26/05/2012

Muhammad Yunus, l'influent " banquier des pauvres "

 
27 mai 2012
 
(PRESQUE) PLUS PERSONNE N'EN PARLE

New Delhi, correspondant régional

Le Prix Nobel de la paix 2006 avait été écarté il y a un an de la tête de la Grameen Bank, vitrine de son expérience de microcrédit, par le gouvernement du Bangladesh. La cabale officielle n'a toutefois pas mis un terme à son autorité






REUTERS
Biographie
Juin 1940 Naissance à Chittagong (à l'époque Bengale oriental, maintenant Bangladesh).
1971 Doctorat en économie à l'université américaine Vanderbilt à Nashville (Tennessee).
1983 Fonde la banque de microcrédit Grameen Bank.
Décembre 2006 Lauréat du prix Nobel de la paix.
Mai 2011 Démission forcée de la Grameen Bank.
Voilà un an qu'il a chuté. Une année de repli et d'effacement, mais l'homme est loin d'avoir disparu : son ombre continue de peser sur le Bangladesh. Le 12 mai 2011, Muhammad Yunus avait été contraint à la démission de son poste de directeur général de la Grameen Bank à l'issue d'une cabale gouvernementale. L'affaire avait fait grand bruit car M. Yunus est le Bangladais le plus connu à travers le monde.
A la tête de sa Grameen Bank (" banque du village "), basée à Dacca, la capitale, le professeur Yunus s'est rendu célèbre par son rôle pionnier dans l'expérience du microcrédit, un outil de lutte contre la pauvreté qui a essaimé aux quatre coins de la planète. En 2006, le prix Nobel de la paix l'a consacré icône internationale.
La disgrâce du " banquier des pauvres " dans son propre pays, aussi fâcheuse qu'elle fût pour l'image du Bangladesh, n'avait au fond rien de si étonnant. La gloire du professeur Yunus avait fini par attiser d'âpres jalousies locales. La première ministre, Sheikh Hasina, la fille du " père de la nation ", Sheikh Mujibur Rahman - héros de la guerre d'indépendance du Bangladesh en 1971-1972 -, nourrissait une aversion non dissimulée pour ce M. Yunus qui concentrait sur sa seule personne les projecteurs étrangers. Dans les allées du pouvoir, des conseillers aux motivations plus idéologiques rêvaient d'en découdre avec ce que symbolisait M. Yunus : la mouvance des organisations non gouvernementales (ONG) aux connexions internationales jugées suspectes.
L'orage a éclaté début 2011. Le clan autour de Mme Hasina a tiré parti d'un documentaire critique de la télévision norvégienne sur l'oeuvre de Yunus pour déclencher l'assaut. Mme Hasina dénonça les " suceurs du sang des pauvres " que représentaient, à ses yeux, les institutions de microcrédit. L'attaque était fort opportune : après des années de célébration lyrique, des dérives mercantiles commençaient à entacher le secteur du microcrédit, dont certaines entités pratiquaient des taux usuriers et acculaient les emprunteurs au surendettement. Le modèle était en crise et le gouvernement du Bangladesh portait le fer dans la plaie. Haro sur Yunus ! L'offensive de déboulonnage recourut à des motifs bien futiles : l'" âge du capitaine ". On reprocha au professeur d'avoir dépassé de dix ans l'âge requis pour être patron de la Grameen Bank. Après une bataille judiciaire perdue, M. Yunus jeta l'éponge.
" Suceur de sang "
Un an plus tard, l'heure est à la " drôle de guerre ", selon le mot d'un observateur étranger. En surface, le climat est à l'apaisement. La première ministre ne traite plus M. Yunus de " suceur de sang ". Elle a même suggéré, en février, sa nomination à la présidence de la Banque mondiale. L'initiative était plutôt étrange, car l'apôtre du microcrédit n'était nullement candidat et, surtout, n'avait jamais ménagé ses critiques contre l'institution de Washington. " Un tel geste venant après sa mise à l'écart de la Grameen Bank n'était pas sérieux, c'est une plaisanterie ", commente David Bergman, rédacteur en chef du quotidien bangladais New Age. Au moins les invectives publiques avaient-elles cessé. Mme Hasina a compris tout le tort que l'affaire avait causé à la réputation du Bangladesh, notamment aux Etats-Unis. De passage à Dacca, le 6 mai, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a mis en garde le gouvernement contre toute tentation d'" affaiblir " la Grameen Bank ou d'" interférer " dans son fonctionnement.
M. Yunus aura encore bien besoin d'appuis extérieurs, car la partie de bras de fer n'est pas close. Le pouvoir veut prendre le contrôle de la banque, qu'il considère comme une entité gouvernementale (alors que sa part dans le capital est très minoritaire), et notamment des activités d'" entrepreneuriat social " qui lui sont liées.
Les résistances demeurent vives. Un an après le limogeage de M. Yunus, aucun successeur n'a pu être désigné. Le conseil d'administration, composé majoritairement de pro-Yunus, tient tête aux manoeuvres officielles. Pendant ce temps, M. Yunus continue d'exercer une influence informelle et sillonne la planète pour défendre son oeuvre.
Frédéric Bobin
© Le Monde

Les pays en développement imposent une négociation sur la recherche médicale



27 mai 2012


Au Honduras, un agent sanitaire à la recherche de l'insecte vecteur de la maladie de Chagas.
ELMER MARTINEZ/AFP
Genève Correspondance
L'Organisation mondiale de la santé engage un processus qui pourrait conduire à une convention internationale destinée à mieux financer la lutte contre les maladies dans les pays pauvres





Réduire de 25 % les maladies non transmissibles
Lors de son assemblée annuelle, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est fixé, jeudi 24 mai, l'objectif de réduire de 25 % entre 2010 et 2025 la mortalité prématurée (entre 30 ans et 70 ans) imputable aux maladies non transmissibles, principalement les maladies cardio-vasculaires, le cancer, le diabète et les maladies respiratoires chroniques.
L'obésité et le tabagisme sont devenus des facteurs de risque importants dans les pays à revenus moyens, où l'on retrouve de plus en plus les pathologies chroniques frappant les pays riches.
La résolution adoptée jeudi soir appelle " à la poursuite des travaux pour parvenir à un consensus sur les cibles relatives aux quatre grands facteurs de risque " que sont " le tabagisme, l'usage nocif de l'alcool, une mauvaise alimentation et la sédentarité. " - (AFP.)
En soixante-quatre ans d'existence, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a donné naissance qu'à une seule convention-cadre : celle entrée en vigueur en 2005 et qui oblige les pays signataires (168 à ce jour) à se doter d'une législation antitabac. Or la 65e Assemblée mondiale de la santé, qui s'est tenue à Genève du 21 au 26 mai, a réussi la prouesse d'ouvrir un processus qui pourrait conduire à l'adoption d'une convention internationale sur la recherche & développement (R & D) sur les pathologies des pays pauvres qui affectent 1,4 milliard d'individus.
Cet instrument contraignant ciblerait en particulier les " maladies négligées " (la leshmaniose viscérale, la maladie du sommeil, de Chagas ou l'éléphantiasis), pour lesquelles l'industrie pharmaceutique n'a développé qu'un nombre infime de traitements, faute de débouchés commerciaux.
Après dix-sept heures de négociations étalées sur trois jours, un groupe de travail a accouché, vendredi 25 mai en fin de journée, d'une résolution qui invite les Etats membres de l'OMS à ouvrir un processus intergouvernemental. Elle devait être adoptée par consensus, samedi, jour de clôture des travaux de l'assemblée.
Pour qui ne connaît pas les subtilités du jargon onusien, ce texte semble peu spectaculaire, puisqu'il ne mentionne pas explicitement le terme de " convention ". Mais il " salue " le rapport du groupe consultatif d'experts de l'OMS qui, début avril, avait placé en tête de ses recommandations l'adoption d'un tel traité contraignant. Il appelle les Etats à tenir des consultations nationales et le secrétariat de l'OMS à convoquer " une réunion ouverte à tous les Etats membres pour analyser en profondeur le rapport et la faisabilité des recommandations ", qui devra se tenir entre octobre 2012 et janvier 2013.
" C'est le début d'un processus qui semblait inimaginable il y a deux ans ", se félicite German Velasquez, un ancien de l'OMS aujourd'hui conseiller pour la santé au sein du South Center, un think tank qui se bat depuis des années en faveur d'une convention. " Le rapport des experts a en quelque sorte été adopté, puisqu'il sert de base de travail ", ajoute-t-il
Ce rapport souligne " l'incapacité " du système actuel de R & D à répondre aux besoins de santé des pays en développement et constate que l'innovation fondée sur les brevets et la défense de la propriété intellectuelle n'a profité qu'aux pays les plus riches.
Il invite les Etats membres de l'OMS, dans le cadre d'une convention, à consacrer au moins 0,01 % de leur produit intérieur brut (PIB) aux maladies négligées. Ce qui pourrait faire passer les financements annuels de 3 à 6 milliards de dollars. D'autres solutions sont avancées, comme les communautés de brevets (gestion collective des droits de propriété intellectuelle) ou encore les " prix à l'innovation " récompensant les travaux les plus prometteurs.
Dès le premier jour des discussions, une forte polarisation entre pays du Sud et du Nord s'est dessinée. Mercredi soir, quatre projets de résolutions étaient sur la table du groupe de travail mis en place en vue d'un consensus. Le Kenya et l'Union des nations sud-américaines (Unasur), fervents défenseurs d'une convention, demandaient l'ouverture de négociations. La Suisse était partisane de discussions " informelles " et du report du processus d'un an. Les Etats-Unis, ainsi que le Japon, le Canada, l'Australie et Monaco, se disaient totalement opposés à l'idée d'un instrument contraignant. Washington soulignait qu'un grand nombre d'Etats ne seraient pas en mesure de s'acquitter d'une contribution de 0,01 % de leur PIB, surtout en période de crise.
L'Union européenne (UE), par la voix de la France, rejoignait le camp des " anticonvention ", provoquant la colère des organisations non gouvernementales. " Nous ne pouvons pas regarder une poignée de pays développés, au premier rang desquels la France, faire dérailler cette initiative ", s'insurgeait, jeudi soir, Médecins sans frontières.
" Les pays qui abritent une forte industrie pharmaceutique ont tout fait pour diluer le projet initial ", confie l'un des participants aux débats. L'UE en effet a tenté, sans succès, de limiter la liste des maladies pour lesquelles la R & D doit être stimulée aux pathologies touchant majoritairement ou exclusivement les pays pauvres, alors que les experts mentionnent aussi des maladies comme le cancer ou le diabète qui commencent à faire des ravages dans les pays en développement, mais sont pour l'instant la chasse gardée des grands laboratoires occidentaux.
Négociant pied à pied, les pays de l'Unasur sont finalement parvenus à renverser la tendance pour qu'un processus intergouvernemental démarre avec le soutien du groupe africain et asiatique.
L'Argentin Carlos Correa, l'un des experts du groupe consultatif de l'OMS et également conseiller du South Center, estime qu'" une bataille a été remportée, mais pas encore la guerre. " Selon lui, un changement de paradigme pour la recherche médicale est aussi dans l'intérêt des pays développés. " Le modèle de l'industrie pharmaceutique est en crise. Il y a de moins en moins d'innovation et de nouvelles molécules, et c'est une logique commerciale qui domine, pas de santé publique ", explique-t-il.
Agathe Duparc
© Le Monde

Après avoir fui l'insécurité, les réfugiés maliens sont confrontés à la crise alimentaire


27 mai 2012

REPORTAGE
Mangaizé (Niger) Envoyé spécial
Les Nations unies lancent une " opération régionale d'urgence " afin de venir en aide aux dizaines de milliers de déplacés




Depuis plus de trois mois, un campement provisoire s'est installé à l'entrée de Mangaizé, gros bourg situé à 140 kilomètres au nord de Niamey, au Niger. Au milieu de quelques arbustes épineux, plusieurs centaines de familles de réfugiés venus du Mali ont installé des abris de fortune. Sur des nattes jetées au sol, elles attendent que la journée passe et que la chaleur - plus de 40 °C à cette époque de l'année - baisse.
La majorité de ces réfugiés viennent de la région de Menaka, ville malienne située à 150 kilomètres plus au nord, de l'autre côté de la frontière, dans la partie du Mali désormais contrôlée par la rébellion touareg et ses alliés islamistes. " Quand les militaires ont quitté la ville, la sécurité n'était plus assurée, et beaucoup de gens ont préféré fuir, par peur des rebelles ", assure Amarza Assalin. Ce maçon de 25 ans, arrivé avec sa mère, sa tante, sa femme et ses quatre enfants, est touareg lui-même, comme 40 % des réfugiés de Mangaizé.
" Nous sommes venus ici parce que c'est une région que nous connaissons. Il existe des liens commerciaux et familiaux anciens avec Menaka ", précise-t-il. Le jeune homme et sa famille sont arrivés " les mains vides ", à bord de l'un de ces véhicules qui traversent la frontière pour se rendre à Mangaizé le jeudi, jour de marché.
Sur place, ils ont été enregistrés puis ont reçu de l'eau, de la nourriture, un kit d'ustensiles de cuisine, des vêtements et des moustiquaires. Les distributions sont assurées par les agences des Nations unies, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ainsi que des organisations non gouvernementales comme Caritas Développement Niger (Cadev) ou Islamic Relief.
Hainé Mohamed, une vieille femme à la peau claire, et Leila Ahmed, sa fille d'une vingtaine d'années, ont fui Ménaka à pied. " Quand les tirs ont commencé, ç'a été la panique, raconte la jeune femme. J'ai rassemblé les enfants et nous sommes partis vers le sud. Nous avons marché pendant cinq jours, nous dormions sur le sable quand la nuit tombait. " Elle aussi a fini par trouver un véhicule qui l'a conduite, avec ses quatre enfants, jusqu'à Mangaizé, où elle a retrouvé sa mère, partie de son côté.
Plus de 2 700 réfugiés sont arrivés ici depuis le Mali. Huit cents d'entre eux sont considérés comme des " retournés " : des Nigériens rentrés après un exil de plusieurs années, qui sont généralement hébergés au village, dans leur famille.
Selon les chiffres publiés le 21 mai par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), plus de 167 000 personnes auraient fui le Mali depuis le déclenchement du conflit, en janvier, pour gagner la Mauritanie (64 000), le Burkina Faso (62 000) et le Niger (41 000). Ces mouvements de population se produisent dans une région frappée par une crise alimentaire provoquée par les récoltes médiocres de 2011 et la hausse des prix des denrées.
Du riz et de l'huile
" Le Sahel représente une combinaison mortelle de la sécheresse et des déplacements liés aux conflits ", a récemment déclaré Antonio Guterres, le patron du HCR. Pour répondre aux besoins en nourriture des réfugiés, ainsi que des 300 000 déplacés intérieurs que compterait le Mali, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le HCR ont lancé une " opération régionale d'urgence " dont le coût est estimé à 61 millions d'euros. L'agence américaine USAID vient de débloquer 5 millions de dollars (4 millions d'euros) pour fournir du riz et de l'huile aux réfugiés maliens se trouvant en Mauritanie.
Une partie importante des réfugiés appartient à des familles pratiquant l'élevage, habituées à se déplacer. Au Niger, plusieurs milliers d'entre eux s'étaient rassemblés spontanément, en mars, dans un campement improvisé à Chinegodrar, face à la frontière malienne et à proximité d'une base militaire. Le gouvernement nigérien et le HCR ont eu le plus grand mal à les convaincre de rejoindre le camp de tentes d'Abala, un peu plus au sud, où se trouvent 9 000 personnes.
" Pour une population pastorale ayant une tradition migratoire, les camps de réfugiés ne sont pas forcément la meilleure façon de gérer l'assistance, reconnaît Antonio José Canhandula, chef de l'équipe d'urgence du HCR dépêchée au Niger. On peut très bien les laisser s'installer près d'un village, comme à Mangaizé, et leur y apporter les services essentiels : eau, soins, éducation... "
A Ouallam, au sud de Mangaizé, un autre camp a été démonté sans avoir servi, les réfugiés ayant refusé de s'y rendre. Certains d'entre eux ont laissé leurs animaux dans la zone frontalière, sous la surveillance de quelques gardiens, mais ne veulent pas s'en éloigner trop. D'autres se déplacent en compagnie de leurs troupeaux, ce qui complique à la fois leur décompte et l'organisation de l'aide.
Gilles van Kote
© Le Monde