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Mon microcrédit ne connaît pas la crise
| Carte blanche Caroline Fourest Il existe un monde où l'économie est au service de l'émancipation et non de l'aliénation, où le crédit coule à flots. On compte même plus de prêteurs que d'emprunteurs... Un monde où l'économie virtuelle est au service de l'économie réelle, des entrepreneurs, et où l'on ne prête qu'aux pauvres. Dans ce monde, Internet est au service de la solidarité et non de la haine ou de la rumeur. Ce n'est pas une utopie. C'est une réalité. L'économiste bangladais Muhammad Yunus, Prix Nobel, l'a rêvé parmi les premiers. Des hommes comme Jacques Attali et Planète Finance ont beaucoup fait pour concrétiser cette idée simple mais révolutionnaire. D'anciens présidents comme Bill Clinton ne jurent plus que par lui. C'est le microcrédit. Un micro-exemple de tout ce qui peut nous inspirer en période de crise. Cette utopie en marche, on la rencontre notamment sur www.kiva.org. Je m'y suis connectée il y a un an, dans l'idée de prêter 25 dollars. J'ai bien regardé la liste des demandeurs, sélectionnés et rencontrés (en vrai) par les relais de Kiva. J'ai parcouru leurs photos, pris connaissance de leur histoire et de leurs besoins avant de choisir à qui j'avais envie de prêter ma modeste somme. A peine trois minutes passées à remplir mon panier et à donner mon accord bancaire par Paypal (autant que pour commander un livre sur Amazon). Cette ligne sur mon relevé bancaire, je ne l'ai pas vue passer. Mais Maria Elena l'a vue arriver. Elle avait besoin de 575 dollars pour acheter une nouvelle machine à coudre et développer son magasin de couture à Huancayo, au Pérou. Aucun dossier à monter auprès d'une banque, ni mesure " prudentielle " ni défaut de liquidités. En quelques heures, grâce à 16 autres donateurs (Nina, Scott, Charly...), Maria Elena tenait son prêt. Son atelier s'est développé. Il fait vivre sa famille et d'autres femmes. En moins d'un an, Maria nous a remboursés. Depuis, j'ai recliqué pour reprêter cette somme au moins dix fois. Ces 25 dollars ont fait le tour du monde. Patience, une Nigériane de 53 ans, a pu acheter de nouvelles statuettes pour sa boutique d'art africain. Nisrine, une Libanaise de 31 ans, a renouvelé le stock de son magasin dans la plaine de la Bekaa. Une famille de Tanzanie a pu ouvrir une échoppe vendant des légumes et du charbon. Une autre se lance dans le recyclage au Pakistan. Le monde de Kiva est très concret. Le site prélève un micro-pourcentage (10 %) sur votre don pour faire fonctionner sa structure, réduite au minimum. Une dizaine de personnes coordonnent le site et cherchent des demandeurs. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le plus difficile pour Kiva n'est pas de trouver des donateurs (ils affluent), mais de faire connaître cette source de liquidités potentielles à des hommes et des femmes loin de toute technologie. Le réseau peut compter sur un réseau mondial d'ONG, dont les bénévoles rencontrent tous les jours des micro-entrepreneurs qui auraient besoin de cet argent pour gagner en autonomie. Cette solidarité ne se fait pas sur le mode de la charité, mais sur celui du prêt solidaire. Le microcrédit est donc aussi un lieu où se réinventent les rapports Nord-Sud. Vous pouvez choisir la région que vous souhaitez aider en priorité. Que vous ayez un lien avec l'Asie ou que vous préfériez l'Afrique. Le Moyen-Orient est très prisé. Des donateurs américains horrifiés par les dégâts commis par leur gouvernement peuvent directement prêter à des micro-entrepreneurs en Irak, en Afghanistan et en Palestine. Dès qu'un projet solide est mis en ligne, les entrepreneurs de ces régions trouvent des donateurs en quelques heures. Surtout s'il s'agit de femmes. Car Kiva rééquilibre aussi les rapports hommes-femmes. Vous pouvez choisir le genre de ceux à qui vous souhaitez prêter en priorité. Le Nord étant plus féministe que le Sud, la plupart des donateurs préfèrent aider des femmes souhaitant accéder à leur autonomie. Il y a aussi des groupes de donateurs qui recherchent des entrepreneurs par affinités. Des donateurs chrétiens qui veulent donner en priorité à des entrepreneurs chrétiens, des écologistes du Nord qui cherchent à encourager un développement non polluant au Sud... En deux ans, grâce à 354 000 donateurs, le site a permis de réaliser 68 000 prêts d'une valeur moyenne de 450 dollars. Le montant global d'argent prêté s'élève à 48 millions de dollars. Ainsi va Kiva. Loin de ce monde où ceux qui voulaient importer les subprimes cherchent des boucs émissaires pour éviter l'autocritique, loin de ce monde où l'on peut se dire socialiste à l'international mais continuer à liquider la puissance publique et à déréguler le marché du travail au plan national, loin de ce monde où les ultralibéraux traitent déjà de protectionnistes ceux qui souhaitent simplement réhabiliter l'Etat protecteur, loin de ce monde où l'on fait croire que les emplois aidés de la droite (destinés à créer de la flexibilité pour les entreprises) sont les mêmes que ceux de la gauche (qui luttaient contre le chômage des jeunes en inventant de nouveaux postes et des services via le tissu associatif), loin de ce monde où certains disent vouloir refonder le capitalisme quand ils ne veulent que le corriger, où d'autres disent vouloir l'abattre au lieu de contribuer à le refonder pour de vrai, loin de ce monde et de ses postures obligées, il existe un autre monde. Celui d'une microéconomie solidaire. Elle ne pourra jamais remplacer la macroéconomie et ses contraintes, mais l'histoire de son utopie devenue réalité contient quelques leçons à méditer.
Caroline Fourest est essayiste et rédactrice en chef de ProChoix. © Le Monde |
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