23/08/2012

Le statut de la femme tunisienne ou l'héritage de Bourguiba menacé

FRANCE 24 l'actualité internationale en direct




À l’heure où les Tunisiennes craignent une remise en cause de leurs libertés par les islamistes au pouvoir, Tunis a célébré ce lundi le 56e anniversaire du Code du statut personnel, une série de lois progressistes. Gros plan sur un legs menacé.

Par Thibaut CAVAILLÉS , à Tunis (vidéo)
Charlotte BOITIAUX  (texte)

MANIFESTATIONS MONSTRES À TUNIS POUR DÉFENDRE LE DROIT DES FEMMES
Des milliers de Tunisiens ont manifesté lundi soir dans le calme contre les menaces pesant sur les droits de la femme et contre le parti islamiste Ennahda qui dirige le gouvernement, le plus grand rassemblement d'opposition depuis avril.

Deux rassemblements séparés ont eu lieu dans la capitale tunisienne, l'un autorisé l'autre non. Plusieurs milliers de personnes se sont réunies face au Palais des congrès de Tunis et avenue Habib Bourguiba, axe principal du centre-ville où le défilé n'était pas autorisé, avec pour mot d'ordre principal le retrait d'un projet d'article de la Constitution évoquant la complémentarité et non l'égalité homme-femme.

Les manifestants ont scandé des slogans comme "l'égalité dans la Constitution" et "Les membres d'Ennahda sont arriérés et des vendus".

"Je veux mener une réforme radicale, voire une révolution de certains usages régnant dans le pays et contraires à l'esprit de justice et d'équité caractéristique de l'humain", lançait Habib Bourguiba, alors président du Conseil en Tunisie, le 10 août 1956, lors d’un discours de présentation du Code de statut personnel (CSP) - une série de lois progressistes adoptées trois jours plus tard - garantissant l’égalité des sexes et offrant, de fait, une place inédite à la femme dans la société tunisienne.
Un demi-siècle plus tard, cette "révolution" féministe, sans équivalent dans le monde arabe et si chèrement défendue par un homme, est - ironie du sort - menacée, en partie, par des femmes. En déclarant que "l’égalité absolue entre l’homme et la femme n’existait pas" et en soutenant, à l’instar de ses confrères islamistes, un article de loi de la future Constitution qui remplace le principe d’égalité entre l’homme et la femme par celui de complémentarité, Farida Laabidi, députée du parti islamiste Ennahda, est devenue la bête noire des associations féministes tunisiennes.
En 1956, la femme grimpe dans l’ascenseur social tunisien
"C’est un bond en arrière", s’inquiète Zeyneb Farhat, personnalité incontournable de la scène culturelle tunisienne et militante de l’association des Femmes démocrates (ATFD), interrogée par FRANCE 24. "Aujourd’hui, ce 56e anniversaire a un goût amer. Nos acquis sont menacés, nos libertés menacent de s’effondrer. Tout commence à changer", ajoute-t-elle, attristée. Il paraît loin, en effet, le temps où Bourguiba, acquis au modernisme, a fait le pari de la libération de la femme pour redynamiser son pays dans une société alors assujettie aux courants les plus conservateurs.
À cette époque, jouissant d’une légitimité sans pareil, le père de l’indépendance sait que, malgré la désapprobation des milieux les plus conservateurs, il peut mener son grand chantier de modernisation de la Tunisie avec le soutien de la population. Lorsque le CSP entre en vigueur le 1er janvier 1957, de nombreuses femmes tunisiennes empruntent enfin l’ascenseur social réservé jusqu’ici au sexe fort. Le port du voile est prohibé dans les écoles, la polygamie est abolie, le divorce religieux – ou répudiation – interdit. Dans les années 1960/1970, cette politique féministe se poursuit et se renforce avec l’apparition du planning familial, le droit à l’avortement et l’accès à la pilule. Beaucoup de femmes commencent aussi à travailler, sans qu’une autorisation de leur époux ne leur soit demandée. Du jamais vu dans la société arabe.
Le CSP, un instrument du régime autoritaire de Ben Ali
C’est tout cet héritage que les Tunisiennes cherchent aujourd’hui à protéger d’un démantèlement progressif. "Même Ben Ali n’avait jamais osé revenir sur ces lois inédites", insiste Zeyneb Farhat. En 1988, en effet, lorsque Zine El Abidine Ben Ali arrive au pouvoir, il promet non seulement de ne jamais supprimer le CSP mais le consolide en promulguant de nouvelles lois en faveur des femmes. Dans les années 1990, malgré le conservatisme d’une partie de la société influencée par la montée de l’islamisme politique, les réformes se succèdent. Les Tunisiennes sont autorisées à donner leur nationalité à leurs enfants nés d’un père étranger et peuvent devenir chef de famille - et tutrice de leur progéniture - en cas de décès de l’époux.

"ON CRÉE UNE PORTE OUVERTE À PLUSIEURS ABUS DE DROIT"

Par FRANCE 24

Toutefois, aussi avantageuses qu’elles soient, ces avancées sociales cachent mal les ambitions "réelles" de l’ancien dictateur. "Tout le monde sait que Ben Ali se servait du CSP comme une image de marque pour séduire les dirigeants occidentaux", lâche la militante. Loin de servir la cause féministe, le Code du statut personnel devient, entre les mains du dictateur, tantôt un alibi – en forme de vitrine démocratique de son régime autoritaire – tantôt un argument de poids pour justifier la répression envers les islamistes qui réclament, en creux, son abolition. "Ben Ali n’a jamais vu dans le CSP un projet progressiste. Comment donner des droits à un pays sans droits ? Il n’y voyait qu’une chance de servir ses propres intérêts", explique Zeyneb Farhat.
Toucher au CSP : un "suicide" pour les islamistes
Si la protection du CSP donne alors l'image d'une Tunisie laïque et réformiste, sur le terrain, rappelle Zeyneb Farhat, les choses sont bien différentes. "Les hommes et les femmes étaient privés de libertés, nous n’avions pas le droit de manifester, ni celui de nous exprimer librement. La corruption et les passe-droits régissaient la vie quotidienne", développe la militante. Elle se fait ainsi l’écho deSihem Badi, l’actuelle ministre de la Femme et de la Famille en Tunisie, qui avait déclaré en mars dernier qu’"à cette époque, il s’agissait de monter des événements de façade pour montrer une femme tunisienne émancipée".
Dans le domaine politique, où le pouvoir est concentré entre les mains d'une seule et même personne, même écran de fumée. "Si le pouvoir de Ben Ali s’est plu à avancer que le pourcentage de femmes députées est passé de 1,82 % en 1996 à 22,75 % en 2004, l’illégitimité de ces parlements successifs nuit à la crédibilité de ces chiffres", avance pour sa part Meryem Belkaïd, blogueuse et universitaire tunisienne.
Plus d’un an après la chute du régime dictatorial de Ben Ali, le CSP, tour à tour fabriqué, entériné, consolidé, exploité, se retrouve entre les mains des islamistes. Le combat des Tunisiennes contre la réduction de leurs libertés les plus élémentaires obtiendra-t-il gain de cause auprès d’Ennahda, un parti qui souhaiterait, selon certains observateurs, façonner la Tunisie à l’image d’une République islamique ? Sihem Badi, l’une des trois femmes à détenir un portefeuille ministériel dans le gouvernement Jebali, reste optimiste. "Le Code du statut personnel est inspiré de la religion musulmane [les lois se basent sur l’exégèse du Coran, NDLR]. Ce serait un suicide pour les islamistes de toucher aux droits de la femme […] Je suis confiante sur le fait que le statut de la femme est à l’abri d’un retour en arrière."

Pourquoi la Chine ne solutionnera pas les problèmes de l’Afrique ?


Par Ndaba Obadias
La Chine veut doubler ses prêts à l’Afrique à hauteur de 20 milliards de dollars américains au cours des trois prochaines années. Voilà un geste apparent visant à renforcer les liens avec l’Afrique, un allié qui sert de fournisseur de ressources naturelles à la Chine et de marché pour les produits chinois à faible coût. La Chine a investi de l’argent en Afrique pour remporter la compétition féroce autour des importantes ressources naturelles du continent. Déjà la Chine est le partenaire commercial le plus important de l’Afrique, après avoir dépassé les États-Unis en 2009.
Alors que c’est à chacun des pays africains de choisir des partenaires économiques dans l’offre potentielle actuelle, il est erroné de supposer qu’un partenaire spécifique résoudra en quelque sorte les problèmes économiques et politiques de l’Afrique. Le Président sud-africain Jacob Zuma, exprimant l’optimisme dans les liens Chine-Afrique a déclaré « Nous sommes heureux que, particulièrement dans nos relations avec la Chine, nous sommes égaux et que les accords conclus génèrent un gain mutuel ». La Chine fournit une sorte de soulagement à la relation paternaliste et inégale de l’occident avec l’Afrique depuis les indépendances.
« L’Afrique » devrait savoir qu’il n’est pas vraiment important de savoir qui sont nos partenaires ou quels sont leurs plans pour nous en matière de développement économique ; il importe plutôt de savoir quels sont les plans et les stratégies que nous avons pour eux. Ce que la Chine veut de l’Afrique est tout à fait clair : les matières premières pour alimenter son boom économique. Et sa stratégie ? Plus de prêts et d’aide pour l’Afrique pour inciter davantage de pays à se tourner vers l’Orient.
Ce qui n’est pas clair en revanche, c’est la stratégie de l’Afrique. Les 54 pays de l’Afrique, avec une économie combinée plus de quatre fois plus petite que la Chine, sont probablement chacun trop petits pour réussir dans la compétition économique moderne de la mondialisation. Ils ont besoin de s’intégrer davantage et de se présenter comme une seule entité économique. Avec une croissance économique forte et soutenue, l’Afrique intégrée constituera une destination d’investissement plus attrayante pour les capitaux et la technologie étrangers qu’une collection de petites économies individuelles. Et l’intégration signifie aussi un poids et un pouvoir de négociation accrus.
Le développement économique est le résultat de la création de richesses et de valeur ajoutée aux ressources naturelles - pas du fait de savoir qui sont nos partenaires ! Tant que les plans et stratégies des économies africaines individuelles ne reflètent pas cette prise de conscience, les nations les plus puissantes continueront à acquérir les ressources naturelles de l’Afrique à des tarifs défiant toute concurrence. Alors que les perspectives économiques de l’Afrique s’éclairent, le continent ne devrait pas se permettre de devenir un champ de bataille par procuration lié à un déplacement de l’équilibre des pouvoirs entre les grandes économies du monde.
La seule différence entre la Chine et l’Occident, en tant que partenaires pour le développement économique de l’Afrique, est l’absence dans l’esprit des Chinois d’une Afrique associée à la pauvreté, aux guerres et aux maladies (des fantômes toujours présents dans l’imaginaire occidental) en dépit du fait que l’Afrique abrite six des dix économies à la croissance la plus rapide au monde et une population jeune qui peut changer les choses, si elle est correctement guidée.
Alors que l’observation du président chinois Hu Jintao selon laquelle « la Chine soutient sincèrement les pays africains dans la poursuite de leurs propres voies de développement, et veut sincèrement aider les pays africains à renforcer leur capacité à se développer de manière indépendante » ne doit pas être mise en doute, les actes comptent plus que les paroles. L’Afrique n’est pas étrangère aux engagements solennels qui ne sont pas suivis d’effets.
Ce n’est pas l’affaire de la Chine de promettre d’aider l’Afrique à se développer de manière indépendante. Un engagement à se développer de manière indépendante devrait être l’objectif des États de chaque pays africain. L’ironie est que la Chine est confrontée aux mêmes problèmes de gouvernance qui menacent la réussite de l’Afrique à long terme. Alors, avouons-le, les motivations des pays étrangers ne sont jamais si pures au point qu’ils souhaitent « sincèrement » que les autres se développent de manière indépendante, sans tenir compte de leurs propres intérêts.
La Chine n’est pas en Afrique par charité – ce n’est pas son but de toutes manières. A l’inverse, l’Afrique a été charitable à l’égard de beaucoup, en fournissant des matières premières depuis un certain temps. C’est une folie de croire que l’Afrique peut négocier des ententes mutuellement bénéfiques avec les Chinois, quand elle n’a pas résolu les problèmes qui ont conduit à l’exploitation de ses ressources par d’autres partenaires.
L’Afrique ne doit pas trop se tourner vers l’Orient, ni vers l’Occident, mais plutôt vers elle-même. C’est en Afrique que toutes les réponses se trouvent. Mettre en place des institutions transparentes, en investissant dans le capital humain, en favorisant un environnement propice à la création de richesses et qui permet l’ajout de valeur aux ressources, voilà ce que doit être l’objectif principal de l’Afrique. Dans ces domaines aussi, aucune aide n’est nécessaire, en particulier venant de Chine. Comme le dit un proverbe Est-africain « l’aide extérieure vient toujours après la pluie ».

Obadias Ndaba est un commentateur régulier des questions africaines et présente ici ses opinions.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

21/08/2012

Dans les villages du Congo, des groupes armés sèment la peur





22 août 2012

REPORTAGE



Le président et le vice-président de l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP) posent avec leur groupe armé, à Kikuku (République démocratique du Congo).
MICHELE SIBILONI POUR " LE MONDE "
Katwé et Kikuku (République démocratique du Congo) Envoyé spécial
A la frontière avec le Rwanda, les ex-rebelles intégrés dans l'armée régulière en 2009 retournent dans la brousse. Une myriade de groupuscules terrorise les civils et des massacres ont déjà eu lieu.

A la paroisse catholique de Katwé, chaque nuit commence avec le même rituel d'angoisse. On allume le générateur pour une poignée d'heures, afin de maintenir éclairées quelques ampoules bas voltage, tout en faisant claquer les énormes cadenas qui ferment les portes. Les pères s'enferment et guettent les bruits. Des coups de feu tout proches ? Encore l'oeuvre de l'un de ces groupes armés qui se bousculent dans la région. Soulagement : ils s'éloignent. L'attaque de la paroisse, ce ne sera pas pour cette fois encore. On ne saura jamais qui tirait ce soir-là, tant les suspects sont nombreux.
Le village voisin de Kikuku fait figure de capitale régionale pour les groupes armés qui gonflent à vue d'oeil depuis qu'une mutinerie a éclaté en avril, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). La mutinerie devenue rébellion, baptisée M23, était initiée par des officiers tutsi et soutenue par le Rwanda voisin. Depuis, les groupes anti-M23 champignonnent, notamment à Kikuku où cinq d'entre eux s'évitent le jour et se frôlent la nuit tandis que les honnêtes gens s'enferment à double tour, espérant ne pas entendre le pas des hommes en armes.
Vers Kikuku, on trouve des maï maï (guerriers traditionnels) du colonel Janvier Banyene, les plus organisés, ainsi que d'autres groupes similaires plus marginaux. Ils côtoient les éléments du colonel Bapfakururimi et ceux de deux formations rivales issues des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les combattants hutu rwandais. Certains sont cachés dans les environs, d'autres ont été intégrés dans les groupes congolais, qui se disputent ces combattants aguerris.
Alors la nuit, dans un quartier de Kikuku, difficile de savoir à qui appartient la voix qui sort de l'obscurité et demande, avec une douceur plus inquiétante que toutes les menaces : " Vous avez fait bon voyage ? " Renseignement pris, il s'agit d'un " responsable de la sécurité " du colonel Bapfakururimi. A cette heure tardive, ce dernier n'est pas visible, et ce n'est pas faute d'éclairage. " Pour l'audience, il faudra revenir demain ", car la nuit, on ne sait de qui (ses amis ou ses ennemis), il faut le plus se méfier à Kikuku.
Dans le village, à une journée de route de Goma, la capitale du Nord-Kivu, les deux matériaux dominants sont la terre crue et la planche. Les plus riches édifient des chalets en bois à un étage qui ressemblent à des cabines de bateau. Les plus modestes ont recours aux toits en feuilles de bananiers. Tous devraient prospérer grâce aux richesses du sol : bananes, manioc, haricots. Mais en ces temps de malheur, les groupes armés et les maladies semblent s'acharner sur Kikuku. Le wilt bactérien décime les bananeraies. La striure brune menace le manioc. Seuls prospèrent les groupes armés.
Pourtant, comme ils promettent de sauver le Congo, tous ces hommes en uniforme ! Le colonel Bapfakururimi, au matin, se présente avec une délégation de son groupe " politico-militaire ", l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP), qui recrute parmi les anciennes milices locales hutu. Le colonel, ancien responsable de la milice Mongol, avait été intégré dans l'armée régulière lors des derniers accords de paix (2009), mais mis en " dispo " (sans affectation). La fausse guerre et le vrai drame en cours - dont les principales victimes sont civiles - ont leurs racines dans cette intégration mal réalisée d'une foule de groupes armés et d'ex-rebelles dans une armée régulière sans colonne vertébrale.
Au premier signe de délitement, en avril, chacun est retourné en brousse, songeant déjà à peser dans les futures négociations et à obtenir le plus possible de grades de colonels, plus de positions lucratives au prochain plan de paix.
Cela n'empêche pas des tensions plus graves et profondes de resurgir. En témoignent les FDLR, rebelles hutu rwandais, dont les éléments les plus anciens sont des vétérans de la période du génocide contre les Tutsi, commis au Rwanda en 1994. Déjà, dans les années 1990, ces derniers venaient dans ce village à forte population hutu aider les milices locales à s'organiser. Certains de ces vétérans, dans le groupe de soldats qui entoure le colonel, demeurent discrets sur leur passé, et disent refuser de négocier leur retour au Rwanda.
Des groupes locaux ont été armés et payés par les autorités rwandaises pour assassiner ces responsables hutu, comme celui du maï maï Cheka, ancien marchand de minerais et bon vivant de Goma, devenu chef de guerre et chasseur de FDLR dans les collines.
Aujourd'hui, les combattants hutu sont très demandés. Le groupe armé du colonel Janvier, celui qui monte dans la région, riche de ses mines, de ses soutiens politiques et de la qualité de son organisation, tente aussi de les recruter. Moussa Juma Pili, commandant, responsable local du colonel Janvier, promet un marché simple comme bonjour aux FDLR : conquérir d'abord le Congo, puis porter la guerre au Rwanda. " On doit les aider à rentrer, on va ouvrir le mur sombre pour qu'ils rentrent dans leur pays ", affirme ce commandant maï maï - guerriers traditionnels ayant recours aux " protections " (dawa) élaborées par un " docteur " -, qui fait le décompte des " trois forces " sur lesquelles il compte pour ce vaste projet : " Dieu, créateur et maître de toutes les circonstances, les ancêtres et la population ". Avant toute chose, l'officier songe à s'emparer de tout le Congo : " Si on trouve les moyens logistiques, les armes lourdes et consorts, on peut prendre le pays en trente jours ", affirme-t-il.
Au bord du chemin, ces mots claquent comme des oriflammes dans le vent. En réalité, à ce stade, aucun de ces groupes n'a la moindre intention, ni la possibilité, d'étendre la guerre au-delà de leurs villages, et encore moins l'envie de se frotter aux défenses du Rwanda voisin. Mais dans l'incertitude des temps de crise, les idées meurtrières ne sont pas perdues pour tout le monde. Il y a déjà eu des massacres (parfois plus de cent personnes) sur des bases ethniques à moins de cent kilomètres. Au sein de la population en détresse, certains slogans de violence pourraient entraîner des passages à l'acte, avec la bénédiction de la plupart des groupes dont la longue liste sonne comme un poème tragique.
L'UPCP est dirigée par un ancien du Panam (Parti national maï maï), Céleste Kambale Malonga, qui promet de " se libérer du joug des agresseurs " et tire son inspiration des mongols, une milice hutu qui n'a rien à voir avec la Mongolie, son nom signifiant " obtenir quelque chose par la ruse ". Pour mieux comprendre son origine, il faut remonter le long fleuve de drames et de souffrances ayant coulé dans la région depuis les premiers grands massacres de 1993 en RDC. A l'époque, les Hutu avaient été visés par une coalition d'autres ethnies à la suite de manipulations politiques du pouvoir central.
Timothée Mbonabucya se souvient avoir vu " sa mère percée à coups de lance, avec son enfant dans le dos. C'était un mercredi ". Cette mémoire est enfermée dans la coque de ses souvenirs. En temps de crise, ce genre de traumatisme a pratiquement la puissance d'une grenade. Avant qu'on ne la dégoupille, il faut espérer qu'un arrangement politique viendra mettre fin à l'escalade toxique des groupuscules armés.
Viateur Mojogo, président du Pareco, anciens " auto-défenseurs des collines " impliqués dans le processus de paix précédent, l'appelle de tous ses voeux. Il connaît par coeur les mécanismes en cours, et distingue comment chaque formation est en train de recruter à tour de bras pour essayer de se positionner pour la prochaine distribution de postes. " Ce qui arrive est aussi le fruit d'une certaine légèreté au niveau de l'Etat. Mais s'il y a reprise des hostilités, le combat sera très farouche ", avertit-il.
Jean-Philippe Rémy
© Le Monde

20/08/2012

Au Niger, les pasteurs reculent devant les cultivateurs



 
21 août 2012

Niamey Envoyé spécial

Ils étaient les seigneurs du Sahel, ils sont en passe d'en devenir des citoyens de seconde zone. Les populations pastorales sont durement éprouvées par la répétition d'aléas climatiques dans la région, mais aussi par son évolution socio-économique. " Le front agricole avance de plus en plus et colonise les terres pastorales ", note Abdrahmane Wane, coordonnateur du pôle pastoral zones sèches au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, basé à Dakar.
" Au Niger, on considère qu'une terre n'est exploitée que si elle est cultivée, explique Harouna Abarchi, de l'Association pour la redynamisation de l'élevage au Niger. La manière qu'ont les éleveurs de marquer l'espace n'est pas reconnue et les aires de passage des troupeaux se font grignoter. " Et M. Wane de citer l'exemple de terres louées à un investisseur italien au Sénégal sous prétexte qu'elles étaient " libres ", alors qu'elles étaient situées sur des parcours de transhumance du bétail.
Ce contexte de concurrence entre pasteurs nomades et cultivateurs est à l'origine de nombreuses tensions, alors que les deux populations ont longtemps vécu en symbiose : les troupeaux venaient nettoyer les champs de leurs déchets végétaux, après les récoltes, tout en amendant ces terres par leurs déjections. " A une époque, les cultivateurs offraient des bottes de mil aux éleveurs, le vendredi, pour sceller leur bonne entente ", raconte Harouna Abarchi, qui déplore la multiplication d'" expéditions punitives " visant des campements d'éleveurs dont le cheptel est soupçonné d'avoir provoqué des dégâts dans les champs.
L'accès à l'eau constitue une autre source de tensions. " Alors que l'élevage est la principale ressource du Niger, on assiste, en plus des obstacles à la libre circulation des troupeaux, à une "privatisation" des puits et des points d'eau, constate Jean-Pierre Olivier de Sardan, du Laboratoire d'études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local, à Niamey. Il y a même eu des grèves d'éleveurs peuls qui ont boycotté les marchés pour protester contre le racket dont ils estiment être victimes. "
" Marginalisés "
C'est que les populations pastorales ont du mal à faire entendre leur voix. " On trouve très peu d'éleveurs parmi les élites ", constate Harouna Abarchi. " Ce sont des populations marginalisées, qui ne pèsent quasiment pas sur les politiques publiques, confirme Abdrahmane Wane. Les Etats ont toujours du mal à appréhender ces populations mobiles. "
Les réponses apportées à la crise alimentaire actuelle ciblent essentiellement les populations sédentaires, alors que la hausse des prix des céréales touche également les pasteurs, qui voient les termes de l'échange se dégrader pour eux. De plus, l'important déficit fourrager enregistré en 2011 a affaibli des troupeaux déjà décimés par un précédent épisode de sécheresse, en 2010.
La rébellion dans le nord du Mali a aggravé la situation en empêchant l'accès des troupeaux au Gourma, une importante zone de pâturages, et en poussant à l'exil de nombreux éleveurs, accompagnés de leurs bêtes. Des mesures spécifiques de soutien aux populations pastorales ont été prises : des distributions ou des ventes à prix subventionnés d'aliments pour le bétail ont été organisées, ainsi que des campagnes de vaccination des animaux.
G. v. K.
© Le Monde

Les quatre plaies des peuples du Sahel









 
21 août 2012


Jeune Nigérienne, à Niamey, en juin. Les cas de malnutrition se sont multipliés au Niger depuis avril, selon l'Unicef.
RICHARD VALDMANIS/REUTERS

Crise alimentaire, conflits armés, criquets et choléra conjuguent leurs menaces sur la région
L'abondance actuelle de la végétation dans la bande sahélienne est un trompe-l'oeil. Car les débuts encourageants de la saison des pluies n'empêchent pas les effets des précipitations erratiques de 2011, à l'origine de récoltes médiocres, de se faire sentir aujourd'hui. Les pays du Sahel traversent une nouvelle crise alimentaire, après celles survenues en 2005 et en 2010.
Selon les Nations unies, ce nouvel épisode touche environ 18 millions de personnes, vivant pour l'essentiel au Niger, au Mali, au Tchad et en Mauritanie. Plus d'un million d'enfants sahéliens de moins de 5 ans devraient être traités, en 2012, pour malnutrition sévère, ce qui constitue, selon Médecins sans frontières (MSF), un chiffre jamais atteint dans l'histoire des interventions humanitaires.
La fréquentation des centres de récupération nutritionnelle est actuellement au plus haut, estime le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef). " Le nombre de nouveaux cas de malnutrition sévère traités au Niger est d'un millier par jour depuis avril ", assure Martin Dawes, son responsable régional de la communication. La situation est particulièrement critique au Tchad, où le taux de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans dépasse le seuil d'urgence de 15 % dans neuf régions sur onze, selon l'Unicef.
La période de " soudure ", qui correspond à l'épuisement des réserves alimentaires des foyers, a démarré particulièrement tôt en 2012, dès le mois de février pour certains. Elle doit se poursuivre jusqu'aux prochaines récoltes, attendues en octobre. Dans l'intervalle, les ménages dépendent de la disponibilité des céréales sur les marchés.
Or, l'augmentation des prix alimentaires barre l'accès à ces marchés aux populations les plus vulnérables. Selon l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), le prix du mil était, en juin, de 10 % à 80 % supérieur à la moyenne saisonnière.
La mise en oeuvre précoce - dès la fin 2011 - d'une réponse de la plupart des Etats concernés, des institutions internationales et des organisations non gouvernementales (ONG) a toutefois permis, à la différence des épisodes précédents, de limiter l'ampleur de la crise. Des distributions d'argent et de vivres auprès des populations les plus vulnérables, ainsi que des ventes de céréales à prix subventionnés, ont été effectuées préventivement.
Des aliments thérapeutiques ont aussi été acheminés vers les centres de récupération nutritionnelle, afin que ceux-ci soient prêts à répondre à l'afflux de patients attendu à la saison des pluies, quand le paludisme et les diarrhées fragilisent les enfants. " La rapidité de réaction des donateurs a permis d'éviter que la crise se transforme en désastre ", affirme Martin Dawes.
Les Nations unies estiment à 1,6 milliard de dollars (1,3 milliard d'euros) les besoins en financements, mais les engagements pris par les donateurs ne correspondent qu'à un peu plus de la moitié de cette somme. L'aide d'urgence reste largement privilégiée par rapport aux actions permettant de s'attaquer aux causes structurelles de ces crises à répétition. " On parle beaucoup de résilience et d'un nécessaire changement de paradigme, mais l'attitude des donateurs ne change pas vraiment ", note Gaëlle Bausson, porte-parole de l'ONG Oxfam au Niger.
La nouvelle saison des pluies a démarré assez tôt (dès mai dans certaines régions) et les précipitations se sont montrées soutenues et régulières, ce qui a eu pour effet de soulager les populations pastorales en remplissant les mares et en stimulant la croissance des pâturages. Même si elles ont aussi provoqué des inondations dans certaines régions. " Les données dont nous disposons sont, à quelques exceptions près, encourageantes ", estime Martin Morand, responsable régional d'Action contre la faim (ACF).
Malgré la perspective de bonnes récoltes, il est cependant encore trop tôt pour se réjouir. Les habitants du Sahel se trouvent en effet face à une quadruple menace : l'augmentation des prix alimentaires mondiaux - qui pèse particulièrement sur les pays à faible revenu -, l'instabilité politique au Mali, la recrudescence du choléra et la présence de criquets pèlerins dans le nord du Mali et du Niger.
Ces ravageurs des cultures, venus des confins de l'Algérie et de la Libye, ont trouvé dans le " Sahel des pâturages " un cadre favorable à leur reproduction. Pour la suite, tout va dépendre des pluies. " Si les régions où ils se trouvent actuellement se dessèchent, ils risquent de descendre vers le Sahel des cultures en septembre, affirme Annie Monard, de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Nous sommes dans l'expectative. "
Une infestation de grande ampleur pourrait menacer la sécurité alimentaire de 50 millions de personnes, estiment les Nations unies. Des équipes de surveillance sont actuellement déployées au Niger et dans la partie du Mali restée sous le contrôle du gouvernement central. Une réunion des experts régionaux est prévue du 3 au 5 septembre à Nouakchott, en Mauritanie. Mais l'impossibilité d'intervenir dans le nord du Mali, en raison de la rébellion en cours, augmente les risques.
De même, la présence de plus de 260 000 réfugiés maliens dans les pays limitrophes a aggravé la crise alimentaire, en accroissant la pression sur les vivres disponibles. Enfin, les camps de réfugiés sont un lieu particulièrement propice à la propagation du choléra, apparu début 2012 dans la région.
Selon l'Unicef, 29 000 cas et 700 décès ont été rapportés en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale depuis le début de l'année. Les pays côtiers - notamment le Sierra Leone, où 176 décès ont été recensés - et la boucle du Niger sont particulièrement touchés. " C'est excessivement inquiétant, avertit le responsable régional d'Action contre la faim, Dans un contexte de crise alimentaire et alors que les populations sont déjà affaiblies. "
Gilles van Kote
© Le Monde


06/08/2012

L'Afrique ne manque pas d'eau

Logo Courrier International

Le continent dispose d'importantes ressources en eau. Il manque en revanche les infrastructures de distribution et d'assainissement qui permettraient aux populations d'accéder à l'eau potable. Décryptage de ce paradoxe, en cartes.
06.08.2012 | Courrier international

Dans son sous-sol, le continent africain recèle 660 000 kilomètres cubes de réserves d'eau. Cette ressource est cent fois supérieure à la quantité d'eau en surface. Et pourtant, 330 millions d'Africains, soit 40 % de la population, n'ont pas accès à l'eau potable, rappelle le quotidien espagnol El País. Selon des chiffres de la Banque africaine de développement, il faudrait que l'Afrique consacre l'équivalent de 11,5 milliards d'euros par an pour créer ou renforcer des infrastructures de distribution et d'assainissement. Et si l'eau existe, certaines nappes sont enfouies en profondeur, rendant délicat et coûteux tout projet de creusement.

Le graphique ci-dessous montre ainsi que d'énormes nappes dans les zones sahariennes se situent à une profondeur de plus de 50 mètres. Il s'agit notamment d'eaux "fossiles" très anciennes (des millions d'années), mais qui ne se renouvellent pas.
L'accès à l'eau potable devient d'autant plus aigu que les populations urbaines augmentent rapidement. Le pourcentage de citadins devrait passer de 44 à 57 % entre 2010 et 2040, selon l'Association africaine de l'eau. Mais de fortes inégalités subsistent entre les principales métropoles dans l'approvisionnement en eau des habitants [voir graphique]. Alors que Le Caire (17,6 millions d'habitants) a un taux d'approvisionnement de 95 %, une ville comme Lagos (capitale économique du Nigeria) dont la population se situe entre 15 et 17 millions d'habitants fournit l'eau à moins de 65 % de ses citoyens.

L'ONU a inscrit dans son programme, intitulé Objectifs pour le millénaire, l'accès à l'eau potable à 80 % de la population mondiale.

06-08-afrique-eau-souterraine_0.jpg

04/08/2012

Thomas Sankara, une icône cinématographique



5 août 2012
Locarno (Suisse) Envoyé spécial
Au Festival de Locarno, un documentaire sur le président assassiné du Burkina Faso





Le capitaine Thomas Sankara, en 1985, à Ouagadougou.
DANIEL LAINE/AFP
Il y a bientôt un quart de siècle, le 15 octobre 1987, le capitaine Thomas Sankara, président du Burkina Faso, était assassiné à l'âge de 37 ans. L'image de ce dirigeant jeune, beau, brillant intellectuel, héros militaire et guitariste s'est effacée des mémoires, surtout en Europe. De cette icône toujours vivante en Afrique de l'Ouest, le réalisateur Christophe Cupelin propose une version cinématographique brutale et émouvante : Capitaine Thomas Sankara. Déjà présenté en avril au Festival Visions du réel, à Nyon, ce documentaire est construit exclusivement à partir d'images d'archives.
C'est au Burkina Faso que Christophe Cupelin est devenu documentariste. Coopérant suisse, il était arrivé avec une caméra super-8, en 1985. Il avait 19 ans. Alors qu'on lui avait demandé de porter des pierres sur un chantier, il s'est mis à prendre des images. " Le responsable est venu me voir, se souvient-il. J'ai eu peur qu'il m'oblige à arrêter, mais il m'a demandé de tout filmer pour monter qu'au Burkina on employait l'argent de l'aide pour construire. "
En 2007, Christophe Cupelin s'est trouvé associé aux célébrations du vingtième anniversaire de la mort de Thomas Sankara, et lui est venu le désir de consacrer un film à cette figure singulière. Au départ, il a pensé emprunter la voie classique, mêlant documents d'époque et témoignages. " Les entretiens n'étaient pas convaincants, explique-t-il, trop partisans, pour ou contre. " Il s'est alors décidé à recourir aux archives.
Mais le matériau est rare et en mauvais état. Thomas Sankara a affronté la puissance coloniale (images d'un dîner d'Etat offert à François Mitterrand, alors président de la République française), enflammé les scènes internationales (à Addis-Abeba, lors d'un sommet de l'Organisation de l'unité africaine, à New York, à la tribune des Nations unies) à une époque où les actualités étaient enregistrées sur bande magnétique.
Christophe Cupelin tire parti de la dégradation de ce support infidèle. L'image se décompose à l'écran et le spectateur se trouve élevé au rang de chercheur, poussé à reconstituer la réalité qui se cache derrière ces mouvements fantomatiques. On dirait que le réalisateur a exacerbé cette sensation en coloriant certaines images (les présentateurs des journaux télévisés français de l'époque ont un teint de Martien), mais il donne une autre raison à cette débauche de couleurs : " Au début, j'étais fâché contre le monde, son injustice, tout le film était colorisé, je me suis beaucoup calmé. "
Frères de lait
De cette sérénité forcée naît un film qui ne cache jamais l'affection et l'admiration que son sujet suscite chez le réalisateur. Une icône, donc, puisque Thomas Sankara est montré comme un saint incorruptible, qui faisait rouler les dignitaires du régime en Renault 5, et partageait ses décisions et ses doutes de chef d'Etat avec son meilleur ami, un autre capitaine, Blaise Compaoré.
La figure de l'actuel président du Burkina Faso hante le film de Christophe Cupelin. Considéré comme le responsable de l'assassinat de Thomas Sankara, auquel il succéda, Blaise Compaoré était aussi son frère de lait. Derrière le portrait exaltant d'un Camille Desmoulins africain, on devine l'ombre d'un Iago, qui aujourd'hui encore bloque l'enquête judiciaire ouverte après la mort sanglante de son frère d'armes.
Thomas Sotinel
© Le Monde