euros de prêts au continent ces trois prochaines années. Ce partenariat illustre une tendance de fond : la part de l'Inde dans le commerce extérieur africain ne cesse de s'accroître, au détriment de l'Europe et des Etats-Unis.
Leurs échanges commerciaux ont quintuplé en six ans, passant de 9,6 milliards de dollars en 2004 à 45 milliards de dollars (32 milliards d'euros) en 2010. Ils devraient même atteindre 70 milliards d'ici à 2015, selon le ministre indien du commerce, Anand Sharma. " L'Afrique est en train d'émerger comme un nouveau pôle de croissance mondial ", a déclaré le premier ministre indien, Manmohan Singh. New Delhi propose à l'Afrique un partenariat fondé sur l'" égalité ", la " confiance mutuelle " et une " approche transparente de concertation ". Des mots choisis avec soin qui visent, en creux, l'arrogance d'autres puissances vis-à-vis des pays africains.
L'Inde met justement en avant ses intérêts communs avec l'Afrique. Les producteurs de coton d'Inde, du Mali, du Bénin ou du Tchad, par exemple, souffrent des subventions des Etats-Unis à leurs producteurs. New Delhi, qui avait autrefois appelé les pays africains à rejoindre le mouvement des non-alignés, les appelle désormais à réformer la gouvernance d'un système mondial laissant encore peu de place aux pays du Sud.
A l'issue du sommet, les chefs d'Etat indien et africains ont signé la déclaration d'Addis-Abeba, qui appelle à une réforme des Nations unies. " L'Inde aspire à occuper un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Et je crois qu'elle pourra compter sur le soutien de l'Afrique ", a déclaré Obiang Nguema, le président de l'Union africaine.
Dans sa conquête de l'Afrique, l'Inde doit affronter la concurrence d'une Chine déjà bien implantée, notamment dans le secteur des infrastructures. Les échanges commerciaux sino-africains se sont élevés à 89 milliards d'euros en 2010, presque trois fois les échanges entre l'Afrique et l'Inde.
New Delhi cherche à se différencier de son concurrent asiatique en privilégiant une approche de coopération, que résume ainsi un diplomate indien : " Lorsqu'un homme a faim, il vaut mieux lui apprendre à pêcher que lui donner du poisson ; l'Inde préfère lui apprendre à pêcher. " Certes, les entreprises du sous-continent ne construisent pas de stades comme la Chine, mais elles misent sur la formation, le développement agricole et le transfert de compétences et de technologies. Quelque 700 millions de dollars ont été promis pour établir de nouvelles institutions sur le continent, comme un Institut des technologies de l'information au Ghana ou un Institut de polissage du diamant au Botswana. Depuis l'Inde, des professeurs forment déjà des étudiants africains grâce aux communications par satellite.
Large diaspora
Contrairement à la Chine, l'Inde bénéficie aussi d'une large diaspora sur ce continent, notamment en Afrique du Sud, où Gandhi séjourna plus de vingt ans, et dans les pays de la côte est. Il y a plus de 2 000 ans, les marchands indiens du Gujarat faisaient route vers l'Afrique pour échanger du coton contre des pierres de Topaze ou de l'argent. Ce sont désormais l'or, l'uranium, le charbon, les diamants et le pétrole qui intéressent l'Inde.
Les diamants d'Afrique du Sud servent son industrie de polissage de pierres précieuses, la première au monde, et le pétrole alimente la croissance de son économie. L'Inde doit importer 70 % de ses besoins en énergie et s'approvisionner en uranium pour réussir son ambitieux programme électronucléaire.
C'est aussi le marché africain, qui a connu une croissance moyenne de 5 % en 2010, que lorgne l'Inde. M. Singh était accompagné d'une impressionnante délégation d'hommes d'affaires. Ce marché est perçu comme un prolongement naturel du marché intérieur indien grâce à des caractéristiques similaires : la stratégie du bas de la pyramide, consistant à développer des produits et des services à bas coût en grandes quantités, a déjà été éprouvée en Inde.
Les entreprises indiennes veulent répliquer cette stratégie en Afrique. Le constructeur automobile Bajaj exporte déjà 1,2 million de véhicules légers par an en Afrique, et Tata espère bientôt y vendre sa Nano, la voiture la moins chère au monde. Le géant indien des télécommunications, Airtel, a racheté, en 2008, l'opérateur koweïtien Zain présent dans seize pays africains, pour 7,8 milliards d'euros. Enfin, l'Inde est devenue la pharmacie de l'Afrique grâce à ses médicaments génériques.
Julien Bouissou
© Le Monde

24/05/2011

Un partenariat pour assurer aux Africains un accès à l'électricité


23 avril 2011
70 pays ont lancé une initiative pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables

Apporter l'électricité à l'Afrique grâce aux énergies renouvelables : c'est l'ambition du partenariat lancé à Paris, jeudi 21 avril, par les représentants de 70 pays, à l'instigation de la France et du Kenya. L'accouchement a été long : cette " initiative Paris-Nairobi " a été mise en chantier en 2009 par l'ex-ministre de l'écologie, Jean-Louis Borloo, et le premier ministre kényan, Raila Odinga. Elle a pour intérêt de lier trois thèmes étonnamment cloisonnés dans les institutions internationales : l'énergie, le développement et le climat.
Malgré l'énorme potentiel hydraulique, solaire et éolien du continent, 70 % des Africains n'ont pas accès à l'électricité. Ce sont les plus pauvres qui paient l'électricité la plus chère, la moins efficace et le plus polluante. Sur la base d'un Livre blanc adopté jeudi, les partenaires veulent briser le " cercle vicieux " qui freine les investissements dans les énergies propres, avec l'objectif de généraliser l'accès à l'électricité d'ici à 2030.
" C'est le serpent qui se mord la queue, estime la ministre française de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet. On n'a pas de projets parce qu'il n'y a pas de financements et les financements sont refusés faute de projets de qualité. " Un groupe pilote doit travailler, pendant un an, à rendre les projets d'énergie " verte " attrayants pour les investisseurs. Avec une priorité : renforcer les capacités des administrations et définir des modèles de gouvernance politique. " Nous devons mettre en place un cadre réglementaire et législatif qui sécurise la production et les prix, rassure les investisseurs, protège les consommateurs ", liste Elham Ibrahim, commissaire à l'énergie et aux infrastructures de l'Union africaine.
Pour M. Odinga comme pour beaucoup d'Africains, le " manque de capacités " du continent à monter de bons projets est un " prétexte commode " : " La vérité, c'est que les pays riches n'ont jamais rempli leurs engagements en matière d'aide publique au développement, comme ils ne versent pas les sommes promises pour lutter contre le réchauffement ", dénonce le premier ministre du Kenya.
C'est bien là l'un des objectifs de cette initiative : " Mener un lobbying pour que les outils de la lutte contre le changement climatique fassent droit aux besoins énergétiques de l'Afrique ", revendique Mme Kosciusko-Morizet. L'Afrique a reçu à peine 2 % de la manne du mécanisme de développement propre créé par le protocole de Kyoto. Le continent ne veut pas voir lui échapper les fonds promis par les pays du Nord lors de la conférence de Copenhague sur le climat, en 2009 : 30 milliards d'euros d'ici à 2012, puis 100 milliards d'euros annuels pour le fonds vert.
Sceptique Les besoins sont énormes. 1,5 milliard de personnes sur la planète vivent sans électricité. Pour corriger cet état de fait d'ici à 2030, il faudrait investir dès maintenant 40 milliards de dollars (27 milliards d'euros) par an. Où les trouver ? La France défend une taxe sur les transactions financières, le recours au secteur privé, aux banques commerciales. L'Afrique est sceptique, attachée à l'aide publique. " Le bilan de la privatisation du secteur de l'énergie, imposée par les institutions internationales, est plus que mitigé, et c'est de l'argent bon marché dont nous avons besoin ", plaide le ministre de l'énergie du Gabon, Régis Immongault.
Si les énergies renouvelables ne dépassent pas le stade du projet pilote en Afrique, " c'est aussi parce que c'est le continent qui distribue le plus de subventions aux énergies fossiles ", nuance Monique Barbut, présidente du Fonds pour l'environnement mondial. Le défi est d'autant plus grand qu'il s'agit de financer de grandes infrastructures et une myriade de petits projets villageois, dont l'échelle modeste rebute les bailleurs traditionnels. 85 % des Africains sans électricité habitent en zone rurale, et 225 millions d'entre eux vivent avec moins de 1 dollar par jour.
" Le point de départ, ce n'est pas le climat, c'est la pauvreté, explique Pierre Radanne, coauteur du Livre blanc et consultant auprès de nombreux pays africains. Si l'on finance des panneaux solaires sans que cela génère des activités et des revenus, les habitants n'auront pas les moyens de payer les factures, rien ne sera entretenu, et dans dix ans, on repartira de zéro. "
D'où la vraie ambition de cette initiative : faire des énergies renouvelables le levier d'un développement économique local.
Grégoire Allix
© Le Monde
 
500 millions d'Africains vivent sans électricité Connexion Un milliard et demi d'humains n'ont pas accès à l'électricité, dont 500 millions en Afrique subsaharienne. Le taux d'accès à l'électricité y est d'à peine 30 % (60 % dans les villes et 15 % dans les zones rurales).
Consommation L'Afrique consomme 562 terawattheures d'électricité par an, à peine plus que la France. En moyenne, cela représente 571 kilowattheures (Kwh) par Africain et par an, contre 2 700 Kwh par personne pour la moyenne mondiale, et 7 300 Kwh pour un Français.
Projection Pour généraliser l'accès à l'électricité en Afrique d'ici à 2030, il faudrait, chaque année, desservir 5 millions de foyers supplémentaires et investir au moins 10 milliards de dollars (6,9 milliards d'euros). En 2009, moins d'un dixième de cette somme a été investi dans les énergies propres sur le continent.
 

La colère de l'armée et l'ire de la jeunesse montent contre le président burkinabé



23 avril 2011

Blaise Compaoré s'est attribué le ministère de la défense dans le gouvernement nommé le 21 avril
Le vent des révoltes arabes soufflerait-il désormais sur le très paisible et très pauvre Burkina Faso ? Manifestations d'étudiants réprimées dans le sang, grève de magistrats, violences et pillages orchestrés par de jeunes soldats mutins. Ce pays enclavé, limitrophe de la Côte d'Ivoire, est agité depuis deux mois de soubresauts d'une ampleur inédite depuis l'arrivée au pouvoir par un coup d'Etat, en 1987, de Blaise Compaoré, considéré à Paris comme un ami.
La véritable razzia assortie de tirs à l'arme lourde opérée par des éléments du pourtant très privilégié régiment de sécurité présidentielle, dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 avril en plein centre de Ouagadougou, a donné l'image d'un pouvoir sans contrôle sur une armée de soudards. Vols de 4 × 4 en pleine rue sous la menace d'une arme, domiciles de plusieurs ministres, commerces et hôtels pillés, populations terrorisées. La tranquille capitale s'est réveillée groggy et traumatisée. " Ce n'est plus l'armée, c'est un vrai foutoir ", résumait, dès le 4 avril, le quotidien L'Observateur Paalga qualifiant les forces armées de " ramassis de racaille ".
" Nous avons évité le pire : la situation dans les casernes est en cours de normalisation ", tempère, jeudi 21 avril, le nouveau premier ministre, Luc Adolphe Tiao, dans un entretien au Monde, peu avant l'annonce de la composition de son gouvernement.
Celui-ci, contrairement à une promesse d'ouverture, n'est composé que de proches du chef de l'Etat, lequel s'est réservé le poste de ministre de la défense. " Les événements d'Afrique du Nord font rêver les populations africaines ", reconnaît M. Tiao. Cet ancien directeur du journal d'Etat Sidwaya, nommé en urgence pour tenter d'enrayer la crise, dément toute analogie entre les dictatures arabes et le Burkina, " où il existe une certaine démocratie ", notamment une réelle liberté de la presse.
" Grognes décousues "
Pourtant, comme en Tunisie, la mort d'un jeune aux prises avec les forces de l'ordre et l'exigence de justice ont fait étincelle. Justin Zongo, élève de 4e à Koudougou (centre) est décédé le 20 février après avoir été convoqué par la police à cause d'une banale embrouille avec une fille. La version officielle de cette mort - une méningite - n'a pas été acceptée. Cinq manifestants ont été tués par balles par la police lors de défilés de protestation. Ces décès ont alimenté à leur tour la colère de la jeunesse.
En mars, la peine de prison ferme infligée à six militaires qui avaient organisé une expédition punitive contre le rival amoureux de l'un d'eux avait déclenché une fronde de l'armée. Une nuit de pillage à Ouagadougou a suffi à faire libérer les soldats condamnés, mais aussi à provoquer... une grève inédite des magistrats ainsi désavoués.
Le président Blaise Compaoré doit aussi affronter la colère des commerçants pillés et celle des étudiants en grève et prompts à crier " Blaise dehors ! ". Sans oublier une grogne sociale alimentée par les incessantes coupures d'électricité et par la " vie chère ". Les restrictions consécutives au blocage du port d'Abidjan, principale porte d'accès des produits importés, et le retour de 500 000 émigrés, grands pourvoyeurs de liquidités, chassés de Côte d'Ivoire par les violences, ont encore appauvri un pays dont 80 % des habitants vit avec moins de 2 dollars (1,4 euro) par jour selon l'ONU.
Pourtant, ces multiples colères ne semblent pas en passe de se coordonner. Les victimes des exactions n'éprouvent nulle solidarité avec les militaires pilleurs. Et aucun chef militaire n'a cherché à prendre un pouvoir pourtant vacillant. Ce sont " des grognes décousues ", résume Damien Glez, dessinateur et directeur du Journal du jeudi, hebdomadaire satirique burkinabé.
Pris entre plusieurs feux, le président a limogé non seulement le gouvernement mais aussi les principaux responsables de l'armée. Seul a été épargné Gilbert Diendéré, son chef d'état-major particulier, qui détient de lourds secrets : ceux de la prise du pouvoir par M. Compaoré, au prix de l'assassinat de son frère d'armes, Thomas Sankara, père de la révolution. Quant au premier ministre, il promet, lui, de " s'attaquer à la vie chère ", de " ramener la sécurité " et d'" agir contre le sentiment d'impunité ".
Cela suffira-t-il à apaiser la hargne des jeunes recrues de l'armée, aux soldes minces, à l'égard d'officiers souvent mués en véritables hommes d'affaires ? A calmer le malaise d'une jeunesse nombreuse et désoeuvrée, condamnée, selon Salifou Parkouda, chroniqueur au quotidien Le Pays, à " se débrouiller " au jour le jour tandis qu'" une minorité s'amuse avec l'argent du peuple " ?
Philippe Bernard
© Le Monde
 
Un homme au pouvoir depuis vingt-quatre ans Le projet du parti du président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis vingt-quatre ans, de modifier la Constitution pour lui permettre de briguer un nouveau mandat, alimente le mouvement de colère des Burkinabés. Parvenu au pouvoir en 1987 par un coup d'Etat, le capitaine Compaoré a été élu en 1991 puis il a effectué deux septennats. En 2000, il a été contraint d'accepter une réforme constitutionnelle limitant à deux le nombre de quinquennats. Réélu en novembre 2010 avec 80 % des voix, M. Compaoré devrait atteindre cette limite en 2015. Des manifestants attendent que le président s'engage à raccrocher alors. Lors de sa récente allocution, le chef de l'Etat n'a fait aucune promesse dans ce sens.