29/10/2012

Le développement, c'est nos oignons


30 octobre 2012


Au Niger, Salia Mahamane cultive son champ d'oignons et de légumes au moyen d'une paire de boeufs " et d'une motopompe de 3,5 chevaux pour l'irrigation ". Le tracteur est, ici, un luxe inaccessible. C'est sur de tels paysans - la catégorie de la population mondiale la plus touchée par la pauvreté - que repose l'espoir de nourrir la planète. Comme les 30 000 producteurs de la Fédération des coopératives maraîchères qu'il préside, Salia Mahamane se débrouille avec les moyens du bord pour arriver à faire pousser oignons et autres patates douces. Sa fédération groupe les achats de semences, forme les exploitants - un tiers sont des femmes - à l'utilisation d'engrais organiques et de biopesticicides. M. Mahamane apprécie le soutien de la coopération européenne, même s'il dépend de l'appui d'organisations non gouvernementales (ONG) comme Oxfam pour y accéder : les dossiers restent trop compliqués à monter.
Et, pourtant, le Niger est le premier producteur d'oignons de la région : 500 000 tonnes par an, dont 300 000 tonnes sont exportées dans les pays voisins. L'oignon est une ressource indispensable à la survie des habitants d'un pays parmi les plus pauvres du monde. Dans l'idéal, il devrait l'être bien davantage, si les importations européennes dans la région ne posaient pas un problème sérieux en faisant chuter les prix locaux : " Quand on prend le Sénégal, la Guinée et la Côte d'Ivoire, ce sont des pays qui importent 300 000 tonnes par an. Donc tout ce que nous produisons peut être exporté vers ces pays-là. Mais ces pays sont inondés par la production d'oignons européens, plus précisément néerlandais. Donc nous n'avons plus d'accès à ces marchés-là ", dit-il. Chaque année, les producteurs d'oignons perdent de l'argent, explique M. Mahamane, pour qui l'équation est simple : il faut taxer davantage ces importations. " Si les producteurs n'arrivent pas à écouler leurs oignons, on va continuer à être dans la pauvreté et on ne peut pas atteindre notre souveraineté alimentaire. "
Sous les ors du Palais Brongniart - où il était invité par le forum Convergences 2015 pour un débat sur la " cohérence des politiques européennes en faveur du développement des pays du Sud ", mercredi 19 septembre -, M. Mahamane a estimé possible de nourrir toute la population du Niger et de dégager des revenus supplémentaires pour moderniser les exploitations agricoles et inscrire les enfants des producteurs à l'école.
Pour y arriver, les marchés africains doivent être davantage protégés de la concurrence d'une agriculture européenne hautement productive, motomécanisée et bénéficiant de nombreux soutiens : " La France produit de l'oignon, et elle importe de l'oignon néerlandais : ça se comprend, parce que c'est l'Europe. Mais la France va exporter en Australie ou en Nouvelle-Zélande. C'est très loin... ", explique M. Mahamane. L'oignon néerlandais, à la fin, atterrit en Afrique alors qu'il pourrait être consommé en France ou dans d'autres pays développés. Et pour un produit humide qui fait des milliers de kilomètres, le bilan écologique n'est pas aussi bon...
L'objectif de cohérence des politiques européennes vise précisément à faire sortir l'aide au développement d'une seule logique de réparation des effets des autres politiques. Tant l'Union européenne (UE) que ses pays membres doivent ainsi tenir compte de l'objectif à long terme d'éradication de la pauvreté, selon l'article 118 du traité de Lisbonne. Des progrès ont été faits sur les aides à l'exportation : " Ce n'est plus un problème de politique agricole - seulement 0,5 % des exportations européennes sont subventionnées contre plus de 10 % voici quelques années. Il reste un problème de politique commerciale ", dit Françoise Moreau, chef d'unité politique et cohérence à la direction développement et coopération de la Commission européenne.
Les organisations paysannes africaines doivent donc essayer de se faire entendre dans les négociations en cours des accords dits de " partenariats économiques " entre l'UE et les pays africains. Tâche ardue. " Les négociations commerciales manquent énormément de transparence : tout cela se fait derrière des portes closes ", regrette Blandine Bouniol, coordinatrice de Concord, la plate-forme européenne des ONG. Même si elle note des progrès : ces accords doivent désormais, une fois conclus, être ratifiés par le Parlement européen. Mais, en amont, davantage de voix devraient être entendues.
" Le problème de la cohérence des politiques commerciales tient beaucoup au postulat qu'on nous martèle sans cesse, selon lequel le commerce et la libéralisation des échanges produisent une réduction de la pauvreté. Or il n'y a pas de lien logique. C'est beaucoup plus complexe ", explique Mme Bouniol.
Elle appelle à sortir de cette doctrine " dans laquelle on est enfermé et qui empêche le dialogue ", et à regarder les conditions à mettre en place pour faire du commerce un instrument positif : ne pas ouvrir les secteurs vulnérables, faire des réformes adaptées et à la bonne vitesse, prévoir des périodes de transition et de préparation, susciter l'appropriation par les populations de ces évolutions, et les inscrire surtout dans une politique globale de développement. Bref, accepter que le développement passe aussi par la protection des producteurs d'oignons du Niger.
Adrien de Tricornot

service Eco & Entreprise

© Le Monde

22/10/2012

Les Moissons du Futur



Comment nourrir les 9 milliards d'habitants annoncés en 2050 ? Une émission de télévision a convaincu Marie-Monique Robin de poursuivre ses investigations sur l'urgence de produire autrement. Président de l'Association nationale de l'industrie agro-alimentaire, Jean-René Buisson y affirmait qu'aucune alternative aux pesticides n'était possible et qu'une agriculture bio entraînerait une baisse de la production de 40 % pour une hausse des prix de 50 %. Rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation des Nations unies, Olivier de Schutter, lui, prétend exactement le contraire. Qui croire ? Enquêtant aux quatre coins du globe, la journaliste a rencontré des paysans qui ont renoncé à ces insecticides et pesticides dont les coûts indirects colossaux - pollution, énergie et santé publique - ne sont jamais pris en compte.
(France, 2012, 52mn)
ARTE F

Date de première diffusion :Mar., 16 oct. 2012, 20h52

Date(s) de rediffusion :Mardi, 30 octobre 2012, 10h35
Jeudi, 8 novembre 2012, 14h10



09/10/2012

Près de 870 millions d'humains souffrent de la faim


10 octobre 2012


















IL S'AGIT d'estimations, à prendre avec précaution. D'autant que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a modifié la méthode de calcul de son indicateur de la sous-alimentation, rendu public mardi 9 octobre, simultanément à la parution du rapport sur L'Etat de l'insécurité alimentaire dans le monde.
Ce mode de calcul révisé, qui s'appuie notamment sur de " nouvelles données anthropométriques " et des " estimations actualisées des apports alimentaires énergétiques par pays ", conduit à revoir les chiffres de référence. Le nombre de personnes ayant souffert de sous-alimentation chronique dans la période 2007-2009 a ainsi été ramené de 925 à 867 millions, ce qui conduit le rapport à affirmer que " les progrès enregistrés en matière de lutte contre la faim - depuis 1990 - ont été plus prononcés que ce que l'on pensait précédemment ".
On assiste cependant à une stabilisation sur la période 2010-2012, avec 868 millions de personnes souffrant de la faim, dont 852 dans les pays en développement. Le haut niveau des prix agricoles, ainsi que leur volatilité depuis la crise alimentaire de 2007-2008 n'auraient donc pas aggravé la sous-alimentation dans le monde, mais " provoqué un ralentissement considérable des progrès accomplis en matière de réduction de la sous-alimentation ".
Les Nations unies estiment encore possible d'atteindre en 2015 l'Objectif du millénaire pour le développement (OMD) consistant à réduire de moitié, par rapport à 1990, le nombre de personnes souffrant de faim chronique, à condition d'" inverser le ralentissement tendanciel observé depuis 2007-2008 ". La proportion de personnes sous-alimentées dans les pays en développement est de 14,9 %, l'OMD se situant à 11,6 %.
Le rapport note que l'Asie n'enregistre " qu'un léger retard " par rapport à cet objectif, alors que " l'Afrique continue de s'écarter (...) de la voie qu'elle devrait emprunter pour atteindre sa cible ". La majorité des personnes souffrant de la faim se trouvent néanmoins en Asie : 563 millions, contre 239 pour l'Afrique.
Les Nations unies estiment que la réduction de la faim passe " par la croissance économique et l'action des pouvoirs publics ", mais aussi le développement de la petite agriculture, l'amélioration de la nutrition et la mise en place d'une protection sociale pour les populations les plus vulnérables.
G. v. K.
© Le Monde

L'Afrique peut se nourrir et nourrir le monde

10 octobre 2012
Kanayo Nwanze, président du Fonds international de développement agricole, souligne le rôle des petits paysans

Selon un rapport publié, mardi 9 octobre, par les Nations unies, 868 millions de personnes ont souffert de sous-alimentation chronique pendant la période 2010-2012 dans le monde, soit autant que les trois années précédentes. Selon le Nigérian Kanayo F. Nwanze, président du Fonds international de développement agricole (FIDA), une des trois agences onusiennes à l'origine de ce document, les solutions existent et une d'entre elles consiste à soutenir les petits agriculteurs.
Moins connu que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ou le Programme alimentaire mondial (PAM), coauteurs du rapport, le FIDA est une institution financière dont la mission est de soutenir des programmes de lutte contre la pauvreté rurale dans les pays en développement. Pour son président, agronome et entomologiste de formation, l'agriculture paysanne et familiale des pays du Sud peut et doit devenir rentable, afin de susciter des vocations et de contribuer à nourrir l'humanité. " Money is sexy ", aime-t-il à répéter avec un brin de provocation.

Le rapport sur l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde fait d'une croissance agricole " fondée sur une productivité accrue des petits exploitants " des pays du sud un outil à privilégier dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Concrètement, par quoi cela passe-t-il ? 

Par la capacité des populations à s'organiser et à se structurer pour être en mesure de mener des actions collectives. Egalement par l'utilisation d'engrais et de semences améliorées afin de renforcer les rendements. Attention : il ne s'agit pas de reproduire les excès de la " révolution verte " ou du modèle occidental d'agriculture intensive. Le recours aux engrais chimiques doit rester modéré.
Mais cela ne suffit pas : à quoi sert d'augmenter ses rendements si l'on ne peut pas commercialiser sa production ? Il est nécessaire de favoriser l'accès des producteurs au crédit, aux marchés et à un certain nombre de services et d'infrastructures, par exemple des installations de stockage fiables. Le FIDA a fait de la commercialisation de la production des petits agriculteurs une priorité. Mais il faut surtout un véritable engagement politique des Etats concernés.
Cette volonté semble pourtant faire défaut à un certain nombre d'entre eux. 

Le développement, ce n'est pas - comme on l'a longtemps cru - ce que l'on fait pour les autres, mais ce que l'on fait pour soi-même. On l'a vu au Brésil, en Chine ou au Vietnam, où le développement est une priorité nationale. Le Vietnam est devenu exportateur de riz, dont 60 % est produit par l'agriculture paysanne. Dans les pays en développement, les petits cultivateurs produisent 80 % de ce que les gens mangent. On ne peut pas les ignorer. Il faut faire de la transformation de l'agriculture paysanne en agriculture commerciale un défi national. En Afrique, le Ghana, la Tanzanie, le Malawi, le Rwanda ou l'Ethiopie l'ont bien compris.

Mais cela ne risque-t-il pas de se faire au bénéfice de grandes multinationales et aux dépens des agriculteurs eux-mêmes ? 

Le rôle de l'agriculture familiale et paysanne - qui représente quelque 500 millions d'exploitations dans le monde - n'est pas reconnu à sa juste valeur. Les petits producteurs sont assimilés à une population pauvre qui a besoin d'assistance. Mais le secteur privé, ce n'est pas seulement Monsanto ou Unilever, ce sont d'abord les agriculteurs eux-mêmes.
Notre objectif, au FIDA, est de montrer que le petit paysan est un businessman qui veut produire plus pour gagner de l'argent, envoyer ses enfants à l'école, avoir accès aux mêmes services que les citadins... Il faut convaincre les jeunes d'aujourd'hui, ceux à qui incombera la tâche de nourrir le monde d'ici à 2050, que l'agriculture est une activité économique qui peut être rentable.

Mais n'y a-t-il pas de quoi s'alarmer, quand l'on voit certains Etats africains concéder à des entreprises étrangères d'énormes superficies de terres pour une bouchée de pain ? 

Il faut se demander pourquoi ces investisseurs s'intéressent autant à l'Afrique : c'est qu'ils en voient le potentiel. L'Afrique peut se nourrir et nourrir le monde. Aux gouvernements de ne pas brader leurs terres. Il peut y avoir des accords " gagnant-gagnant ". Je l'ai vu sur l'île de Kalangala, en Ouganda, où une plantation industrielle de palmiers à huile a passé un accord avec des petits planteurs villageois, qui fournissent leur production à l'unité principale. C'est ce que l'on appelle l'agriculture contractuelle. Le district de Kalangala est devenu le septième du pays par le niveau de vie, alors qu'il était 71e sur 76 en 2005.

Le message du FIDA arrive-t-il à passer, alors que les principaux bailleurs de fonds traversent une passe économique difficile ? 

Nous avons lancé en 2011 - en pleine crise - notre neuvième reconstitution des ressources, et les engagements s'élèvent à 1,5 milliard de dollars (1,16 milliard d'euros) pour 2013-2015, soit une progression de 25 % par rapport à la période précédente. Notre action s'inscrit dans le développement rural à long terme et n'est peut-être pas très spectaculaire, mais sur le terrain, les gens connaissent le FIDA. Ils savent que nous faisons ce que personne d'autre ne fait.

Propos recueillis par Gilles van Kote
© Le Monde

04/10/2012

Halte à la ruée sur les terres : 1 milliard d'humains touchés

.fr
Jeudi 4 octobre 2012

Les superficies acquises depuis dix ans par des investissements étrangers dans les pays du Sud permettraient de nourrir un milliard d'humains, autant que de personnes souffrant de la faim dans le monde, assure l'organisation Oxfam. Or, "plus des deux tiers des transactions étaient destinées à des cultures pouvant servir à la production d'agrocarburants comme le soja, la canne à sucre, l'huile de palme ou le jatropha", indique-t-elle jeudi dans son rapport "Notre terre, notre vie. Halte à la ruée mondiale sur les terres". Oxfam précise également que les superficies concernées équivalent à plus de trois fois la taille de la France, ou huit fois celle du Royaume-Uni, à 60 % dans des régions "gravement touchées par le problème de la faim". Le phénomène atteint de telles proportions que dans les pays pauvres, "une superficie équivalant à celle de Paris est vendue à des investisseurs étrangers toutes les dix heures". Au Liberia, sorti en 2003 de plus de vingt ans ans de guerre, "30 % du territoire national a fait l'objet de transactions foncières en seulement cinq ans" et au Cambodge, les ONG estiment que "56 % à 63 % des terres arables ont été cédées à des intérêts privés". L'accaparement de terres a été dopé par la flambée des cours des matières premières agricoles, au point que "les transactions foncières ont triplé lors de la crise des prix alimentaires en 2008 et en 2009", note encore Oxfam. Après la nouvelle flambée des cours en août et les perspectives déficitaires en céréales pour l'année, Oxfam réclame des "mesures urgentes pour désamorcer la menace d'une nouvelle vague d'accaparements de terres". La Banque mondiale (BM), notamment, doit consentir "un gel pour six mois de ses investissements dans des terres agricoles" des pays en développement, le temps d'adopter "des mesures d'encadrement plus rigoureuses pour prévenir l'accaparement des terres". Pour Jeremy Hobbs, directeur général d'Oxfam, "la BM est la mieux placée pour éviter que ce phénomène ne devienne l'un des plus grands scandales du XXIe siècle". Il souhaite qu'à l'occasion de son assemblée annuelle, à Tokyo, du 12 au 14 octobre, la BM "envoie aux investisseurs du monde entier un signal fort selon lequel ils doivent mettre fin à l'accaparement des terres" et veille à améliorer la transparence des transactions foncières, en accord avec les communautés concernées.  

03/10/2012

VIDEO. Mali : la ville de Mopti, le dernier verrou face aux islamistes

Publié le 28/09/2012 | 15:41, mis à jour le 28/09/2012 | 16:16  


A Bamako, on attend le déploiement des forces pour lutter contre les jihadistes Publié le 27/09/2012 | 16:57, mis à jour le 27/09/2012 | 17:25

27/09/2012

Le trafic du bois tropical sape la lutte contre la déforestation


28 septembre 2012

Le marché noir prospère selon Interpol, qui estime qu'il rapporterait entre 30 et 100 milliards de dollars par an


Une carrière de traitement de bois, à Shenyang, dans le nord de la Chine.
REUTERS/SHENG LI

Le bilan des mafias du bois s'est dramatiquement alourdi, jeudi 27 septembre, avec la publication de chiffres estimant les revenus de ce trafic mondialisé entre 30 et 100 milliards de dollars par an (23 à 77 milliards d'euros). Les dernières données publiées en mars par la Banque mondiale évaluaient leur " chiffre d'affaires " à 15 milliards de dollars.
D'où vient un tel écart ? Essentiellement, expliquent Interpol et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) qui présentent ce vaste travail de traque dans le rapport " Carbone vert, marché noir ", des opérations de blanchiment qui avaient été jusqu'alors très peu comptabilisées.
L'ampleur de cette exploitation illégale dont les grands bassins tropicaux sont le théâtre principal, relativise les discours sur la lutte contre la déforestation énoncés tant par les Etats concernés que par les acteurs de l'industrie forestière. Elle " représenterait 50 % à 90 % de l'ensemble des activités forestières " en Amazonie, en Indonésie et dans le bassin du Congo.
A la lecture du rapport rédigé par les deux organisations, il se confirme que le business des bois tropicaux demeure un milieu gangrené par une corruption généralisée d'autant plus prospère que, dans bien des pays, elle permet à des fonctionnaires miséreux d'assurer le pécule de survie que leurs Etats ne peuvent plus leur offrir. " L'exploitation illégale a lieu en majorité dans les régions en conflit, pointe le rapport.Elle ne diminue pas, bien au contraire, car les cartels sont mieux organisés et déplacent leurs activités pour échapper aux services de police ".
Cette criminalité organisée est bien ce qui intéresse les enquêteurs d'Interpol qui sont, depuis quelques mois, montés en première ligne de l'opération de répression dans laquelle se retrouvent des défenseurs de l'environnement et des institutions chargées de lutter contre le grand banditisme. Cette coalition baptisée Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC), est opérationnelle depuis 2011. Elle regroupe, outre Interpol, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la Banque mondiale, l'Organisation mondiale des douanes et la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction).
Car derrière ces mafias, il n'y a pas seulement des individus qui ont compris qu'il y avait à gagner sans prendre de gros risques compte tenu de la faiblesse du droit environnemental et de l'impunité dont jouissent les trafiquants dans la plupart des pays. Il existe aussi des mouvements armés qui y ont trouvé, comme dans le trafic d'ivoire, un filon pour financer leur cause. Ces réseaux font preuve d'une ingéniosité croissante.
" Ces cinq dernières années, on est passé d'une exploitation illégale directe à des méthodes plus sophistiquées de recel et de blanchiment ", souligne Interpol qui, exemples à l'appui, recense plus de trente manières " d'abattre illégalement, de blanchir et de commercialiser des grumes ". Parmi lesquelles, " la falsification de permis d'exploitation, le piratage de sites Internet gouvernementaux afin d'obtenir des permis de transport et des quotas plus importants, le blanchiment par l'intermédiaire de la construction de routes, de fermes d'élevage, de plantations de palmiers à huile, le mélange de bois légal et illégal pendant le transport ou dans les scieries "...
Sans oublier les classiques pots-de-vin. Ainsi en Indonésie, le rapport accuse " les plantations de servir souvent de couverture à l'objectif réel qui est l'abattage du bois ". Comme l'extension de routes qui, en passant dans des zones protégées, permettent de " récolter " des essences précieuses.
La destruction des forêts tropicales met en péril la lutte contre le changement climatique. C'est au nom de cette menace qu'Interpol et le PNUE justifient leur mobilisation commune. La déforestation est à l'origine de 15 % environ des émissions de gaz à effet serre, soit autant que le secteur du transport au niveau mondial. Le commerce illégal sape, pour eux, les efforts entrepris pour freiner la déforestation à travers notamment le mécanisme REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts), qui prévoit de rémunérer les efforts de conservation sur la base des tonnes de carbone séquestrées.
Cette initiative en discussion depuis des années est souvent présentée comme " l'arme lourde " pour protéger les bassins tropicaux. Des milliards de dollars ont déjà été investis, même si pour l'instant le REDD n'a d'existence que sur un marché carbone forestier volontaire ou sous forme de projets pilotes. Interpol et le PNUE, qui soutiennent cette idée, oublient toutefois de dire que le REDD est déjà la cible de fraudes. Les aventures des " carbon cow-boys " - ces trafiquants d'un nouveau genre qui surfent sur l'appétit de carbone forestier - témoignent d'un système lui aussi loin d'être sécurisé.
Laurence Caramel
© Le Monde

25/09/2012

La " Grande Muraille verte " trace tout doucement son chemin à travers le Sahel


26 septembre 2012




Huit pays ont finalisé leur stratégie nationale. Mais cinq ans après le lancement de l'initiative, les populations attendent des projets concrets


Jusqu'à présent, la Grande Muraille verte a fait couler plus d'encre qu'elle n'a reverdi le Sahel. Lancé en 2007 par les chefs d'Etat africains, ce projet dont la folle ambition est de transformer une bande de terres arides de 7 600 km sur 15 km en rideau végétal pour lutter contre la désertification, demeure à l'état embryonnaire dans les 11 pays du Sahel concernés. Quand il n'est pas, pour des raisons d'instabilité comme au Mali, tout simplement remis à des jours meilleurs. " Il ne s'agit pas simplement de planter des arbres. La Grande Muraille est un projet global de développement ", plaide Nora Berrahmouni, chargée du dossier à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), pour justifier ce maigre bilan.
La FAO, qui organisait lundi 24 septembre à Rome une réunion pour dresser un état des lieux du projet panafricain, fait partie avec le Fonds mondial pour l'environnement, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et l'Union européenne (UE) des quelques institutions à apporter un soutien financier et un appui technique. " Nous soutenons cette initiative car elle s'attaque aux causes profondes - des problèmes de cette région - et peut, à travers des projets transfrontaliers, oeuvrer à la prévention des conflits ", a répété à Rome l'envoyé de l'UE.
Les autres bailleurs continuent de douter. Les précédentes expériences menées sur le continent se sont presque toutes soldées par des échecs. " Nous devons encore donner confiance ", admet Almami Dampha, représentant de la Commission de l'Union africaine. Cette image de mur du Sénégal à Djibouti est mal comprise. Nous sommes engagés dans un vaste programme de restauration des terres dégradées où vivent des dizaines de millions de personnes. " Avec pour échéance 2025. A cette date, les pays du Sahel se sont fixé pour objectif d'avoir inversé la tendance à la dégradation des terres et d'avoir réussi le pari de l'adaptation au changement climatique.
L'argent mobilisé a pour l'instant permis d'élaborer des plans nationaux. Certains, comme le Sénégal et l'Erythrée, l'ont fait sur leurs propres deniers. D'autres, comme le Burkina Faso, le Tchad, l'Ethiopie, la Gambie, le Niger ou Djibouti, se sont appuyés sur des financements internationaux. Cette étape peu visible est jugée essentielle par la FAO qui a veillé à ce que ces stratégies locales soient élaborées à l'intérieur d'un cadre régional commun. " Cela n'a pas été simple. Il fallait être sûr que tout le monde partage les mêmes objectifs, définir des zones prioritaires d'intervention. C'est fait. Maintenant nous pouvons passer aux projets ", explique Nora Berrahmouni, rappelant que le gouvernement sénégalais par exemple est déjà actif sur le terrain.
Les scientifiques se sont aussi mis en ordre de marche. L'Institut de recherche pour le développement (IRD) vient d'achever la compilation de tout le savoir agronomique accumulé depuis cinquante ans. " Il ne s'agit pas d'inventer. Beaucoup d'acquis dorment dans les tiroirs et ils n'ont jamais été utilisés ", rappelle Robin Duponnois, de l'IRD.
Tout ainsi serait prêt sur le papier. Des plans et des projets qui ne demandent qu'à être financés. Les quelques millions d'euros engagés depuis 2007 sont loin d'être à l'échelle des sommes qu'il faudra mobiliser à l'avenir. Le Niger, comme les autres, a fait ses comptes : il lui faudra trouver 454 milliards de francs CFA (692 millions d'euros) pour les cinq prochaines années. Une somme qu'Abdou Maisharon, le responsable local de la Grande Muraille verte, est bien en peine de dire où il va la trouver.
Au Niger, le plan qui englobe les régions recevant moins de 500 mm de pluie par an, couvre 228 collectivités locales sur les 255 du pays. Mais il faut maintenant y aller. " Depuis le temps que nous en parlons, nous avons suscité beaucoup d'espoirs dans la population ", reconnaît M. Maisharon. Adama Doulkom, son homologue burkinabé fait le même constat : " Nous avons voulu construire un processus participatif dans lequel chaque citoyen se sente concerné, mais aujourd'hui la population réclame de l'action. " L'épreuve de vérité a vraiment commencé pour la Grande Muraille verte ".
Laurence Caramel
© Le Monde

06/09/2012

L'huile de palme, nouvel eldorado pour l'Afrique ?


6 septembre 2012



Greenpeace demande la suspension des projets de culture qui se font aux dépens de la forêt et des populations


Parti d'Afrique à la conquête de l'Asie du Sud-Est au siècle dernier, le palmier à huile fait un retour fracassant sur son continent d'origine. Depuis deux ans, les projets d'investissement dans la production d'huile de palme se multiplient dans la zone intertropicale africaine, au point qu'une conférence continentale est organisée à Accra, au Ghana, mercredi 5 et jeudi 6 septembre, pour permettre aux investisseurs, chercheurs et organismes financeurs d'échanger.
Simultanément, mercredi 5, Greenpeace et une autre ONG, Oakland Institute, publient deux rapports dénonçant les conditions dans lesquelles se font ces investissements, critiquant en particulier le projet de la société américaine Herakles. Celle-ci a signé, en 2009, avec le gouvernement camerounais, un contrat de location pour quatre-vingt-dix-neuf ans de 73 000 hectares de terres situés dans le sud-ouest du pays, afin d'y cultiver le palmier et d'y produire de l'huile de palme. " Cette vague soudaine de contrats fonciers et d'investissements (...) risque de conduire à une déforestation à grande échelle, à des modifications climatiques, à des abus sociaux et à la perte d'une partie des terres cultivées par les communautés villageoises ", avertit Greenpeace.
L'ONG Grain a dénombré une trentaine de projets d'investissement dans les plantations de palmiers à huile en Afrique, dont un de 180 000 ha au Congo, porté par une entreprise malaisienne. Le groupe singapourien Olam, a annoncé, en janvier, qu'il comptait investir 250 millions de dollars (200 millions d'euros) dans la production d'huile de palme au Gabon. " Chaque pays veut devenir le premier producteur africain d'huile de palme ", estime Frédéric Amiel, de Greenpeace France.
Cet engouement s'explique par au moins trois facteurs : la disponibilité de terres, l'augmentation de la demande et les perspectives de juteux retours sur investissement. Selon un rapport de la banque japonaise Nomura, cité par le magazine Jeune Afrique, l'Indonésie et la Malaisie, qui assurent 85 % de la production mondiale actuelle d'huile de palme, ne disposeront plus dans dix ans de terres exploitables. " Alors que l'Afrique dispose d'une énorme réserve de terres arables non cultivées ", reconnaît Mouhamadou Niang, de la Banque africaine de développement.
Les grandes entreprises du secteur - asiatiques en majorité - n'ont pas tardé à prospecter de ce côté de la planète. " Nous avons l'expérience pour aider l'Afrique à éradiquer la pauvreté et à assurer sa sécurité alimentaire ", affirme Supramaniam Ramasamy, directeur des plantations chez Olam.
L'huile de palme, dont l'Afrique est importatrice nette, est devenue la première huile végétale consommée dans le monde, avec 39 % d'un marché en pleine progression, loin devant le soja, le colza et le tournesol. Selon la Banque mondiale, " 28 millions de tonnes d'huiles végétales supplémentaires devront être produites chaque année d'ici à 2020 " en raison de la croissance démographique et de la demande alimentaire et ce, sans même tenir compte de l'utilisation des oléagineux pour produire des agrocarburants.
Malgré sa mauvaise image dans certains pays occidentaux, en particulier en France, l'huile de palme est la mieux placée pour répondre à ce défi : malgré la hausse de son cours, elle reste la plus économique des huiles végétales. Et la productivité du palmier à huile lui permet d'utiliser - à production égale - de six à neuf fois moins de terres que les autres oléagineux.
" Le palmier est une usine à huile, qui peut produire jusqu'à six tonnes par hectare et rapporter de 2 000 à 3 000 dollars - 1 600 à 2 400 euros - par hectare et par an, s'enthousiasme Alain Rival, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Aucune culture, à part parfois l'hévéa, ne rapporte autant. "
Il n'est pas besoin d'aller chercher plus loin les raisons de l'engouement pour la culture du palmier à huile, les mêmes qui ont conduit l'Indonésie et la Malaisie à sacrifier pendant des années leurs forêts primaires à la rente qui s'offrait à elles. Mais la déforestation a conduit la Banque mondiale à suspendre ses investissements dans la filière en 2009 et les pays importateurs occidentaux à exiger la mise en place d'une certification.
L'huile de palme peut-elle être une chance pour l'Afrique de faire sortir une partie de sa population de la pauvreté, comme ce fut le cas en Asie du Sud-Est, ou le continent risque-t-il, une fois encore, de voir lui échapper les profits tirés de cette culture ? " L'huile de palme, c'est très bien, mais pas n'importe où et pas n'importe comment ", lance Patrice Levang, agroéconomiste à l'Institut français de recherche pour le développement.
La Banque mondiale a rappelé que le respect d'un certain nombre de critères sociaux et environnementaux était indispensable. En premier lieu, la consultation et l'accord des communautés concernées, le respect des zones forestières à haute valeur de conservation, l'intégration dans ces projets d'agriculture intensive des petits planteurs et producteurs ou encore la sécurisation des droits fonciers.
Autant de critères que les ONG accusent certains investisseurs et certains Etats de ne pas respecter au moment de signer des contrats à l'avantage quasi exclusif des premiers nommés. Patrice Levang estime nécessaire l'instauration de plans nationaux de développement durable du palmier à huile en Afrique. En attendant que ce soit le cas, Greenpeace demande la suspension des " projets agro-industriels prévoyant des concessions de terres à grande échelle ".
Gilles van Kote
© Le Monde

La déforestation entraîne une réduction des pluies, menaçant l'Amazonie de sécheresses répétées


7 septembre 2012
Les précipitations pourraient baisser de 21 % pendant la saison sèche d'ici à 2050, selon une étude 


Les forêts humides ne sont pas seulement des réservoirs de biodiversité et de carbone : elles contribuent aussi largement à alimenter en pluie les régions tropicales. En mêlant des observations satellite à des simulations numériques, des chercheurs britanniques sont parvenus à évaluer cette contribution. Leurs résultats, publiés jeudi 6 septembre dans la revue Nature, prévoient une forte chute des précipitations dans le bassin amazonien si la déforestation s'y poursuit au rythme actuel.
" Pour plus de 60 % des terres tropicales, l'air qui a circulé au-dessus des zones de dense végétation produit au moins deux fois plus de pluies que celui qui a circulé au-dessus de zones clairsemées ", écrivent, en conclusion de leurs travaux, Dominick Spracklen (université de Leeds, Royaume-Uni) et ses coauteurs.
" Ces résultats sont importants, même s'ils ne sont pas inattendus, commente Simon Lewis, chercheur au département de géographie de l'université de Leeds, qui n'a pas participé à l'étude. Les forêts tropicales recyclent l'eau de pluie en la remettant dans l'atmosphère : elles participent au transport de l'humidité sur des centaines de kilomètres. Ces travaux montrent, avec soin, que la déforestation à grande échelle à un endroit peut affecter la végétation très loin de là, en réduisant les précipitations. "
En 2007, une étude publiée dans Geophysical Research Letters avait déjà suggéré qu'une réduction de 40 % de la superficie de la forêt amazonienne pourrait déclencher un basculement irréversible du climat régional vers des conditions arides. Dans la même ligne, mais avec d'autres éléments de preuve, les travaux de M. Spracklen indiquent pour leur part qu'une poursuite de la déforestation de l'Amazonie au rythme actuel conduirait sur ce bassin, à l'horizon 2050, à une baisse moyenne de 12 % des précipitations pendant la saison humide, et de 21 % pendant la saison sèche.
Ce déclin projeté est d'autant plus inquiétant qu'il concerne des régions qui " ont déjà une forte probabilité de connaître des sécheresses accrues d'ici à la fin du siècle si la température globale augmente de 3 ºC ", écrit Luiz Aragao, chercheur à l'université d'Exeter (Royaume-Uni), dans un commentaire publié par Nature.
Les conséquences de cette superposition d'effets " aridifiants " - déforestation et réchauffement - " pourraient être énormes ", poursuit Luiz Aragao. En termes écologiques, mais aussi économiques.
D'abord, ce double effet " aurait un impact sévère sur ce qui resterait de forêt, menant possiblement à des conditions trop sèches pour lui permettre de persister ", détaille Simon Lewis. Une spirale de déclin s'enclencherait alors et, même à penser que la déforestation pourrait cesser complètement, le massif forestier serait condamné à long terme.
Ensuite, une réduction importante des précipitations ne menacerait pas uniquement la forêt elle-même, mais également les activités agricoles du bassin amazonien, qui génèrent aujourd'hui environ 15 milliards de dollars par an (environ 12 milliards d'euros) de revenus selon l'Institut géographique et statistique brésilien. En outre, comme le souligne Luiz Aragao, l'hydroélectricité amazonienne, couvre environ 65 % des besoins électriques du pays. Or l'efficacité des barrages hydroélectriques est liée au débit des fleuves, donc partiellement aux précipitations.
Cependant, les travaux menés par M. Spracklen ne sont pas une étude dite " d'attribution " : ils n'évaluent pas les poids relatifs de la variabilité naturelle du climat, du réchauffement en cours et de la déforestation dans les derniers grands épisodes secs qui ont tout récemment frappé la zone. En 2005, une première grande sécheresse avait été qualifiée de " sécheresse du siècle ", avant d'être détrônée, seulement cinq ans plus tard, par un épisode plus sévère encore.
L'analyse de ces deux phénomènes exceptionnels, conduite par Simon Lewis et publiée en février 2011 dans la revue Science, avait montré qu'en cas de récidive de tels événements la forêt amazonienne pourrait ne plus jouer son rôle d'éponge à dioxyde de carbone (CO2) - elle absorbe et stocke plus d'un milliard de tonnes de CO2 chaque année -, mais qu'elle pourrait, au contraire, devenir émettrice de gaz à effet de serre.
Une dangereuse volte-face, qui perturberait le cycle du carbone mais aussi... les mécanismes économiques internationaux de compensation-carbone fondés sur le rôle de régulateur climatique de la forêt pluviale.
L'étude publiée est en tout cas, estime M. Lewis, " une raison supplémentaire pour utiliser les terres déjà défrichées de manière plus efficace et arrêter de convertir la forêt pluviale en terres agricoles ".
Stéphane Foucart
© Le Monde

23/08/2012

Le statut de la femme tunisienne ou l'héritage de Bourguiba menacé

FRANCE 24 l'actualité internationale en direct




À l’heure où les Tunisiennes craignent une remise en cause de leurs libertés par les islamistes au pouvoir, Tunis a célébré ce lundi le 56e anniversaire du Code du statut personnel, une série de lois progressistes. Gros plan sur un legs menacé.

Par Thibaut CAVAILLÉS , à Tunis (vidéo)
Charlotte BOITIAUX  (texte)

MANIFESTATIONS MONSTRES À TUNIS POUR DÉFENDRE LE DROIT DES FEMMES
Des milliers de Tunisiens ont manifesté lundi soir dans le calme contre les menaces pesant sur les droits de la femme et contre le parti islamiste Ennahda qui dirige le gouvernement, le plus grand rassemblement d'opposition depuis avril.

Deux rassemblements séparés ont eu lieu dans la capitale tunisienne, l'un autorisé l'autre non. Plusieurs milliers de personnes se sont réunies face au Palais des congrès de Tunis et avenue Habib Bourguiba, axe principal du centre-ville où le défilé n'était pas autorisé, avec pour mot d'ordre principal le retrait d'un projet d'article de la Constitution évoquant la complémentarité et non l'égalité homme-femme.

Les manifestants ont scandé des slogans comme "l'égalité dans la Constitution" et "Les membres d'Ennahda sont arriérés et des vendus".

"Je veux mener une réforme radicale, voire une révolution de certains usages régnant dans le pays et contraires à l'esprit de justice et d'équité caractéristique de l'humain", lançait Habib Bourguiba, alors président du Conseil en Tunisie, le 10 août 1956, lors d’un discours de présentation du Code de statut personnel (CSP) - une série de lois progressistes adoptées trois jours plus tard - garantissant l’égalité des sexes et offrant, de fait, une place inédite à la femme dans la société tunisienne.
Un demi-siècle plus tard, cette "révolution" féministe, sans équivalent dans le monde arabe et si chèrement défendue par un homme, est - ironie du sort - menacée, en partie, par des femmes. En déclarant que "l’égalité absolue entre l’homme et la femme n’existait pas" et en soutenant, à l’instar de ses confrères islamistes, un article de loi de la future Constitution qui remplace le principe d’égalité entre l’homme et la femme par celui de complémentarité, Farida Laabidi, députée du parti islamiste Ennahda, est devenue la bête noire des associations féministes tunisiennes.
En 1956, la femme grimpe dans l’ascenseur social tunisien
"C’est un bond en arrière", s’inquiète Zeyneb Farhat, personnalité incontournable de la scène culturelle tunisienne et militante de l’association des Femmes démocrates (ATFD), interrogée par FRANCE 24. "Aujourd’hui, ce 56e anniversaire a un goût amer. Nos acquis sont menacés, nos libertés menacent de s’effondrer. Tout commence à changer", ajoute-t-elle, attristée. Il paraît loin, en effet, le temps où Bourguiba, acquis au modernisme, a fait le pari de la libération de la femme pour redynamiser son pays dans une société alors assujettie aux courants les plus conservateurs.
À cette époque, jouissant d’une légitimité sans pareil, le père de l’indépendance sait que, malgré la désapprobation des milieux les plus conservateurs, il peut mener son grand chantier de modernisation de la Tunisie avec le soutien de la population. Lorsque le CSP entre en vigueur le 1er janvier 1957, de nombreuses femmes tunisiennes empruntent enfin l’ascenseur social réservé jusqu’ici au sexe fort. Le port du voile est prohibé dans les écoles, la polygamie est abolie, le divorce religieux – ou répudiation – interdit. Dans les années 1960/1970, cette politique féministe se poursuit et se renforce avec l’apparition du planning familial, le droit à l’avortement et l’accès à la pilule. Beaucoup de femmes commencent aussi à travailler, sans qu’une autorisation de leur époux ne leur soit demandée. Du jamais vu dans la société arabe.
Le CSP, un instrument du régime autoritaire de Ben Ali
C’est tout cet héritage que les Tunisiennes cherchent aujourd’hui à protéger d’un démantèlement progressif. "Même Ben Ali n’avait jamais osé revenir sur ces lois inédites", insiste Zeyneb Farhat. En 1988, en effet, lorsque Zine El Abidine Ben Ali arrive au pouvoir, il promet non seulement de ne jamais supprimer le CSP mais le consolide en promulguant de nouvelles lois en faveur des femmes. Dans les années 1990, malgré le conservatisme d’une partie de la société influencée par la montée de l’islamisme politique, les réformes se succèdent. Les Tunisiennes sont autorisées à donner leur nationalité à leurs enfants nés d’un père étranger et peuvent devenir chef de famille - et tutrice de leur progéniture - en cas de décès de l’époux.

"ON CRÉE UNE PORTE OUVERTE À PLUSIEURS ABUS DE DROIT"

Par FRANCE 24

Toutefois, aussi avantageuses qu’elles soient, ces avancées sociales cachent mal les ambitions "réelles" de l’ancien dictateur. "Tout le monde sait que Ben Ali se servait du CSP comme une image de marque pour séduire les dirigeants occidentaux", lâche la militante. Loin de servir la cause féministe, le Code du statut personnel devient, entre les mains du dictateur, tantôt un alibi – en forme de vitrine démocratique de son régime autoritaire – tantôt un argument de poids pour justifier la répression envers les islamistes qui réclament, en creux, son abolition. "Ben Ali n’a jamais vu dans le CSP un projet progressiste. Comment donner des droits à un pays sans droits ? Il n’y voyait qu’une chance de servir ses propres intérêts", explique Zeyneb Farhat.
Toucher au CSP : un "suicide" pour les islamistes
Si la protection du CSP donne alors l'image d'une Tunisie laïque et réformiste, sur le terrain, rappelle Zeyneb Farhat, les choses sont bien différentes. "Les hommes et les femmes étaient privés de libertés, nous n’avions pas le droit de manifester, ni celui de nous exprimer librement. La corruption et les passe-droits régissaient la vie quotidienne", développe la militante. Elle se fait ainsi l’écho deSihem Badi, l’actuelle ministre de la Femme et de la Famille en Tunisie, qui avait déclaré en mars dernier qu’"à cette époque, il s’agissait de monter des événements de façade pour montrer une femme tunisienne émancipée".
Dans le domaine politique, où le pouvoir est concentré entre les mains d'une seule et même personne, même écran de fumée. "Si le pouvoir de Ben Ali s’est plu à avancer que le pourcentage de femmes députées est passé de 1,82 % en 1996 à 22,75 % en 2004, l’illégitimité de ces parlements successifs nuit à la crédibilité de ces chiffres", avance pour sa part Meryem Belkaïd, blogueuse et universitaire tunisienne.
Plus d’un an après la chute du régime dictatorial de Ben Ali, le CSP, tour à tour fabriqué, entériné, consolidé, exploité, se retrouve entre les mains des islamistes. Le combat des Tunisiennes contre la réduction de leurs libertés les plus élémentaires obtiendra-t-il gain de cause auprès d’Ennahda, un parti qui souhaiterait, selon certains observateurs, façonner la Tunisie à l’image d’une République islamique ? Sihem Badi, l’une des trois femmes à détenir un portefeuille ministériel dans le gouvernement Jebali, reste optimiste. "Le Code du statut personnel est inspiré de la religion musulmane [les lois se basent sur l’exégèse du Coran, NDLR]. Ce serait un suicide pour les islamistes de toucher aux droits de la femme […] Je suis confiante sur le fait que le statut de la femme est à l’abri d’un retour en arrière."

Pourquoi la Chine ne solutionnera pas les problèmes de l’Afrique ?


Par Ndaba Obadias
La Chine veut doubler ses prêts à l’Afrique à hauteur de 20 milliards de dollars américains au cours des trois prochaines années. Voilà un geste apparent visant à renforcer les liens avec l’Afrique, un allié qui sert de fournisseur de ressources naturelles à la Chine et de marché pour les produits chinois à faible coût. La Chine a investi de l’argent en Afrique pour remporter la compétition féroce autour des importantes ressources naturelles du continent. Déjà la Chine est le partenaire commercial le plus important de l’Afrique, après avoir dépassé les États-Unis en 2009.
Alors que c’est à chacun des pays africains de choisir des partenaires économiques dans l’offre potentielle actuelle, il est erroné de supposer qu’un partenaire spécifique résoudra en quelque sorte les problèmes économiques et politiques de l’Afrique. Le Président sud-africain Jacob Zuma, exprimant l’optimisme dans les liens Chine-Afrique a déclaré « Nous sommes heureux que, particulièrement dans nos relations avec la Chine, nous sommes égaux et que les accords conclus génèrent un gain mutuel ». La Chine fournit une sorte de soulagement à la relation paternaliste et inégale de l’occident avec l’Afrique depuis les indépendances.
« L’Afrique » devrait savoir qu’il n’est pas vraiment important de savoir qui sont nos partenaires ou quels sont leurs plans pour nous en matière de développement économique ; il importe plutôt de savoir quels sont les plans et les stratégies que nous avons pour eux. Ce que la Chine veut de l’Afrique est tout à fait clair : les matières premières pour alimenter son boom économique. Et sa stratégie ? Plus de prêts et d’aide pour l’Afrique pour inciter davantage de pays à se tourner vers l’Orient.
Ce qui n’est pas clair en revanche, c’est la stratégie de l’Afrique. Les 54 pays de l’Afrique, avec une économie combinée plus de quatre fois plus petite que la Chine, sont probablement chacun trop petits pour réussir dans la compétition économique moderne de la mondialisation. Ils ont besoin de s’intégrer davantage et de se présenter comme une seule entité économique. Avec une croissance économique forte et soutenue, l’Afrique intégrée constituera une destination d’investissement plus attrayante pour les capitaux et la technologie étrangers qu’une collection de petites économies individuelles. Et l’intégration signifie aussi un poids et un pouvoir de négociation accrus.
Le développement économique est le résultat de la création de richesses et de valeur ajoutée aux ressources naturelles - pas du fait de savoir qui sont nos partenaires ! Tant que les plans et stratégies des économies africaines individuelles ne reflètent pas cette prise de conscience, les nations les plus puissantes continueront à acquérir les ressources naturelles de l’Afrique à des tarifs défiant toute concurrence. Alors que les perspectives économiques de l’Afrique s’éclairent, le continent ne devrait pas se permettre de devenir un champ de bataille par procuration lié à un déplacement de l’équilibre des pouvoirs entre les grandes économies du monde.
La seule différence entre la Chine et l’Occident, en tant que partenaires pour le développement économique de l’Afrique, est l’absence dans l’esprit des Chinois d’une Afrique associée à la pauvreté, aux guerres et aux maladies (des fantômes toujours présents dans l’imaginaire occidental) en dépit du fait que l’Afrique abrite six des dix économies à la croissance la plus rapide au monde et une population jeune qui peut changer les choses, si elle est correctement guidée.
Alors que l’observation du président chinois Hu Jintao selon laquelle « la Chine soutient sincèrement les pays africains dans la poursuite de leurs propres voies de développement, et veut sincèrement aider les pays africains à renforcer leur capacité à se développer de manière indépendante » ne doit pas être mise en doute, les actes comptent plus que les paroles. L’Afrique n’est pas étrangère aux engagements solennels qui ne sont pas suivis d’effets.
Ce n’est pas l’affaire de la Chine de promettre d’aider l’Afrique à se développer de manière indépendante. Un engagement à se développer de manière indépendante devrait être l’objectif des États de chaque pays africain. L’ironie est que la Chine est confrontée aux mêmes problèmes de gouvernance qui menacent la réussite de l’Afrique à long terme. Alors, avouons-le, les motivations des pays étrangers ne sont jamais si pures au point qu’ils souhaitent « sincèrement » que les autres se développent de manière indépendante, sans tenir compte de leurs propres intérêts.
La Chine n’est pas en Afrique par charité – ce n’est pas son but de toutes manières. A l’inverse, l’Afrique a été charitable à l’égard de beaucoup, en fournissant des matières premières depuis un certain temps. C’est une folie de croire que l’Afrique peut négocier des ententes mutuellement bénéfiques avec les Chinois, quand elle n’a pas résolu les problèmes qui ont conduit à l’exploitation de ses ressources par d’autres partenaires.
L’Afrique ne doit pas trop se tourner vers l’Orient, ni vers l’Occident, mais plutôt vers elle-même. C’est en Afrique que toutes les réponses se trouvent. Mettre en place des institutions transparentes, en investissant dans le capital humain, en favorisant un environnement propice à la création de richesses et qui permet l’ajout de valeur aux ressources, voilà ce que doit être l’objectif principal de l’Afrique. Dans ces domaines aussi, aucune aide n’est nécessaire, en particulier venant de Chine. Comme le dit un proverbe Est-africain « l’aide extérieure vient toujours après la pluie ».

Obadias Ndaba est un commentateur régulier des questions africaines et présente ici ses opinions.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

21/08/2012

Dans les villages du Congo, des groupes armés sèment la peur





22 août 2012

REPORTAGE



Le président et le vice-président de l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP) posent avec leur groupe armé, à Kikuku (République démocratique du Congo).
MICHELE SIBILONI POUR " LE MONDE "
Katwé et Kikuku (République démocratique du Congo) Envoyé spécial
A la frontière avec le Rwanda, les ex-rebelles intégrés dans l'armée régulière en 2009 retournent dans la brousse. Une myriade de groupuscules terrorise les civils et des massacres ont déjà eu lieu.

A la paroisse catholique de Katwé, chaque nuit commence avec le même rituel d'angoisse. On allume le générateur pour une poignée d'heures, afin de maintenir éclairées quelques ampoules bas voltage, tout en faisant claquer les énormes cadenas qui ferment les portes. Les pères s'enferment et guettent les bruits. Des coups de feu tout proches ? Encore l'oeuvre de l'un de ces groupes armés qui se bousculent dans la région. Soulagement : ils s'éloignent. L'attaque de la paroisse, ce ne sera pas pour cette fois encore. On ne saura jamais qui tirait ce soir-là, tant les suspects sont nombreux.
Le village voisin de Kikuku fait figure de capitale régionale pour les groupes armés qui gonflent à vue d'oeil depuis qu'une mutinerie a éclaté en avril, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). La mutinerie devenue rébellion, baptisée M23, était initiée par des officiers tutsi et soutenue par le Rwanda voisin. Depuis, les groupes anti-M23 champignonnent, notamment à Kikuku où cinq d'entre eux s'évitent le jour et se frôlent la nuit tandis que les honnêtes gens s'enferment à double tour, espérant ne pas entendre le pas des hommes en armes.
Vers Kikuku, on trouve des maï maï (guerriers traditionnels) du colonel Janvier Banyene, les plus organisés, ainsi que d'autres groupes similaires plus marginaux. Ils côtoient les éléments du colonel Bapfakururimi et ceux de deux formations rivales issues des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les combattants hutu rwandais. Certains sont cachés dans les environs, d'autres ont été intégrés dans les groupes congolais, qui se disputent ces combattants aguerris.
Alors la nuit, dans un quartier de Kikuku, difficile de savoir à qui appartient la voix qui sort de l'obscurité et demande, avec une douceur plus inquiétante que toutes les menaces : " Vous avez fait bon voyage ? " Renseignement pris, il s'agit d'un " responsable de la sécurité " du colonel Bapfakururimi. A cette heure tardive, ce dernier n'est pas visible, et ce n'est pas faute d'éclairage. " Pour l'audience, il faudra revenir demain ", car la nuit, on ne sait de qui (ses amis ou ses ennemis), il faut le plus se méfier à Kikuku.
Dans le village, à une journée de route de Goma, la capitale du Nord-Kivu, les deux matériaux dominants sont la terre crue et la planche. Les plus riches édifient des chalets en bois à un étage qui ressemblent à des cabines de bateau. Les plus modestes ont recours aux toits en feuilles de bananiers. Tous devraient prospérer grâce aux richesses du sol : bananes, manioc, haricots. Mais en ces temps de malheur, les groupes armés et les maladies semblent s'acharner sur Kikuku. Le wilt bactérien décime les bananeraies. La striure brune menace le manioc. Seuls prospèrent les groupes armés.
Pourtant, comme ils promettent de sauver le Congo, tous ces hommes en uniforme ! Le colonel Bapfakururimi, au matin, se présente avec une délégation de son groupe " politico-militaire ", l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP), qui recrute parmi les anciennes milices locales hutu. Le colonel, ancien responsable de la milice Mongol, avait été intégré dans l'armée régulière lors des derniers accords de paix (2009), mais mis en " dispo " (sans affectation). La fausse guerre et le vrai drame en cours - dont les principales victimes sont civiles - ont leurs racines dans cette intégration mal réalisée d'une foule de groupes armés et d'ex-rebelles dans une armée régulière sans colonne vertébrale.
Au premier signe de délitement, en avril, chacun est retourné en brousse, songeant déjà à peser dans les futures négociations et à obtenir le plus possible de grades de colonels, plus de positions lucratives au prochain plan de paix.
Cela n'empêche pas des tensions plus graves et profondes de resurgir. En témoignent les FDLR, rebelles hutu rwandais, dont les éléments les plus anciens sont des vétérans de la période du génocide contre les Tutsi, commis au Rwanda en 1994. Déjà, dans les années 1990, ces derniers venaient dans ce village à forte population hutu aider les milices locales à s'organiser. Certains de ces vétérans, dans le groupe de soldats qui entoure le colonel, demeurent discrets sur leur passé, et disent refuser de négocier leur retour au Rwanda.
Des groupes locaux ont été armés et payés par les autorités rwandaises pour assassiner ces responsables hutu, comme celui du maï maï Cheka, ancien marchand de minerais et bon vivant de Goma, devenu chef de guerre et chasseur de FDLR dans les collines.
Aujourd'hui, les combattants hutu sont très demandés. Le groupe armé du colonel Janvier, celui qui monte dans la région, riche de ses mines, de ses soutiens politiques et de la qualité de son organisation, tente aussi de les recruter. Moussa Juma Pili, commandant, responsable local du colonel Janvier, promet un marché simple comme bonjour aux FDLR : conquérir d'abord le Congo, puis porter la guerre au Rwanda. " On doit les aider à rentrer, on va ouvrir le mur sombre pour qu'ils rentrent dans leur pays ", affirme ce commandant maï maï - guerriers traditionnels ayant recours aux " protections " (dawa) élaborées par un " docteur " -, qui fait le décompte des " trois forces " sur lesquelles il compte pour ce vaste projet : " Dieu, créateur et maître de toutes les circonstances, les ancêtres et la population ". Avant toute chose, l'officier songe à s'emparer de tout le Congo : " Si on trouve les moyens logistiques, les armes lourdes et consorts, on peut prendre le pays en trente jours ", affirme-t-il.
Au bord du chemin, ces mots claquent comme des oriflammes dans le vent. En réalité, à ce stade, aucun de ces groupes n'a la moindre intention, ni la possibilité, d'étendre la guerre au-delà de leurs villages, et encore moins l'envie de se frotter aux défenses du Rwanda voisin. Mais dans l'incertitude des temps de crise, les idées meurtrières ne sont pas perdues pour tout le monde. Il y a déjà eu des massacres (parfois plus de cent personnes) sur des bases ethniques à moins de cent kilomètres. Au sein de la population en détresse, certains slogans de violence pourraient entraîner des passages à l'acte, avec la bénédiction de la plupart des groupes dont la longue liste sonne comme un poème tragique.
L'UPCP est dirigée par un ancien du Panam (Parti national maï maï), Céleste Kambale Malonga, qui promet de " se libérer du joug des agresseurs " et tire son inspiration des mongols, une milice hutu qui n'a rien à voir avec la Mongolie, son nom signifiant " obtenir quelque chose par la ruse ". Pour mieux comprendre son origine, il faut remonter le long fleuve de drames et de souffrances ayant coulé dans la région depuis les premiers grands massacres de 1993 en RDC. A l'époque, les Hutu avaient été visés par une coalition d'autres ethnies à la suite de manipulations politiques du pouvoir central.
Timothée Mbonabucya se souvient avoir vu " sa mère percée à coups de lance, avec son enfant dans le dos. C'était un mercredi ". Cette mémoire est enfermée dans la coque de ses souvenirs. En temps de crise, ce genre de traumatisme a pratiquement la puissance d'une grenade. Avant qu'on ne la dégoupille, il faut espérer qu'un arrangement politique viendra mettre fin à l'escalade toxique des groupuscules armés.
Viateur Mojogo, président du Pareco, anciens " auto-défenseurs des collines " impliqués dans le processus de paix précédent, l'appelle de tous ses voeux. Il connaît par coeur les mécanismes en cours, et distingue comment chaque formation est en train de recruter à tour de bras pour essayer de se positionner pour la prochaine distribution de postes. " Ce qui arrive est aussi le fruit d'une certaine légèreté au niveau de l'Etat. Mais s'il y a reprise des hostilités, le combat sera très farouche ", avertit-il.
Jean-Philippe Rémy
© Le Monde

20/08/2012

Au Niger, les pasteurs reculent devant les cultivateurs



 
21 août 2012

Niamey Envoyé spécial

Ils étaient les seigneurs du Sahel, ils sont en passe d'en devenir des citoyens de seconde zone. Les populations pastorales sont durement éprouvées par la répétition d'aléas climatiques dans la région, mais aussi par son évolution socio-économique. " Le front agricole avance de plus en plus et colonise les terres pastorales ", note Abdrahmane Wane, coordonnateur du pôle pastoral zones sèches au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, basé à Dakar.
" Au Niger, on considère qu'une terre n'est exploitée que si elle est cultivée, explique Harouna Abarchi, de l'Association pour la redynamisation de l'élevage au Niger. La manière qu'ont les éleveurs de marquer l'espace n'est pas reconnue et les aires de passage des troupeaux se font grignoter. " Et M. Wane de citer l'exemple de terres louées à un investisseur italien au Sénégal sous prétexte qu'elles étaient " libres ", alors qu'elles étaient situées sur des parcours de transhumance du bétail.
Ce contexte de concurrence entre pasteurs nomades et cultivateurs est à l'origine de nombreuses tensions, alors que les deux populations ont longtemps vécu en symbiose : les troupeaux venaient nettoyer les champs de leurs déchets végétaux, après les récoltes, tout en amendant ces terres par leurs déjections. " A une époque, les cultivateurs offraient des bottes de mil aux éleveurs, le vendredi, pour sceller leur bonne entente ", raconte Harouna Abarchi, qui déplore la multiplication d'" expéditions punitives " visant des campements d'éleveurs dont le cheptel est soupçonné d'avoir provoqué des dégâts dans les champs.
L'accès à l'eau constitue une autre source de tensions. " Alors que l'élevage est la principale ressource du Niger, on assiste, en plus des obstacles à la libre circulation des troupeaux, à une "privatisation" des puits et des points d'eau, constate Jean-Pierre Olivier de Sardan, du Laboratoire d'études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local, à Niamey. Il y a même eu des grèves d'éleveurs peuls qui ont boycotté les marchés pour protester contre le racket dont ils estiment être victimes. "
" Marginalisés "
C'est que les populations pastorales ont du mal à faire entendre leur voix. " On trouve très peu d'éleveurs parmi les élites ", constate Harouna Abarchi. " Ce sont des populations marginalisées, qui ne pèsent quasiment pas sur les politiques publiques, confirme Abdrahmane Wane. Les Etats ont toujours du mal à appréhender ces populations mobiles. "
Les réponses apportées à la crise alimentaire actuelle ciblent essentiellement les populations sédentaires, alors que la hausse des prix des céréales touche également les pasteurs, qui voient les termes de l'échange se dégrader pour eux. De plus, l'important déficit fourrager enregistré en 2011 a affaibli des troupeaux déjà décimés par un précédent épisode de sécheresse, en 2010.
La rébellion dans le nord du Mali a aggravé la situation en empêchant l'accès des troupeaux au Gourma, une importante zone de pâturages, et en poussant à l'exil de nombreux éleveurs, accompagnés de leurs bêtes. Des mesures spécifiques de soutien aux populations pastorales ont été prises : des distributions ou des ventes à prix subventionnés d'aliments pour le bétail ont été organisées, ainsi que des campagnes de vaccination des animaux.
G. v. K.
© Le Monde

Les quatre plaies des peuples du Sahel









 
21 août 2012


Jeune Nigérienne, à Niamey, en juin. Les cas de malnutrition se sont multipliés au Niger depuis avril, selon l'Unicef.
RICHARD VALDMANIS/REUTERS

Crise alimentaire, conflits armés, criquets et choléra conjuguent leurs menaces sur la région
L'abondance actuelle de la végétation dans la bande sahélienne est un trompe-l'oeil. Car les débuts encourageants de la saison des pluies n'empêchent pas les effets des précipitations erratiques de 2011, à l'origine de récoltes médiocres, de se faire sentir aujourd'hui. Les pays du Sahel traversent une nouvelle crise alimentaire, après celles survenues en 2005 et en 2010.
Selon les Nations unies, ce nouvel épisode touche environ 18 millions de personnes, vivant pour l'essentiel au Niger, au Mali, au Tchad et en Mauritanie. Plus d'un million d'enfants sahéliens de moins de 5 ans devraient être traités, en 2012, pour malnutrition sévère, ce qui constitue, selon Médecins sans frontières (MSF), un chiffre jamais atteint dans l'histoire des interventions humanitaires.
La fréquentation des centres de récupération nutritionnelle est actuellement au plus haut, estime le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef). " Le nombre de nouveaux cas de malnutrition sévère traités au Niger est d'un millier par jour depuis avril ", assure Martin Dawes, son responsable régional de la communication. La situation est particulièrement critique au Tchad, où le taux de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans dépasse le seuil d'urgence de 15 % dans neuf régions sur onze, selon l'Unicef.
La période de " soudure ", qui correspond à l'épuisement des réserves alimentaires des foyers, a démarré particulièrement tôt en 2012, dès le mois de février pour certains. Elle doit se poursuivre jusqu'aux prochaines récoltes, attendues en octobre. Dans l'intervalle, les ménages dépendent de la disponibilité des céréales sur les marchés.
Or, l'augmentation des prix alimentaires barre l'accès à ces marchés aux populations les plus vulnérables. Selon l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), le prix du mil était, en juin, de 10 % à 80 % supérieur à la moyenne saisonnière.
La mise en oeuvre précoce - dès la fin 2011 - d'une réponse de la plupart des Etats concernés, des institutions internationales et des organisations non gouvernementales (ONG) a toutefois permis, à la différence des épisodes précédents, de limiter l'ampleur de la crise. Des distributions d'argent et de vivres auprès des populations les plus vulnérables, ainsi que des ventes de céréales à prix subventionnés, ont été effectuées préventivement.
Des aliments thérapeutiques ont aussi été acheminés vers les centres de récupération nutritionnelle, afin que ceux-ci soient prêts à répondre à l'afflux de patients attendu à la saison des pluies, quand le paludisme et les diarrhées fragilisent les enfants. " La rapidité de réaction des donateurs a permis d'éviter que la crise se transforme en désastre ", affirme Martin Dawes.
Les Nations unies estiment à 1,6 milliard de dollars (1,3 milliard d'euros) les besoins en financements, mais les engagements pris par les donateurs ne correspondent qu'à un peu plus de la moitié de cette somme. L'aide d'urgence reste largement privilégiée par rapport aux actions permettant de s'attaquer aux causes structurelles de ces crises à répétition. " On parle beaucoup de résilience et d'un nécessaire changement de paradigme, mais l'attitude des donateurs ne change pas vraiment ", note Gaëlle Bausson, porte-parole de l'ONG Oxfam au Niger.
La nouvelle saison des pluies a démarré assez tôt (dès mai dans certaines régions) et les précipitations se sont montrées soutenues et régulières, ce qui a eu pour effet de soulager les populations pastorales en remplissant les mares et en stimulant la croissance des pâturages. Même si elles ont aussi provoqué des inondations dans certaines régions. " Les données dont nous disposons sont, à quelques exceptions près, encourageantes ", estime Martin Morand, responsable régional d'Action contre la faim (ACF).
Malgré la perspective de bonnes récoltes, il est cependant encore trop tôt pour se réjouir. Les habitants du Sahel se trouvent en effet face à une quadruple menace : l'augmentation des prix alimentaires mondiaux - qui pèse particulièrement sur les pays à faible revenu -, l'instabilité politique au Mali, la recrudescence du choléra et la présence de criquets pèlerins dans le nord du Mali et du Niger.
Ces ravageurs des cultures, venus des confins de l'Algérie et de la Libye, ont trouvé dans le " Sahel des pâturages " un cadre favorable à leur reproduction. Pour la suite, tout va dépendre des pluies. " Si les régions où ils se trouvent actuellement se dessèchent, ils risquent de descendre vers le Sahel des cultures en septembre, affirme Annie Monard, de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Nous sommes dans l'expectative. "
Une infestation de grande ampleur pourrait menacer la sécurité alimentaire de 50 millions de personnes, estiment les Nations unies. Des équipes de surveillance sont actuellement déployées au Niger et dans la partie du Mali restée sous le contrôle du gouvernement central. Une réunion des experts régionaux est prévue du 3 au 5 septembre à Nouakchott, en Mauritanie. Mais l'impossibilité d'intervenir dans le nord du Mali, en raison de la rébellion en cours, augmente les risques.
De même, la présence de plus de 260 000 réfugiés maliens dans les pays limitrophes a aggravé la crise alimentaire, en accroissant la pression sur les vivres disponibles. Enfin, les camps de réfugiés sont un lieu particulièrement propice à la propagation du choléra, apparu début 2012 dans la région.
Selon l'Unicef, 29 000 cas et 700 décès ont été rapportés en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale depuis le début de l'année. Les pays côtiers - notamment le Sierra Leone, où 176 décès ont été recensés - et la boucle du Niger sont particulièrement touchés. " C'est excessivement inquiétant, avertit le responsable régional d'Action contre la faim, Dans un contexte de crise alimentaire et alors que les populations sont déjà affaiblies. "
Gilles van Kote
© Le Monde


06/08/2012

L'Afrique ne manque pas d'eau

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Le continent dispose d'importantes ressources en eau. Il manque en revanche les infrastructures de distribution et d'assainissement qui permettraient aux populations d'accéder à l'eau potable. Décryptage de ce paradoxe, en cartes.
06.08.2012 | Courrier international

Dans son sous-sol, le continent africain recèle 660 000 kilomètres cubes de réserves d'eau. Cette ressource est cent fois supérieure à la quantité d'eau en surface. Et pourtant, 330 millions d'Africains, soit 40 % de la population, n'ont pas accès à l'eau potable, rappelle le quotidien espagnol El País. Selon des chiffres de la Banque africaine de développement, il faudrait que l'Afrique consacre l'équivalent de 11,5 milliards d'euros par an pour créer ou renforcer des infrastructures de distribution et d'assainissement. Et si l'eau existe, certaines nappes sont enfouies en profondeur, rendant délicat et coûteux tout projet de creusement.

Le graphique ci-dessous montre ainsi que d'énormes nappes dans les zones sahariennes se situent à une profondeur de plus de 50 mètres. Il s'agit notamment d'eaux "fossiles" très anciennes (des millions d'années), mais qui ne se renouvellent pas.
L'accès à l'eau potable devient d'autant plus aigu que les populations urbaines augmentent rapidement. Le pourcentage de citadins devrait passer de 44 à 57 % entre 2010 et 2040, selon l'Association africaine de l'eau. Mais de fortes inégalités subsistent entre les principales métropoles dans l'approvisionnement en eau des habitants [voir graphique]. Alors que Le Caire (17,6 millions d'habitants) a un taux d'approvisionnement de 95 %, une ville comme Lagos (capitale économique du Nigeria) dont la population se situe entre 15 et 17 millions d'habitants fournit l'eau à moins de 65 % de ses citoyens.

L'ONU a inscrit dans son programme, intitulé Objectifs pour le millénaire, l'accès à l'eau potable à 80 % de la population mondiale.

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