31/01/2012

Alerte sur une planète à bout de souffle

  

1er février 2012


A Greater Noida, près de New Delhi, les palissades d'un grand ensemble résidentiel. Beaucoup d'immeubles devront être construits en périphérie des mégapoles pour satisfaire les besoins en logements de la classe moyenne en pleine explosion.
ADNAN ABIDI/REUTERS
Un rapport de l'ONU avant le sommet de Rio + 20 s'inquiète de la pression grandissante sur les ressources naturelles




Un état des lieux très inquiétant
85 % des stocks de poissons sont surexploités au niveau mondial. La protection et la reconstitution des ressources marines figurent parmi les priorités urgentes pour les scientifiques, alors que la majorité de la population mondiale vit près des côtes. La multiplication des " zones mortes " provoquées par l'augmentation des rejets polluants liés à l'agriculture est jugée très préoccupante.
75 % des services rendus par la nature - pollinisation des cultures, filtration de l'eau, protection contre les inondations, etc. - sont considérés comme en déclin par les scientifiques.
13 millions d'hectares de forêt sont détruits chaque année, mettant à mal le principal réservoir de biodiversité.
Dioxyde de carbone Les émissions annuelles de CO2 ont augmenté de 38 % au niveau mondial entre 1990 et 2009. Limiter le réchauffement à 2 °C est de plus en plus hors de portée.
Le rapport remis lundi 30 janvier au secrétaire général des Nations unies est déjà présenté comme le successeur du fameux rapport Brundtland qui, en 1987, avait fait date en introduisant la notion de développement durable dans le débat international.
Rédigé à la demande de Ban Ki-moon par un groupe de vingt-deux personnalités de " haut niveau " et de tous horizons - parmi lesquelles le ministre indien du développement rural, Jairam Ramesh, la ministre brésilienne de l'environnement, Izabella Teixeira, la commissaire européenne au climat, Connie Hedegaard, et Gro Harlem Brundtland elle-même -, le document est censé mettre sous pression politique le sommet Rio + 20 qui réunira chefs d'Etat et de gouvernement du 20 au 22 juin dans la cité brésilienne et dont la visibilité peine à émerger dans une actualité dominée par la crise économique et financière.
Les faits mis bout à bout par ce rapport d'une centaine de pages devraient suffire à convaincre qu'un développement durable n'est plus comme, il y a vingt-cinq ans, un idéal aux contours flous, mais une urgente nécessité. Chaque année, dans les villes d'Asie, d'Amérique du Sud et, dans une moindre mesure, d'Afrique, 70 millions de personnes rejoignent les classes moyennes - soit 2 milliards d'ici à 2030 - et aspirent à un mode de vie et de consommation " occidentalisé ".
Dans le même temps, alors que la pauvreté a reculé partout dans le monde au cours des dernières décennies, la faim reste une réalité pour près d'un milliard de personnes. Pour satisfaire l'ensemble des besoins, il faudrait accroître la production agricole de 50 % d'ici à 2030, la production d'énergie de 45 % et améliorer la disponibilité en eau de 30 %.
Nos modèles de développement ne sont tout simplement pas compatibles avec les " limites " de la planète, affirme le rapport, faisant référence aux travaux menés par le Stockholm Resilience Center. Cet institut de recherches dirigé par un spécialiste des ressources marines, Johan Rockström, a proposé en 2009 un cadre dessinant les frontières à ne pas franchir pour ne pas mettre en péril l'équilibre physique de la planète et les capacités de renouvellement des ressources naturelles.
Il établissait ainsi " un espace de sécurité " à l'intérieur duquel inscrire les stratégies de développement à l'échelle mondiale. Neuf bornes ont été définies, parmi lesquelles le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la pollution chimique, la diminution de la couche d'ozone, la déforestation, la disponibilité en eau potable ou encore l'acidification des océans.
Or, pour trois d'entre elles - le changement climatique, l'érosion de la biodiversité et la perturbation du cycle de l'azote qui a notamment une incidence sur la fertilité des sols et la productivité des océans -, les chercheurs estimaient que les seuils avaient déjà été dépassés.
En vingt-cinq ans, ces seuils périlleux déjà évoqués par le rapport Brundtland sont donc devenus une réalité avec laquelle il va falloir composer. Faute de quoi, avertit le rapport, " nous courrons le risque de condamner jusqu'à trois milliards de personnes àla pauvreté ". Trois fois plus qu'aujourd'hui.
Cet état des lieux, plus qu'inquiétant lorsqu'on entrevoit ses possibles conséquences, mériterait toute l'attention des gouvernants. Pourtant, constatent les membres du groupe de travail qui ont tous, ou presque, exercé des responsabilités politiques, " il est difficile d'être contre le principe de développement durable, mais, dans la réalité, il existe peu d'incitations à le mettre en pratique ". Car " les politiques et les institutions sont récompensées sur des objectifs de court terme (...) et, pour les hommes politiques eux-mêmes, le temps qui compte est celui du présent ". L'avenir des générations futures reste donc secondaire.
L'audace des rapporteurs n'en est donc que plus grande, puisqu'ils proposent, dès 2014, de changer le logiciel de pilotage de l'économie mondiale en troquant progressivement le vieux produit intérieur brut (PIB) contre un indice du développement durable prenant en compte l'épuisement des ressources.
" La plupart des biens et des services vendus aujourd'hui n'intègrent pas correctement le coût social et environnemental lié à leur production ", expliquent-ils. La croissance telle que définie par le PIB omet de dire si cette performance matérielle est obtenue en détruisant l'environnement ou en malmenant les salariés, précise le rapport en citant le travail de la Commission sur la mesure de la croissance et du progrès social, créée en 2009 par Nicolas Sarkozy et présidée par les économistes Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi.
La communauté internationale est-elle prête à sauter le pas ? Parmi les 56 recommandations formulées par le rapport, le changement concret de paradigme apparaît bien comme l'un des enjeux majeurs sur lesquels les gouvernements auront à se prononcer à Rio + 20. Le seul susceptible de donner enfin une traduction concrète au développement durable.
Laurence Caramel
© Le Monde

21/01/2012

On n’a pas de droit de nous dire qu’on mangera quand on sera compétitif


Ibrahim Coulibaly

Témoignage

« On n’a pas de droit de nous dire qu’on mangera
quand on sera compétitif »



Ibrahim Coulibaly,
Président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali


Lors d’un discours devant le Comité de la Sécurité alimentaire le 19 octobre dernier1, Ibrahim Coulibaly, Président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali, nous livre le regard des agriculteurs africains sur le bilan désastreux des politiques d’inspiration libérale mises en oeuvre par les institutions internationales pour promouvoir le développement agricole. Contrairement aux objectifs visés, elles ont finalement fragilisé l’agriculture locale et appauvri de nombreux paysans. Partant de ce constat, Ibrahim Coulibaly livre les conditions qu’il juge nécessaires au développement de l’agriculture africaine et à son intégration dans le commerce international : réguler les marchés agricoles, physiques et financiers, et mettre en place une politique efficace de stockage. Le cycle de Doha est donc loin d’être le cycle du « développement » tel qu’il était intialement avancé et les propositions soutenues par Ibrahim Coulibaly constituent autant de points à méditer pour procéder à une révision rapide de l’agenda de l’OMC.
La rédaction de momagri

CONTRIBUTION DE IBRAHIMA COULIBALY SUR LA VOLATILITE DES PRIX AGRICOLES- CSA - 19 octobre 2011

Il y a près de quarante ans quand j’étais tout petit on ne parlait pas de volatilité. Je me rappelle encore que notre gouvernement donnait des charrues, des bœufs de labour, de l’engrais à crédit à nos parents. A l’époque il y avait un service public l’OPAM qui achetait les produits alimentaires aux familles paysannes à des prix connus d’avance.
Il y a environ trente ans j’étais au collège on nous a dit que c’était mieux de produire pour les marchés extérieurs et nous avons commencé à entendre dans le discours de nos hommes politiques un terme « DETERIORATION DES TERMES DE L’ECHANGE » une véritable complainte à l’époque mais qui n’a eu d’écho nulle part. De quoi s’agissait-il ? En vérité les prix des produits agricoles d’exportation s’effondraient sur le marché international. Les gouvernements d’alors avaient certes commis l’erreur fatale de pousser les paysans à produire plus de produits d’exportation mais quand cela a mal tourné seuls les paysans ont payé le lourd tribu.
L’effondrement de nos économies et l’endettement public dans les années 1980 a amené la BM et le FMI à mettre nos pays sous ajustement structurel.
On nous a dit alors que l’Etat était inefficace et que nous devions donner plus de place au privé. En même temps nos Etats étaient obligés de s’endetter encore plus pour rétablir les équilibres macro économiques. On nous a dit qu’il fallait couper tout soutien à l’agriculture paysanne qualifiée de non-performante, une véritable campagne de démolition contre cette agriculture a alors été engagée par la BM et ses alliés.
On nous a dit de produire encore plus de produits de rentes pour l’exportation, comme le coton, café, arachides à des prix très bas fixés à l’extérieur. Avec ces devises on nous a dit d’acheter du riz d’Asie ou de la farine et du lait en poudre d’Europe, qui aujourd’hui sont devenus si volatiles. La descente aux enfers avait commencé pour les familles paysannes et pour nos Etats surendettés et incapables de payer.
Puis on nous a dit de devenir compétitifs selon les critères des institutions financières internationales, et que nos Etats n’étaient plus autorisés de nous protéger. Tous nos tarifs douaniers ont été démantelés et nos marchés ont été libéralisés, des produits alimentaires venus d’ailleurs ont commencé à se déverser à bas prix sur nos marchés nous rendant encore plus vulnérables à la volatilité des prix. Les habitudes alimentaires ont changé dans les villes ; les productions vivrières des familles paysannes ne pouvaient plus se vendre. Ce phénomène a été aggravé en Afrique de l’Ouest par l’avènement de l’UEMOA (Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest) et son Tarif Extérieur Commun connu pour être le tarif douanier le plus faible dans le monde.
Mais aucune de ces « solutions » qui nous ont été imposées ne nous ont sortis de la pauvreté. Pire encore, on est devenus encore plus vulnérables. C’est dans un tel contexte que l’on demande à l’agriculture familiale d’être performante.
Aujourd’hui on doit subir de nouveaux enjeux qui nous tombent du ciel. Le changement climatique, la spéculation financière, les marchés internationaux imprévisibles, de nouvelles politiques de pays développés qui nous accaparent nos terres pour faire des carburants. Mais par rapport a cela on ne nous dit plus rien. Pourtant ceci est au cœur de la volatilité dont on parle maintenant.
Plutôt que de répondre aux causes de notre pauvreté et de la volatilité on a vu de véritables catalogues de projets et programmes financés au nom du secteur rural. Des milliards de dollars sont mobilisés chaque année mais la réalité est que plus de la moitié des familles paysannes dans la plupart de nos pays ne peuvent pas accéder à 1000 dollars pour se payer une charrue, une paire de bœufs, une charrette, un âne ( étude de la FAO sur la mécanisation agricole au Mali). Le haut panel d’experts devrait être mandaté pour faire une étude sur l’efficacité de qui est mobilisé au nom des pauvres (quand plusieurs centaines de millions de dollars sont mobilisés, combien arrivent dans les champs des pauvres, aux femmes dont on parle tant ? Vous serez étonnés des résultats d’une telle étude. Ou peut être pas du tout, parce que depuis le temps qu’on mobilise tous ces millions en notre nom, nous serions tous riches déjà.
Malgré tout cela, sans aides d’aucune forme, sans aucune protection et avec tous les puissants du monde contre elle, l’agriculture paysanne n’a pas disparu.
Malheureusement il a fallu la crise actuelle pour que nos gouvernements reprennent conscience de la nécessité de la sécurité alimentaire sur base de la production alimentaire au niveau national. Cependant les solutions durables se font attendre.
Pour solutionner ce problème de volatilité de prix nous paysans, avec l’appui des autres acteurs de la société civile, pensons qu’il est nécessaire de ; ← Donner la priorité à nos marchés locaux, à l intégration régionale, plutôt que de laisser nos prix se faire dicter par ces marchés internationaux lointains et imprévisibles. C’est la seule solution pour que nous, paysans, puissions nous nourrir ainsi que nos communautés et nos villes.
← Il faut arrêter toutes les formes de compétition entre des agricultures et des modes de productions ayant de très grands écart de productivité (la houe contre le tracteur plus la subvention cela passe difficilement). On n’a pas de droit de nous dire qu’on mangera quand on sera compétitif.
← Il faut arrêter ces politiques qui viennent déstabiliser nos agricultures paysannes. Quand il y a surproduction nous subissons le dumping, quand il y a pénurie nous subissons les restrictions des exportations pour l’alimentation qu’on nous a dit de ne plus produire.
← Il faut que nos gouvernements aient l’ambition de politiques qui nous sortent de la pauvrette et de la misère, qu’ils protègent nos agricultures paysannes des marchés volatiles et nous soutiennent pour qu’on puisse investir pour nourrir nos populations.
← On sait comment il faut faire, des instruments existent pour stabiliser les prix : des tarifs douaniers adaptés, des stocks stratégiques à différents niveaux, gérer l’offre et la demande, réguler contre les spéculateurs, … au nom de quel droit l’OMC nous interdit-il de le faire ?
← Permettre aux paysans, aux femmes, aux groupes vulnérables en milieu rural d’accéder réellement aux fonds mobilisés en leur nom pour acheter du matériel agricole, des fertilisants, des semences, de créer de la valeur sur leurs produits afin qu’ils puissent commencer à vivre dignement de leur travail,
Pour finir je voudrai inciter chacun d’entre nous de méditer quand nous allons nous asseoir devant nos plats de victuailles ce midi, de penser que des humains sont en train de mourir en ce moment même de faim ou de malnutrition parce que des réunions coûteuses sont organisés autour de leur sort sans que les actes qui pourraient les sauver ne soient posés. Nous ne pouvons plus attendre.