27/04/2012

La course aux terres ne profite pas aux pays du sud


28 avril 2012

Les investissements se concentrent dans les pays pauvres où la propriété foncière est mal garantie




Le phénomène des achats et locations de terres agricoles à grande échelle est l'objet, depuis la fin des années 2000, de débats passionnés. Le projet Land Matrix, qui rassemble cinq partenaires dont, pour la France, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), s'est donné pour but d'y insuffler un peu de rationalité et d'approche scientifique. D'où l'ouverture, vendredi 27 avril, d'un nouveau site internet : (www.landportal.info/landmatrix) sur lequel doit être accessible la masse de données rassemblées.
" La course à la terre est une réalité, même si elle s'est ralentie depuis son pic de 2009 ", constate le rapport publié à cette occasion. Les chercheurs se sont concentrés sur les transactions internationales à des fins agricoles : depuis 2000, ils en ont recensé 1 217 - en négociations ou finalisées - concernant 83,2 millions d'hectares, soit 1,7 % de la surface agricole mondiale.
Plus de la moitié de ces transactions ont pu être vérifiées auprès d'une " source fiable ". Le nombre de contrats signés recensés s'élève à 403, pour une superficie totale de 26,2 millions d'hectares. En 2011, un rapport du Cirad et de l'International Land Coalition, autre partenaire du projet, avait évoqué un chiffre de 203 millions d'hectares, mais y étaient inclus les transactions impliquant des acteurs nationaux ainsi que les achats et locations de terres à des fins autres qu'agricoles (mines, tourisme, agroforesterie, etc.).
Le projet Land Matrix se base sur toutes les mentions de transactions foncières, généralement relevées dans les médias ou sur Internet, et entreprend de les vérifier, notamment en faisant appel à des partenaires locaux. " Bien que basées sur une méthodologie solide, les données inclues dans le Land Matrix doivent être traitées avec précaution ", préviennent les auteurs du rapport, qui estiment que " certains pays peuvent être concernés par un grand nombre de transactions simplement parce qu'ils font preuve d'une plus grande transparence " que d'autres.
Par ailleurs, certains contrats ne font l'objet d'aucune publicité, alors que d'autres sont annulés, comme celui qui aurait dû permettre, en 2008, à la firme sud-coréenne Daewoo d'exploiter 1,3 million d'hectares de terres à Madagascar.
Le phénomène d'accaparement des terres, ainsi que le qualifient ses détracteurs, s'est accéléré à la fin des années 2000, avec la hausse des prix alimentaires. Il touche l'Afrique (62 % des transactions), l'Asie du Sud-Est (plus de cinq millions d'hectares ont fait l'objet de transactions vérifiées aux Philippines, ce qui en fait le pays du monde le plus concerné) et - à un degré moindre - l'Amérique latine.
Les principaux investisseurs sont les pays émergents, emmenés par la Chine, ceux du golfe Persique, qui cherchent à assurer leur sécurité alimentaire, ainsi que les pays anglo-saxons. Le rapport basé sur Land Matrix montre que l'exportation des cultures est l'objectif de la majorité des projets, et dans un peu moins de la moitié de ces cas, à destination du pays d'origine de l'investisseur.
Les auteurs relèvent également que les entreprises privées sont les principales bénéficiaires des transactions, et qu'environ un quart de celles-ci concernent des cultures non alimentaires, majoritairement destinées à produire des biocarburants. Ils notent que les investisseurs s'intéressent particulièrement à des pays pauvres où la propriété foncière est mal garantie.
" Très peu de projets semblent avoir engagé les consultations adéquates avec les communautés locales ", estiment-ils, ajoutant que, bien souvent, les autorités locales se révèlent incapables de préserver les intérêts des habitants. Ils admettent cependant n'avoir eu connaissance que d'un nombre limité de projets ayant donné lieu à des " évictions substantielles " de populations.
Le rapport relève que " près de la moitié des transactions concernent des zones déjà cultivées " et s'inscrit en faux contre l'idée que ces investissements permettraient d'exploiter des terres en friche. Il note que ces projets sont particulièrement gourmands en eau et ponctionneront donc les ressources des pays-cibles. " On ne sait pas grand-chose des effets à court et à long terme de ces investissements ", reconnaissent les auteurs du document.
Gilles van Kote
© Le Monde