22/11/2008

Energies : le futur à contre-courant

L'humanité est au bord de la panne de courant. Mais elle continue à s'agiter et à consommer les énergies fossiles par milliards de tonnes, feignant de croire ses ressources inépuisables. Le charbon par exemple, par ailleurs champion en matière de pollution, devrait se tarir dans cent trente ans. Idem à plus courte échéance pour le gaz et le pétrole. Inquiétant quand on sait que, dans moins de deux décennies, avec l'émergence de l'Inde et de la Chine, la demande d'énergie va doubler. Cette situation tendue risque de provoquer de violentes crises entre différentes parties du monde. Un changement radical s'impose donc dans nos habitudes de consommation et dans les politiques menées, notamment dans une Europe très dépendante du reste de la planète en matière énergétique.

(France, 2008, 90mn)
ARTE F
Réalisateur: Claude Lahr

Visionnez la vidéo disponible sur le site d'ARTE en cliquant sur le lien suivant :
http://plus7.arte.tv/fr/detailPage/1697660,CmC=2306616,scheduleId=2277790.html

11/11/2008

SANTÉ PUBLIQUE 2,5 milliards de personnes restent privées de sanitaires fonctionnels : une question taboue.

29 octobre 2008

L'accès aux toilettes, enjeu mondial de

développement






ANDHI estimait que le développement des sanitaires était un objectif plus important que l'indépendance. L'Inde s'est émancipée de la férule britannique, mais un Indien sur trois seulement a aujourd'hui accès à des toilettes décentes. Et près de 700 000 intouchables continuent à les curer à la main. Dans les zones rurales, moins de la moitié des écoles disposent de latrines. Cette réalité, l'économiste franco-indienne Shyama Ramani (INRA-Ecole polytechnique) l'ignorait, avant le tsunami de 2004.

Emue par la catastrophe, cette spécialiste de la théorie des jeux décide de monter un projet humanitaire de long terme. « Sur place, je me suis rendu compte qu'il y avait suffisamment d'argent pour l'urgence. J'ai donc organisé un voyage d'étude pour des femmes de Kameshwaram, un village loin de tout, afin de déterminer avec elles quelle infrastructure leur paraissait la plus utile », raconte-t-elle. Elle a été surprise par leur réponse, unanime : « Des toilettes, comme à l'université ! »

A Kameshwaram, comme dans le reste de l'Inde rurale, faute de latrines, la population défèque dans les champs ou dans la forêt. Pour sauvegarder leur dignité, les femmes attendent la nuit ou l'aube. Outre les problèmes gynécologiques et digestifs, « elles peuvent faire des mauvaises rencontres, se faire mordre par des serpents ou piquer par des scorpions », rappelle Mme Ramani.

La chercheuse, avec des étudiants de Grenoble et Besançon, a tenté de répondre à leurs voeux en créant l'association Friend in Need (www.friend-in-need.org). Il leur a d'abord fallu faire une étude de marché, pour trouver la technologie la mieux adaptée à cette région souvent inondée. L'Ecosan, un système écologique développé par un ingénieur britannique, qui sépare urine et fèces et permet leur recyclage, a remporté leur suffrage. Trois cent cinquante ont été installés au profit des 1 400 familles de Kameshwaram.

ABRIS POUR LES CHÈVRES

La surprise, c'est que ces installations sont utilisées par tous, femmes et hommes. « C'est notre grande réussite », estime Mme Ramani : trois ans après le tsunami, la moitié des latrines mises en place par les grandes ONG n'étaient à l'inverse plus utilisées. « Certains en font des abris pour des chèvres, d'autres des échoppes pour vendre des DVD », explique-t-elle.

C'est là que la théorie des jeux a fait son office. « La motivation est très importante. Il ne suffit pas de payer pour les briques, il faut aussi des stratégies d'incitation », affirme-t-elle. Notamment pour vaincre les réticences des hommes, qui voyaient les WC comme une « menace pour leur virilité ». En plus des rituels pour invoquer la déesse de la terre lors de la pose des fondations, elle a imaginé un concours portant sur la tenue et l'innovation des toilettes, doté d'un prix représentant un mois et demi de salaire. Condition de participation : que les hommes utilisent ces commodités. Le contrôle social au sein du village a alors fait merveille ... « Les toilettes sont un instrument qui donne énormément de pouvoir aux femmes, au-delà de leur impact sanitaire », insiste Mme Ramani.

« Ce qui m'a semblé le plus intéressant durant cette année passée en Inde, témoigne Antonin Benyacar, un des étudiants de Mme Ramani, c'est l'idée de «rupture sociale». Comment est-on passé de villageois assez hostiles aux toilettes à des personnes qui les utilisent presque toutes, les considèrent comme une avancée sociale et sanitaire et les recommandent à leurs proch es ? » Aujourd'hui, Kameshwaram fait figure de village modèle, propre à inspirer d'autres expériences.

Cette ingénierie humaine, fondée sur des « savoirs tacites », Mme Ramani espère bien pouvoir la transposer sur d'autres terrains, en Afrique notamment. Mais elle reste scandalisée par le retard de l'Inde, dont les élites n'ont que tardivement pris la mesure du problème. « Ce sont les véritables coupables. Nous lançons une sonde vers la Lune, mais nous n'avons pas de solution pour des toilettes fonctionnant de façon satisfaisante dans les bidonvilles », s'insurge-t-elle.

Hervé Morin

Un expert du climat appelle à " un sursaut de l'homme "

12 novembre 2008
Le glaciologue Claude Lorius sera le premier Français à recevoir le prix Blue Planet. Il avoue au " Monde " son pessimisme quant à la capacité de l'homme à répondre à la crise climatique






Claude Lorius. NICOLE TIGET/CNRS/AFP

Vers un traité international pour la protection de l'Arctique

La présidence française de l'Union européenne a lancé un appel, lundi 10 novembre, à Monaco, pour un renforcement de la coopération scientifique internationale dans l'Arctique, un premier pas vers une protection de cette région. " Il faut qu'il y ait un système de recherche unifié ", a indiqué Jean-Louis Borloo, le ministre de l'écologie, lors d'une conférence internationale organisée conjointement avec la principauté monégasque.

L'Arctique fait l'objet de nombreux programmes mais " ces recherches ne sont pas coordonnées ", a souligné le ministre. " Il n'est pas imaginable qu'il y ait des données scientifiques connues et non partagées, a-t-il estimé. Nous allons mettre les moyens nécessaires pour qu'il y ait ce réseau mondial d'informations. "

Les scientifiques espèrent que ce soutien politique pourra donner un nouvel élan à la recherche au-delà de l'Année polaire internationale, qui s'achève en mars. Contrairement à l'Antarctique, l'Arctique n'est pas protégée par un traité international. Le Parlement européen s'est prononcé en octobre pour l'adoption d'un tel texte. - (AFP.)



Né en 1932 à Besançon, père de la glaciologie moderne, Claude Lorius doit recevoir, mercredi 12 novembre, à Tokyo, le prix Blue Planet, l'une des plus prestigieuses récompenses internationales dans le domaine de l'environnement. En 1987, avec Jean Jouzel et Dominique Raynaud, il a été le premier à exploiter la présence de CO2 dans les carottes de glaces polaires pour établir un lien expérimental entre changements climatiques et concentrations des gaz à effet de serre. Un peu plus de vingt ans après vos travaux publiés en 1987 dans la revue Nature, tout le monde se pose la question : est-ce réversible ?

Honnêtement, je suis très pessimiste... Sur les CFC - chlorofluorocarbures - , on voit bien que l'arrêt de leur utilisation a permis de réduire le trou dans la couche d'ozone, mais en ce qui concerne la crise climatique, on sait que même si on stabilisait aujourd'hui les émissions de CO2, ce gaz à effet de serre ne disparaîtrait pas pour autant. Il est là pour un moment...

Il est difficile de dire si on a dépassé les limites, mais il est évident qu'on va subir un réchauffement : on prévoit d'ici la fin du siècle un bond climatique qui pourrait être équivalent à celui que la planète a franchi en dix mille ans pour passer de l'âge glaciaire à l'holocène ! Et je ne vois pas que l'homme ait actuellement les moyens d'inverser la tendance.

Poussant jusqu'au bout la logique d'un dérèglement du climat, certains évoquent aujourd'hui le retour d'une ère glaciaire. Est-ce envisageable ?

Dans un certain nombre de milliers d'années... Aujourd'hui, c'est totalement hors de propos ! Les périodes de réchauffement et de glaciation montrent des cycles de 100 000 ans, dus à la trajectoire de la Terre autour du Soleil en suivant une ellipse qui s'altère très légèrement, mais suffisamment pour modifier le climat sur ces très longs termes. Ce qui est nouveau, et que nous avons montré avec l'analyse des bulles d'air emprisonnées dans la glace, c'est que désormais l'homme, en multipliant les gaz à effet de serre, a accéléré un cycle de réchauffement sur un très court terme.

Rapide, irréversible... Cela ressemble tout de même à un scénario catastrophe.

Je ne crois pas que l'homme va disparaître. Les paysages vont changer, les glaciers vont fondre : la liste des impacts est impressionnante parce que, sur cette question, tout est interdépendant... Ainsi, si le permafrost - ce couvercle de glace qui recouvre les sols arctiques - fond, il va libérer du méthane qui, en retour, va accentuer l'effet de serre et aider ainsi à la fonte des glaces. Et plus la surface de celles-ci diminue, plus leur pouvoir réfléchissant disparaît, amplifiant encore le réchauffement...

C'est sûr, nous aurons des catastrophes, des cataclysmes, des guerres. Les inondations, les sécheresses, les famines s'amplifieront, mais l'homme sera toujours là. Ce que nous devons comprendre, c'est que nous entrons dans une nouvelle ère, l'anthropocène, où pour la première fois dans l'histoire de la Terre, l'homme gouverne l'environnement. Il est la première cause des menaces et modifications qui pèsent sur la planète : à lui de savoir ce qu'il veut en faire et comment il va se comporter avec elle.

Une nouvelle ère ?

L'idée n'est pas de moi, mais elle est essentielle dans la compréhension des évolutions du monde dans lequel nous vivons. C'est le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen, qui - le premier - a associé le début de l'anthropocène à l'augmentation des concentrations en CO2 telle que l'a montrée l'analyse des glaces. Mais cet impact humain ne concerne pas seulement le climat. L'occupation des sols, l'utilisation des ressources, la gestion de nos déchets sont autant d'agressions à la planète qui relèvent de l'homme et le menacent.

Pour le réchauffement climatique, la question de l'énergie est le levier essentiel. Au XXe siècle, alors que la population était multipliée par quatre, la consommation d'énergie dont dépendent les émissions de gaz carbonique était multipliée par 40 ! Certains affirment aujourd'hui que la courbe d'augmentation de la population va se calmer. Sans doute. Mais la courbe de la consommation d'énergie, elle, n'a aucune raison de plonger !

Si l'homme est responsable, gardien de cette Terre, quels moyens a-t-il de la sauver ?

Pour le coup, ce n'est pas mon domaine de compétence... Je ne sais pas. Et c'est là que réside mon pessimisme : je ne vois pas comment on va s'en sortir. Le problème majeur est la question de l'énergie. Il faut arriver sur ce plan à une gouvernance internationale, mais ce n'est pas possible actuellement, ou en tout cas je ne vois pas comment... Regardez le Grenelle de l'environnement ! C'était un bel effort, mais au final, il n'y a pas l'argent suffisant pour mener une politique efficace à court terme... La moindre velléité de mettre une taxe sur les 4×4 rend les politiques fébriles de devenir impopulaires... et ce n'est pas en habillant Total en vert qu'on va changer quoi que ce soit.

N'existe-t-il pas de possibilité d'un nouvel ordre économique basé sur le développement durable ?

Le développement durable est une notion à laquelle je ne crois plus. On ne peut pas maîtriser le développement. Et pour être durable, il faudrait être à l'état d'équilibre, or cet équilibre n'existe pas. C'est un terme trompeur. Avant, j'étais alarmé, mais j'étais optimiste, actif, positiviste. Je pensais que les économistes, les politiques, les citoyens pouvaient changer les choses. J'étais confiant dans notre capacité à trouver une solution. Aujourd'hui, je ne le suis plus... sauf à espérer un sursaut inattendu de l'homme.

Propos recueillis par Laurent Carpentier

© Le Monde

10/11/2008

Une expérience concluante pour 80 villages africains

11 novembre 2008
DÉVELOPPEMENT PROJET VILLAGES DU MILLÉNAIRE




A-T-ON TROUVÉ la formule magique pour éradiquer la grande pauvreté et la malnutrition en Afrique subsaharienne ? Sans aller jusque-là, l'étude d'un think tank britannique, l'Overseas Development Institute (ODI), conclut qu'une expérience pilote menée depuis juin 2006 dans une dizaine de pays du continent noir donne des résultats " impressionnants ", mais qu'il sera difficile de l'élargir à l'échelle du continent.

Le projet villages du millénaire (PVM) est né d'un constat : les huit engagements pris au Sommet du millénaire des Nations unies de septembre 2000 (réduire de moitié le nombre de personnes vivant avec moins d'un dollar par jour d'ici à 2015 ; faire baisser des deux tiers la mortalité infantile ; généraliser l'éducation primaire...) ne seront pas atteints en Afrique subsaharienne. Les objectifs ne sont pas hors de portée, mais les moyens manquent, plaide depuis longtemps l'économiste Jeffrey Sachs, directeur de l'Institut de la terre à l'université Columbia de New York. D'où l'idée d'investir massivement sur un nombre limité de villages, pour prouver que le sous-développement n'est pas une fatalité.

Lancé en juin 2006, le PVM concerne aujourd'hui un demi-million de personnes vivant dans 80 communautés villageoises réparties dans dix pays africains - du Mali à l'Ethiopie, du Nigeria au Malawi. " Ce qui est important, c'est d'investir massivement dans des villages intégrés en privilégiant l'agriculture et l'alimentation, la santé et l'éducation (...), et en laissant de côté, au moins dans un premier temps, les relations entre ville et campagne et les réformes institutionnelles ", résume Kent Buse, coauteur de l'étude qui fait un premier bilan du PVM.

Le projet de M. Sachs, piloté sur place par les agences de l'ONU, privilégie les technologies modernes éprouvées, a recours à du personnel qualifié et ne lésine pas sur les moyens financiers : l'investissement annuel est de l'ordre de 120 dollars (93 euros) par habitant. Il court sur cinq ans.

L'étude menée par ODI porte sur les villages de quatre pays africains. " Partout, on a des résultats impressionnants au bout de deux ans à peine. La fourniture de semences subventionnées et d'engrais a dopé les rendements agricoles, la distribution gratuite de moustiquaires a fait chuter de moitié le taux de paludisme ", écrit M. Buse.

Généraliser l'expérience s'annonce difficile, nuance le think tank britannique, notamment du fait du manque de main-d'oeuvre locale qualifiée. Où trouver les infirmiers, les instituteurs, les agents agricoles qui iront porter la bonne parole dans quelque 110 000 villages de l'Afrique rurale ?

Le manque de personnel médical est particulièrement criant. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu'il en faudrait 4,2 millions supplémentaires en Afrique et en Asie.

Jean-Pierre Tuquoi

© Le Monde

Il existe un monde où l'économie est au service de l'émancipation et non de l'aliénation


7 novembre 2008

Mon microcrédit ne connaît pas la crise





Carte blanche

Caroline Fourest

Il existe un monde où l'économie est au service de l'émancipation et non de l'aliénation, où le crédit coule à flots. On compte même plus de prêteurs que d'emprunteurs... Un monde où l'économie virtuelle est au service de l'économie réelle, des entrepreneurs, et où l'on ne prête qu'aux pauvres. Dans ce monde, Internet est au service de la solidarité et non de la haine ou de la rumeur. Ce n'est pas une utopie. C'est une réalité. L'économiste bangladais Muhammad Yunus, Prix Nobel, l'a rêvé parmi les premiers.

Des hommes comme Jacques Attali et Planète Finance ont beaucoup fait pour concrétiser cette idée simple mais révolutionnaire. D'anciens présidents comme Bill Clinton ne jurent plus que par lui. C'est le microcrédit. Un micro-exemple de tout ce qui peut nous inspirer en période de crise.

Cette utopie en marche, on la rencontre notamment sur www.kiva.org. Je m'y suis connectée il y a un an, dans l'idée de prêter 25 dollars. J'ai bien regardé la liste des demandeurs, sélectionnés et rencontrés (en vrai) par les relais de Kiva. J'ai parcouru leurs photos, pris connaissance de leur histoire et de leurs besoins avant de choisir à qui j'avais envie de prêter ma modeste somme. A peine trois minutes passées à remplir mon panier et à donner mon accord bancaire par Paypal (autant que pour commander un livre sur Amazon). Cette ligne sur mon relevé bancaire, je ne l'ai pas vue passer. Mais Maria Elena l'a vue arriver. Elle avait besoin de 575 dollars pour acheter une nouvelle machine à coudre et développer son magasin de couture à Huancayo, au Pérou. Aucun dossier à monter auprès d'une banque, ni mesure " prudentielle " ni défaut de liquidités. En quelques heures, grâce à 16 autres donateurs (Nina, Scott, Charly...), Maria Elena tenait son prêt. Son atelier s'est développé. Il fait vivre sa famille et d'autres femmes. En moins d'un an, Maria nous a remboursés. Depuis, j'ai recliqué pour reprêter cette somme au moins dix fois. Ces 25 dollars ont fait le tour du monde. Patience, une Nigériane de 53 ans, a pu acheter de nouvelles statuettes pour sa boutique d'art africain. Nisrine, une Libanaise de 31 ans, a renouvelé le stock de son magasin dans la plaine de la Bekaa. Une famille de Tanzanie a pu ouvrir une échoppe vendant des légumes et du charbon. Une autre se lance dans le recyclage au Pakistan.

Le monde de Kiva est très concret. Le site prélève un micro-pourcentage (10 %) sur votre don pour faire fonctionner sa structure, réduite au minimum. Une dizaine de personnes coordonnent le site et cherchent des demandeurs. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le plus difficile pour Kiva n'est pas de trouver des donateurs (ils affluent), mais de faire connaître cette source de liquidités potentielles à des hommes et des femmes loin de toute technologie. Le réseau peut compter sur un réseau mondial d'ONG, dont les bénévoles rencontrent tous les jours des micro-entrepreneurs qui auraient besoin de cet argent pour gagner en autonomie.

Cette solidarité ne se fait pas sur le mode de la charité, mais sur celui du prêt solidaire. Le microcrédit est donc aussi un lieu où se réinventent les rapports Nord-Sud. Vous pouvez choisir la région que vous souhaitez aider en priorité. Que vous ayez un lien avec l'Asie ou que vous préfériez l'Afrique. Le Moyen-Orient est très prisé. Des donateurs américains horrifiés par les dégâts commis par leur gouvernement peuvent directement prêter à des micro-entrepreneurs en Irak, en Afghanistan et en Palestine. Dès qu'un projet solide est mis en ligne, les entrepreneurs de ces régions trouvent des donateurs en quelques heures. Surtout s'il s'agit de femmes. Car Kiva rééquilibre aussi les rapports hommes-femmes. Vous pouvez choisir le genre de ceux à qui vous souhaitez prêter en priorité. Le Nord étant plus féministe que le Sud, la plupart des donateurs préfèrent aider des femmes souhaitant accéder à leur autonomie. Il y a aussi des groupes de donateurs qui recherchent des entrepreneurs par affinités. Des donateurs chrétiens qui veulent donner en priorité à des entrepreneurs chrétiens, des écologistes du Nord qui cherchent à encourager un développement non polluant au Sud...

En deux ans, grâce à 354 000 donateurs, le site a permis de réaliser 68 000 prêts d'une valeur moyenne de 450 dollars. Le montant global d'argent prêté s'élève à 48 millions de dollars. Ainsi va Kiva. Loin de ce monde où ceux qui voulaient importer les subprimes cherchent des boucs émissaires pour éviter l'autocritique, loin de ce monde où l'on peut se dire socialiste à l'international mais continuer à liquider la puissance publique et à déréguler le marché du travail au plan national, loin de ce monde où les ultralibéraux traitent déjà de protectionnistes ceux qui souhaitent simplement réhabiliter l'Etat protecteur, loin de ce monde où l'on fait croire que les emplois aidés de la droite (destinés à créer de la flexibilité pour les entreprises) sont les mêmes que ceux de la gauche (qui luttaient contre le chômage des jeunes en inventant de nouveaux postes et des services via le tissu associatif), loin de ce monde où certains disent vouloir refonder le capitalisme quand ils ne veulent que le corriger, où d'autres disent vouloir l'abattre au lieu de contribuer à le refonder pour de vrai, loin de ce monde et de ses postures obligées, il existe un autre monde. Celui d'une microéconomie solidaire. Elle ne pourra jamais remplacer la macroéconomie et ses contraintes, mais l'histoire de son utopie devenue réalité contient quelques leçons à méditer.

Caroline Fourest

est essayiste et rédactrice en chef de ProChoix.

© Le Monde