31/01/2011

LES DAMNES DE L'EAU

LOS SIN AGUA


Un documentaire de Jean ORTIZ et Dominique GAUTIER
qui dénonce les ravages d'une multinationale "voyoue", qui confisque l'eau des communautés rurales du centre du Chili, et empoisonne les quelques filets restants. Elle a construit, en pleine Cordillère des Andes, la plus grande poubelle chimique d'Amérique latine.
Les "comuneros" résistent...



09/01/2011

Lyonel Trouillot : " Les Haïtiens ne sont pas écoutés "

 
9 janvier 2011
Un an après le séisme de Port-au-Prince, l'écrivain haïtien estime que "l'on ne peut pas parler de reconstruction " 
ENTRETIEN
Un champ de ruines, des camps de tentes et des bidonvilles : un an après le séisme qui a dévasté Port-au-Prince et sa région, le 12 janvier 2010, la reconstruction de la capitale haïtienne est au point mort. A peine 5 % des décombres ont été dégagés, moins d'un milliard de dollars ont été versés par la communauté internationale sur les 10 milliards (7,75 milliards d'euros) promis, et pas un édifice n'a été rebâti.
Pire : une épidémie de choléra endeuille le pays, accompagnée d'une virulente polémique sur son origine, qui pourrait être liée à la présence de casques bleus népalais ; et l'élection présidentielle censée désigner un successeur au président René Préval a été ajournée en raison d'accusations de fraudes qui ont débouché sur une grave crise politique.
" On ne peut pas parler de reconstruction ", estime l'écrivain Lyonel Trouillot dans un entretien au Monde. Né en 1956 à Port-au-Prince, il est l'un des rares représentants de l'élite intellectuelle à avoir choisi de rester vivre en Haïti. " Dictaphone de ses contemporains ", selon ses propres termes, auteur d'une oeuvre puissante sur la société haïtienne (La Rue des pas perdus, Actes Sud, 2002 ; Yanvalou pour Charlie, Actes Sud, 2009), cette grande figure de la scène littéraire et du combat pour la démocratie a collaboré, en novembre 2010, à l'ouvrage collectif Refonder Haïti (éd. Mémoire d'encrier).
Un an après le séisme, peut-on dire que la reconstruction a commencé ?
La reconstruction ? De quoi ? Par qui ? Avec quoi ? En fonction de quelle vision globale des besoins de la société ? Il n'y a qu'à voir le Palais national, encore dans l'état où l'a laissé le séisme. Non, on ne peut pas parler de reconstruction. Ni sur le plan symbolique. Ni sur le plan matériel. Promesses non tenues des uns (du côté de la communauté internationale), incompétence et insouciance des autres (du côté des responsables politiques haïtiens).
Ajoutez à cela le manque de coordination et l'incapacité ou le refus de faire appel aux capacités haïtiennes, d'impliquer les Haïtiens en tant que sujets dans les projets de reconstruction de leur pays, il y a très peu de fait.
Pensez-vous que l'épidémie de choléra et la polémique sur son origine ont ruiné la confiance de la population dans les Nations unies ?
L'épidémie de choléra a contribué à exacerber le sentiment - majoritaire en Haïti - de la présence d'une mission des Nations unies qui ne sert pas à grand-chose. Il n'est pas rare d'entendre dire que quand la mission sera (enfin) partie, elle nous aura laissé le choléra pour preuve de son passage. Quel autre souvenir laissera-t-elle dans les mémoires ? Au-delà du ressenti des Haïtiens, il faudra que l'on ose évaluer les moyens mis en oeuvre par rapport aux résultats.
Mais la crise n'est pas le résultat d'un manque de confiance. Ce n'est pas un " manque de confiance " qui est à l'origine des politiques qui ont conduit à cette situation catastrophique, ce sont des décideurs nationaux et internationaux. C'est la gestion catastrophique des multiples crises et leur aggravation qui explique le manque de confiance.
Haïti était, avant le séisme, un pays profondément inégalitaire. La reconstruction peut-elle s'attaquer à cet enjeu ?
La reconstruction ne peut se concevoir sans la transformation des structures sociales haïtiennes. C'est ce que nombre de citoyens haïtiens clament depuis un an : un système scolaire républicain ; des services publics pour l'ensemble des citoyens ; le respect des différentes composantes culturelles de l'haïtianité (non pas prise comme enfermement mais comme enrichissement permanent) et le respect de la culture populaire ; des institutions démocratiques non inféodées à l'exécutif.
Ce n'est pas une affaire pour des affairistes en mal de contrats, technocrates de seconde zone et autres prédateurs à l'affût d'un marché. Avec le pouvoir politique actuel, qui n'a ni le sens de l'urgence ni une vision à long terme, on voit mal s'accomplir une telle tâche.
Considérez-vous que les Haïtiens ne sont pas suffisamment associés à la reconstruction ?
Que les Haïtiens ne soient pas écoutés, c'est une évidence. Les organisations non gouvernementales, pour ne nommer qu'elles, fonctionnent, pour la plupart, selon leurs propres évaluations des besoins, développent seules leurs stratégies, leurs agendas...
Sur le plan politique, l'ensemble de la société haïtienne avait prédit que l'élection présidentielle du 28 novembre 2010 tournerait à la catastrophe, avec un Conseil électoral inféodé à l'exécutif, la machine de l'Etat mise au service de la plate-forme dirigée par le président sortant.
Il faudrait demander à l'Organisation des Etats américains, aux Nations unies et au reste de la communauté internationale pourquoi ils n'ont pas écouté ces voix haïtiennes. Comment peut-on prétendre, même avec les meilleures intentions, reconstruire le pays sans être à l'écoute de ses pulsations ?
Vous avez dénoncé, fin décembre, une dérive autoritaire du pouvoir. Craignez-vous que la crise politique débouche sur une guerre civile ?
Il n'y a pas de risque de guerre civile, à mon avis. Mais il est bête de la part du président Préval de s'engager dans un bras de fer avec un pays qui a choisi la rupture. Le président Préval a cru qu'il pouvait choisir son successeur et l'imposer. Ce n'est pas chose possible.
La rupture est le choix national, parce que les gens sont fatigués de ne pas sentir que leur parole et leurs besoins sont portés par les représentants politiques haïtiens, parce que les gens sont fatigués de voir que rien ne change ni sur le plan structurel ni dans leur quotidien, à part les services de santé d'urgence. Parce que les gens sont fatigués de vivre dans un pays qui n'est pas dirigé. Ils demandent une direction politique digne et efficace. La tendance est donc de mettre dans un même panier le gouvernement haïtien et la communauté internationale comme coauteurs d'un grand désordre qui n'amène rien de bien.
Propos recueillis par Grégoire Allix
© Le Monde
 

" Les nuits sont enceintes " : Edgar Morin



9 janvier 2011

En 2010, la planète a continué sa course folle propulsée par le moteur aux trois visages mondialisation-occidentalisation-développement qu'alimentent science, technique, profit sans contrôle ni régulation.
L'unification techno-économique du globe se poursuit, sous l'égide d'un capitalisme financier effréné, mais elle continue à susciter en réaction des " refermetures " ethniques, nationales, religieuses, qui entraînent dislocations et conflits. Libertés et tolérances régressent, fanatismes et manichéismes progressent. La pauvreté se convertit non seulement en aisance de classe moyenne pour une partie des populations du globe, mais surtout en immenses misères reléguées en énormes bidonvilles.
L'occidentalisation du monde s'est accompagnée du déclin désormais visible de l'Occident. Trois énormes nations ont monté en puissance ; en 2010, la plus ancienne, la plus peuplée, la plus économiquement croissante, la plus exportatrice intimide les Etats d'Occident, d'Orient, du Sud au point de susciter leur crainte d'assister à la remise d'un prix Nobel à un dissident chinois emprisonné.
En 2010 également, pour une première fois, trois pays du Sud se sont concertés à l'encontre de toute influence occidentale : Turquie, Brésil et Iran ont créé ce sans précédent. La course à la croissance inhibée en Occident par la crise économique se poursuit en accéléré en Asie et au Brésil.
La mondialisation, loin de revigorer un humanisme planétaire, favorise au contraire le cosmopolitisme abstrait du business et les retours aux particularismes clos et aux nationalismes abstraits dans le sens où ils s'abstraient du destin collectif de l'humanité.
Le développement n'est pas seulement une formule standard d'occidentalisation qui ignore les singularités, solidarités, savoirs et arts de vivre des civilisations traditionnelles, mais son déchaînement techno-économique provoque une dégradation de la biosphère qui menace en retour l'humanité.
L'Occident en crise s'exporte comme solution, laquelle apporte, à terme, sa propre crise. Malheureusement, la crise du développement, la crise de la mondialisation, la crise de l'occidentalisation sont invisibles aux politiques. Ceux-ci ont mis la politique à la remorque des économistes, et continuent à voir dans la croissance la solution à tous les problèmes sociaux. La plupart des Etats obéissent aux injonctions du Fonds monétaire international (FMI), qui a d'abord partout prôné la rigueur au détriment des populations ; quelques-uns s'essaient aux incertitudes de la relance
Mais partout le pouvoir de décision est celui des marchés, c'est-à-dire de la spéculation, c'est-à-dire du capitalisme financier. Presque partout les banques, dont les spéculations ont contribué à la crise, sont sauvées et conservées. Le marché a pris la forme et la force aveugle du destin auquel on ne peut qu'obéir. La carence de la pensée partout enseignée, qui sépare et compartimente les savoirs sans pouvoir les réunir pour affronter les problèmes globaux et fondamentaux, se fait sentir plus qu'ailleurs en politique. D'où un aveuglement généralisé d'autant plus que l'on croit pouvoir disposer des avantages d'une " société de la connaissance ".
Le test décisif de l'état de régression de la planète en 2010 est l'échec de la personne la plus consciente de la complexité planétaire, la plus consciente de tous les périls que court l'humanité : Barack Obama. Sa première et modeste initiative pour amorcer une issue au problème israélo-palestinien, la demande du gel de la colonisation en Cisjordanie, s'est vu rejeter par le gouvernement Nétanyahou. La pression aux Etats-Unis des forces conservatrices, des évangélistes et d'une partie de la communauté juiver paralyse tout moyen de pression sur Israël, ne serait-ce que la suspension de l'aide technique et économique. La dégradation de la situation en Afghanistan l'empêche de trouver une solution pacifique au conflit, alors qu'il est patent qu'il n'y a pas de solution militaire. L'Irak s'est effectivement démocratisé, mais en même temps s'est à demi décomposé et subit l'effet de forces centrifuges. Obama résiste encore aux énormes pressions conjuguées d'Israël et des chefs d'Etat arabes du Moyen-Orient pour intervenir militairement en Iran. Mais la situation est devenue désespérée pour le peuple palestinien.
Tandis qu'Etats-Unis et Russie établissent en 2010 un accord pour la réduction des armes nucléaires, le souhait de dénucléarisation généralisée, unique voie de salut planétaire, perd toute consistance dans l'arrogance nucléaire de la Corée du Nord et l'élaboration probable de l'arme nucléaire en Iran. Si tout continue l'arme nucléaire sera miniaturisée, généralisée et privatisée.
Tout favorise les montées aux extrêmes y compris en Europe. L'Europe n'est pas seulement inachevée, mais ce qui semblait irréversible, comme la monnaie unique, est menacé. L'Europe, dont on pouvait espérer une renaissance de créativité, se montre stérile, passive, poussive, incapable de la moindre initiative pour le conflit israélo-palestinien comme pour le salut de la planète. Pire : des partis xénophobes et racistes qui prônent la désintégration de l'Union européenne sont en activité. Ils demeurent minoritaires, comme le fut pendant dix ans le parti nazi en Allemagne que nul dans le pays le plus cultivé d'Europe, dans le pays à la plus forte social-démocratie et au plus fort Parti communiste, n'avait imaginé qu'il puisse accéder légalement au pouvoir.
La marche vers les désastres va s'accentuer dans la décennie qui vient. A l'aveuglement de l'homo sapiens, dont la rationalité manque de complexité, se joint l'aveuglement de l'homo demens possédé par ses fureurs et ses haines.
La mort de la pieuvre totalitaire a été suivie par le formidable déchaînement de celle du fanatisme religieux et celle du capitalisme financier. Partout, les forces de dislocation et de décomposition progressent. Toutefois, les décompositions sont nécessaires aux nouvelles compositions, et un peu partout celles-ci surgissent à la base des sociétés. Partout, les forces de résistance, de régénération, d'invention, de création se multiplient, mais dispersées, sans liaison, sans organisation, sans centres, sans tête. Par contre, ce qui est administrativement organisé, hiérarchisé, centralisé est sclérosé, aveugle, souvent répressif.
L'année 2010 a fait surgir en Internet de nouvelles possibilités de résistance et de régénération. Certes, on avait vu au cours des années précédentes que le rôle d'Internet devenait de plus en plus puissant et diversifié. On avait vu qu'il devenait une force de documentation et d'information sans égale ; on avait vu qu'il amplifiait son rôle privilégié pour toutes les communications, y compris celles effectuées pour les spéculations du capitalisme financier et les communications cryptées intermafieuses ou interterroristes.
C'est en 2010 que s'est accrue sa force de démocratisation culturelle qui permet le téléchargement gratuit des musiques, romans, poésies, ce qui a conduit des Etats, dont le nôtre, à vouloir supprimer la gratuité du téléchargement, pour protéger, non seulement les droits d'auteur, mais aussi les bénéfices commerciaux des exploitants des droits d'auteur.
C'est également en 2010 que s'est manifestée une grande force de résistance informatrice et démocratisante, comme en Chine, et durant la tragique répression qui a accompagné l'élection truquée du président en Iran. Enfin, la déferlante WikiLeaks, force libertaire ou libertarienne capable de briser les secrets d'Etat de la plus grande puissance mondiale, a déclenché une guerre planétaire d'un type nouveau, guerre entre, d'une part, la liberté informationnelle sans entraves et, d'autre part, non seulement les Etats-Unis, dont les secrets ont été violés, mais un grand nombre d'Etats qui ont pourchassé les sites informants, et enfin les banques qui ont bloqué les comptes de WikiLeaks. Dans cette guerre, WikiLeaks a trouvé des alliés multiples chez certains médias de l'écrit ou de l'écran, et chez d'innombrables internautes du monde entier.
Ce qui est remarquable est que les Etats ne se préoccupent nullement de maîtriser ou au moins contrôler " le marché ", c'est-à-dire la spéculation et le capitalisme financier, mais par contre s'efforcent de juguler les forces démocratisantes et libertaires qui font la vertu d'Internet. La course a commencé entre le désespérant probable et l'improbable porteur d'espoir. Ils sont du reste inséparables : " Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve " (Friedrich Hölderlin), et l'espérance se nourrit de ce qui conduit à la désespérance.
Il y eut même, en 1940-1941, le salut à partir du désastre ; des têtes de génie sont apparues dans les désastres des nations. Churchill et de Gaulle en 1940, Staline qui, paranoïaque jusqu'aux désastres de l'Armée rouge et de l'arrivée de troupes allemandes aux portes de Moscou, devint en automne 1941 le chef lucide qui nomma Joukov pour la première contre-offensive qui libéra Moscou. C'est avec l'énergie du désespoir que les peuples de Grande-Bretagne et d'Union soviétique trouvèrent l'énergie de l'espoir. Quelles têtes pourraient surgir dans les désastres planétaires pour le salut de l'humanité ? Obama avait tout pour être une de ces têtes, mais répétons-le : les forces régressives aux Etats-Unis et dans le monde furent trop puissantes et brisèrent sa volonté en 2010.
Mais le probable n'est pas certain et souvent c'est l'inattendu qui advient. Nous pouvons appliquer à l'année 2011 le proverbe turc : " Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra. "
Edgar Morin
Sociologue et philosophe
Né en 1921, est directeur de recherches émérite au CNRS, président de l'Agence européenne pour la culture (Unesco) et président de l'Association pour la pensée complexe. II a publié en 2010 " Pour et contre Marx " (Temps présent), " Ma gauche " (Bourin Editeur, 2010), " Comment vivre en temps de crise ? " (avec Patrick Viveret), aux éditions Bayard.
© Le Monde

03/01/2011

Appel à la CEDEAO: «Vos peuples sont en danger. Ne vous trompez pas de guerre»


MEDIAPART

Un collectif d'intellectuels africains lance un appel aux dirigeants des pays membres de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest pour leur demander de penser d'abord à leurs populations avant de s'engager dans le conflit en Côte d'Ivoire.
La situation insolite et inédite de deux « Présidents » et « deux gouvernements » à la tête de la même Côte d'Ivoire est certainement déconcertante. Mais bien plus préoccupante est la conformité de vues, entre les dirigeants des pays membres de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et le reste de la « communauté internationale » sur les sanctions à infliger au Président Laurent Gbagbo, dont le recours à la force, s'il refuse de céder le pouvoir à Alassane Dramane Ouattara.
La CEDEAO mettra-t-elle cette dernière menace à exécution en assumant ainsi, de manière ouverte, le rôle de bras armé de l'impérialisme collectif qui se cache derrière l'appellation pompeuse et trompeuse de « communauté internationale » ?
La paix en Côte d'Ivoire et en Afrique, d'une manière générale, est au prix de la lucidité, de la solidarité et du courage politique dont nos dirigeants feront preuve dans un monde globalisé injuste et violent.
Nous tenons à rappeler aux chefs d'Etat africains qu'ils se trompent d'ennemi et de guerre pour les raisons suivantes, valables pour la quasi-totalité de nos pays:
1.   L'échec notoire du système électoral prôné :

Il y a dix ans, dans la Déclaration de Bamako sur la Démocratie, les Droits et les Libertés, en date du 03 novembre 2000, les Ministres et les Chefs de délégation des Etats et gouvernements ayant le français en partage relevaient en plus des « acquis indéniables », des insuffisances et des échecs qui, ont pris aujourd'hui des proportions alarmantesIls ont pour noms : « récurrence des conflits, interruption de processus démocratiques, génocide et massacres, violations graves des droits de l'Homme, persistance de comportements freinant le développement d'une culture démocratique, manque d'indépendance de certaines institutions et contraintes de nature économique, financière et sociale, suscitant la désaffection du citoyen à l'égard du fait démocratique ».

Y a-t-il lieu d'envisager une intervention militaire en Côte d'Ivoire, au nom d'un système électoral si défaillant ?

2.   Les pièges du système néolibéral :

Ce système électoral inadapté et cruellement dépendant de l'«expertise» et de financements extérieurs est au service d'un modèle économique particulièrement désastreux en Afrique. Il rime avec pillage des richesses du continent, chômage endémique, pauvreté, injustices, corruption et violences. Les taux de croissance salués par la « communauté internationale » n'ont pas d'incidence sur la situation de l'immense majorité des Africains.

Alors au nom de quel projet de société, la CEDEAO devrait-elle s'engager dans une intervention militaire en Côte d'Ivoire ?

3.   Des « démocraties » minoritaires :

L'enthousiasme et les espérances que les premières élections suscitèrent ne sont plus au rendez-vous comme l'attestent les taux de participation aux élections présidentielles généralement inférieurs à 50%, sauf dans les pays en crise (Guinée, Côte d'Ivoire par exemple) où les populations caressent l'illusion d'instaurer la paix par le vote.
Au lieu du rôle de gendarme que la « communauté internationale » lui confie au risque de la discréditer, la CEDEAO ne devrait-elle pas chercher d'abord à conférer à la démocratie un sens qui réconcilie les Africains avec la politique ?
  
4.   Des graves régressions politiques :

L'Etat postcolonial qui se voulait souverain est devenu l'Etat sous-tutelle des institutions de Bretton Woods, chargé de libéraliser, de privatiser et de gérer ensuite les conséquences sociales dramatiques de cette politique. L'impopularité des gouvernants démocratiquement élus tient en grande partie aux réformes contraignantes et souvent erronées du FMI et de la Banque mondiale qui  dégagent leur responsabilité en cas de soulèvement des populations.
Faut-il que la CEDEAO, au nom d'une démocratie que les argentiers foulent au pied, ajoute davantage à l'injustice et à la souffrance du peuple ivoirien ?

5.   Dépolitisation, personnalisation et ethnicisation:

Pour ou contre Untel ou Untel sont les termes de la démocratie au rabais qui est servie aux peuples mineurs que nous sommes dans l'imaginaire de l'Occident. Et, malheureusement, ça marche.
Rares sont les acteurs politiques qui se donnent la peine de familiariser l'électorat avec les enjeux économiques, pétroliers, miniers, géopolitiques et militaires qui engagent le destin de notre continent.
Qu'y a-t-il d'étonnant si à partir de ce moment les électeurs se saisissent de repères tels que l'ethnie et la religion ?

6.   L'imposture de la « communauté internationale» :

On n'aura jamais autant entendu parler de la « communauté internationale » en Afrique que ces dernières semaines. Alors, le citoyen ordinaire se demande : « qui est-elle ? »
Elle est une dangereuse construction de l'après guerre froide qui se pose en garant du droit international, mais ses exigences varient selon les lieux et les circonstances. Ses membres sont, entre autres, le Conseil de Sécurité - une institution non démocratique dont les résolutions sont ignorées par l'Etat d'Israël, protégé par les Etats-Unis -, les Etats-Unis d'Amérique - qui ont envahi l'Irak au nom d'armes de destruction massive qui n'existaient pas -, l'Union Européenne (UE) - dont les desseins sont clairs à travers les Accords de Partenariat Economique (APE) qu'elle tient à imposer aux pays ACP-, la France - dont les forfaits sont brillamment illustrés par le documentaire de Patrick Benquet : La Françafrique -, le FMI et la Banque mondiale - qui dans un monde autre que celui-ci devraient être traduits devant la justice internationale pour crime contre l'Afrique.
Quant à l'Union Africaine (UA) et la CEDEAO, leur fonctionnement est à l'image des Etats qui les composent : frileuses, financièrement dépendantes, elles sont plus à l'écoute des grandes puissances et des institutions de Bretton Woods que de leurs peuples, de plus en plus désemparés et en danger.
Aux conséquences incommensurables des sanctions économiques, faut-il ajouter celles désastreuses de la violence militaire en Côte d' Ivoire?

7.   L'instrumentalisation de la souffrance et du désarroi des Africains :

Les électeurs et les électrices ivoiriens et africains sont, en somme, des victimes collatérales de la guerre économique qui fait rage à l'échelle de la planète. La pauvreté que le modèle économique dominant leur impose, et leur souffrance sont instrumentalisés dans le cadre d'élections dites « transparentes », « régulières » et « démocratiques » qui, comme nous l'avons déjà souligné, ne répondent en rien à leur quête légitime de dignité.

8.   L'opacité des enjeux :

Personne ne peut croire un seul instant que l'auteur du discours de Dakar sur l'homme africain et père de l'immigration choisie se soucie des droits des Africains et de la démocratie en Afrique. L'ancienne puissance coloniale a surtout besoin de préserver ses intérêts en Côte d'Ivoire qui, aujourd'hui comme au lendemain des indépendances, lui sert de point d'ancrage ainsi que de  tremplin dans la sous région.
Quant aux Etats Unis d'Amérique, une partie de la réponse à leur demande, considérable, en pétrole se trouve dans le Golfe de Guinée.

Y a-t-il un lien quelconque entre ces desseins et la démocratie que les peuples d'Afrique appellent de tous leurs vœux ?

9.   La crise systémique du capitalisme :

Les dirigeants africains sont victimes du discours mensonger du « win-win » qui prétend que tout le monde peut gagner dans la mondialisation néolibérale, dont la faillite est désormais évidente. Aussi s'efforcent-ils d'entrer dans le moule préfabriqué de « la croissance accélérée », de la « bonne gouvernance » et de la « démocratie » etc.
L'histoire qui est train d'être écrite, à coup de larmes et de sang, en Côte d'Ivoire, n'est pas qu'une crise politique et institutionnelle grave, dont l'issue dépendrait des seuls acteurs ivoiriens. Elle est l'une de ces guerres de « basse intensité » que l'ordre cynique du monde impose aux peuples dominés, tout en ne jurant que par la « démocratie », les « droits de l'homme » et les « libertés ».

10.        La crise de leadership mondial et la question de l'éthique :

Face à la crise structurelle et systémique du capitalisme mondialisé, il n'y a pas d'homme providentiel en Côte-d'Ivoire, ni même aux Etats-Unis où l'élection de Barack Obama a pu faire croire le contraire. Le Président américain et son homologue français, Nicolas Sarkozy, qui visiblement n'ont que des certitudes quand il s'agit de la démocratie en Afrique, sont confrontés aux pires difficultés dans leurs propres pays, du fait de la nature inique de ce  système économique dans lequel les africains sont embarqués à leur insu. La dé-protection de nos économies, la concurrence déloyale et surtout la mise en échec délibéré de l'Etat au nom de la croissance et de la compétitivité sont autant d'options qui n'ont rien d'éthique.
L'ordre actuel du monde n'a pas besoin d'Alassane Dramane Ouattara et encore moins de Laurent Gbagbo, mais des richesses et de la position géostratégique de la Côte-d'Ivoire en Afrique de l'Ouest.
Espérons que cette réalité cruelle, qui n'est un secret pour personne, contribuera à dépassionner le débat et à inciter les protagonistes de la crise ivoirienne, et de manière générale les décideurs politiques africains, à plus de lucidité et de maturité politique.

DECLARATION

Face à cette offensive sans précédent de « la communauté internationale » contre un Etat souverain au nom de la démocratie et face à l'instrumentalisation de  la CEDEAO, Nous exprimons :
-      Notre solidarité avec le peuple frère et meurtri de Côte d'Ivoire qui est le véritable perdant de la « démocratie » formelle, dictatoriale et belliqueuse que les puissances occidentales imposent aux autres à coups de chantage au financement et de corruption.
-      Notre profond désaccord avec l'usage de la force contre un Etat souverain au mépris des vies humaines, de la cohésion sociale et la paix, déjà malmenées.
-      Notre conviction que la « communauté internationale » n'est qu'une coalition de puissances et d'intérêts qui fait la loi à travers le Conseil de Sécurité, les institutions financières et autres instances.
-      Notre désapprobation de l'alignement de l'Union Africaine (UA) et la CEDEAO sur des positions compromettantes et dangereuses.
-      Notre indignation face à l'ingérence arrogante et décomplexée des Nations Unies, qui outrepassent leur rôle en Côte d'Ivoire, et face aux pressions et aux sanctions, dont celles scandaleuses du Fond Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale - qui oublient qu'ils ont une part considérable de responsabilité dans la situation dramatique de l'Afrique.
-      Notre consternation face à la violation des droits politiques des Africains, qui devraient être les seuls juges de l'état de leurs pays et de la conduite de leurs dirigeants et face à l'infantilisation de l'électorat africain par un système qui érige le vote en une fin en soi.
-      Notre révolte face aux supercheries des puissants de ce monde, notamment la France et les Etats-Unis, qui inversent les rôles en Côte d'Ivoire en s'érigeant en sauveurs des peuples et faiseurs de paix, alors qu'ils sont fauteurs de guerre. L'Irak, l'Afghanistan, le Pakistan, pour ne citer que les faits plus récents sont devenus de véritables bourbiers attestant que la démocratie ne s'exporte pas.
-       Notre dépit vis à vis de la Cour Pénale Internationale (CPI) qui ignore que les victimes des massacres pré et post électoraux sont d'abord des hommes et des femmes que le système, dont elle est l'une des armes, affame, exclut et tue à petit feu par millions.
-      Notre conviction que la réforme en profondeur du système des Nations Unies, que les mouvements sociaux appellent de leurs vœux, s'impose non pas seulement en termes de représentation du continent, mais d'éthique.
-      Notre conviction que la situation dramatique en Côte d'Ivoire justifie l'évaluation dans les meilleurs délais des pratiques démocratiques en Afrique.
-      Notre détermination à éveiller les consciences, notamment celles des femmes et des jeunes, de telle sorte que le vote influe sur les politiques économiques qui sont à l'origine du chômage, de la faim et de l'exil.
-      Notre volonté de faire du Forum Social Mondial (FSM) de Dakar (du 6 au 11 février 2011) le lieu par excellence de la confrontation des idées sur les alternatives au capitalisme mondialisé et destructeur.

Personne ne doit mourir en Côte d'Ivoire, ni ailleurs en Afrique, au nom d'une démocratie décrédibilisée et dévoyée parce que conçue, financée et évaluée de l'extérieur par des puissances d'argent en quête de dirigeants « sûrs ».

Alors, trêve d'ingérence, d'arrogance et d'humiliation ! Chaque peuple s'indigne, résiste et se libère en se référant à son histoire et son propre vécu des injustices et d'asservissement.

Puissent  les souffrances infligées aux peuples d'Afrique servir de levain pour l'émergence de valeurs, de structures et d'institutions démocratiques, pacifiques et humanistes ici et de par le monde.

SIGNATAIRES :
Aminata Dramane TRAORE (Forum pour un Autre Mali) ; Demba Moussa DEMBELE (Forum Africain des Alternatives) ; Pr Jean Bosco KONARE (Enseignant) ; Ray LEMA (Artiste musicien) ; Cati BENAÏNOUS, Ismaël DIABATE (Artiste peintre) ; Bernard FOUNOU (Forum du Tiers-monde) ;  Nathalie M'Dela MOUNIER ( Ecrivain) ; Antonia REIS (Interprète) ; Clariste SOH-MOUBE (Centre Amadou Hampâté Bâ) ; Mohamed EL BECHIR BEN ABDALLAH (Président de la Coordination des Partants Volontaires à la Retraite- CPVR) ; Borry KANTE (au nom de toute la CPVR - 5666 adhérents) ; Taoufik BEN ABDALLAH (Enda Tiers-Monde)
Pour plus d'informations ou si vous voulez vous joindre à cet appel: http://www.foram-forum-mali.org/