22/12/2010

Tourisme : Une randonnée au Sahara, envers et contre tout


23 décembre 2010
Face aux mises en garde du Quai d'Orsay concernant certains pays d'Afrique, des voyagistes imaginent des destinations inédites
 Randonnée à dos de chameau à Tataouine, dans le sud Tunisien.
Où partir cet hiver si on aime marcher dans le désert ? La question, au moment où le ministère des affaires étrangères cherche à dissuader les voyages dans la plupart des pays du Sahara, est moins futile qu'elle ne le paraît. En septembre 2009, l'enlèvement dans le nord du Niger de sept personnes travaillant pour le groupe industriel français Areva, revendiqué par l'organisation Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a déclenché l'alarme.
Le Niger, mais aussi la Mauritanie, l'Algérie et une partie du Mali ont été placés en " zone rouge ", c'est-à-dire fortement déconseillée par le quai d'Orsay. Tant pis pour les 50 000 à 100 000 voyageurs qui effectuent, chaque année, une " randonnée chamelière " : un circuit à pied accompagné de chameaux transportant les vivres. Privés de désert, ils ont renoncé aux sables de Chinguetti (Mauritanie) et aux rocailles du Hoggar, dans le Sud algérien.
Sur place, les conséquences sont parfois dramatiques. Il y a un an exactement, la compagnie Point Afrique inaugurait en grande pompe, avec 150 invités venus de France, un vol direct entre Paris et Timimoun, une oasis située en plein centre de l'Algérie. Aujourd'hui, les vols ont été suspendus et la petite ville a retrouvé sa torpeur, plongeant hôteliers, guides et chameliers dans l'inactivité.
Tamanrasset, plus au sud, ne mise que sur la clientèle locale, " Algériens ou expatriés vivant à Alger ", témoigne Nicolas Loizillon, conseiller de l'agence Akar-Akar.
La malédiction frappe aussi le port de Mopti, sur le fleuve Niger, au Mali, et atteint le pays dogon, qui concentre, en temps normal, 80 % du tourisme malien. Dans cette région - marquée en orange (" déconseillée sauf raisons impérieuses ") par le Quai d'Orsay depuis la mi-novembre -, " on ne court aucun danger, par plus que dans l'Adrar, en Mauritanie ", affirme pourtant Maurice Freund, fondateur de Point Afrique.
Afin de surmonter la peur des voyageurs et de leur entourage, la compagnie proposait, voici quelques semaines, des vols Paris-Mopti au prix concurrentiel de 99 euros l'aller. Sans aucun succès. " Ça m'a rapporté quatre clients ", lâche le voyagiste.
Seuls quelques habitués bravent les interdits. Anne-Marie Yeromonahos, une voyageuse francilienne qui ne saurait vivre sans sa " dose de désert " annuelle, passera la semaine du Nouvel An en Mauritanie. " Si les voyageurs anonymes cèdent à un excessif principe de précaution, les Sahariens seront les premières victimes ", affirme-t-elle, en ajoutant que le voyage dans ces pays menacés constituerait " un moyen de combattre le terrorisme ".
D'autres touristes, moins conscients ou plus craintifs, se rabattent vers des destinations considérées comme sûres. L'Egypte, où le tourisme constitue un produit à haute valeur ajoutée, en profite pour vanter son " désert blanc ". Située à cinq heures de route au sud-ouest du Caire, cette petite région réserve " des paysages tout à fait originaux, faits de pitons de craie qui rappellent un musée d'art moderne ", assure Thierry Laprévote, fondateur de l'agence de voyages Zig-Zag à Paris. La destination, assure le spécialiste, " attire des centaines de personnes, soit le double de l'an dernier ", au point d'obliger les voyagistes à une logistique complexe, car " la région compte peu de chameaux ".
La Tunisie et le Maroc, bien que peu réputés pour le tourisme de désert, redeviennent attrayants. Le Sud marocain constitue, cet hiver, la première destination vendue par l'agence La Balaguère. La Tunisie souffre certes " de son image de destination de masse, mais on y trouve, loin des lieux fréquentés, de grandes dunes propices à la réflexion intérieure ", détaille Elisabeth Verret, fondatrice de l'association L'Ami du vent, un voyagiste spécialisé situé à Thionville (Moselle). Au Moyen-Orient, le Wadi Rum (Jordanie) et le sultanat d'Oman bénéficient également du report d'une partie de la clientèle saharienne. Toutefois, pour Christophe Leservoisier, fondateur du tour-opérateur lyonnais Atalante, " seul le Sahara offre à la fois la beauté des paysages et la saveur des rencontres denses avec des nomades ".
Tablant sur cette passion des Français pour le Sahara, M. Freund ouvrira, en février 2011, une ligne aérienne entre Paris et Faya-Largeau, au nord du Tchad. Le massif de l'Ennedi, avec ses " tassilis remarquables et ses arches de 30 mètres de haut ", réunit, selon lui, " toutes les conditions " pour satisfaire les marcheurs, qui doivent jusqu'à présent atterrir à N'Djamena puis rouler trois jours sur de redoutables pistes avant d'atteindre le lieu de randonnée. La menace terroriste favorise aussi la conversion touristique de la riche Libye, désireuse de ne plus compter sur les seuls revenus du pétrole.
" On sent une augmentation de la clientèle touristique ", admet Najoua Mahmoud, responsable de la compagnie libyenne Afriqiyah Airways à Paris. Le désert libyen, boudé par les Français au lendemain de la visite de Mouammar Kadhafi à Paris, fin 2007, redevient tendance, malgré l'obligation de se faire accompagner d'un détachement de la " police touristique " au service du colonel. Car, en Libye comme en Tunisie ou en Egypte, la dictature " présente au moins l'avantage de permettre une protection des touristes ", estime Mme Verret, de L'Ami du vent.
Olivier Razemon
© Le Monde

14/12/2010

SOLUTIONS LOCALES POUR UN DESORDRE GLOBAL

« Les films d'alertes et catastrophistes ont été tournés, ils ont eu leur utilité, mais maintenant il faut montrer qu'il existe des solutions, faire entendre les réflexions des paysans, des philosophes et économistes qui, tout en expliquant pourquoi notre modèle de société s'est embourbé dans la crise écologique, financière et politique que nous connaissons, inventent et expérimentent des alternatives. »
Coline Serreau

Dépassant la simple dénonciation d'un système agricole perverti par une volonté de croissance irraisonnée, Coline Serreau nous invite dans « Solutions locales pour un désordre global » à découvrir de nouveaux systèmes de production agricole, des pratiques qui fonctionnent, réparent les dégâts et proposent une vie et une santé améliorées en garantissant une sécurité alimentaire pérenne.

Caméra au poing, Coline Serreau a parcouru le monde pendant près de trois ans à la rencontre de femmes et d'hommes de terrain, penseurs et économistes, qui expérimentent localement, avec succès, des solutions pour panser les plaies d'une terre trop longtemps maltraitée.
Pierre Rabhi, Claude et Lydia Bourguignon, les paysans sans terre du Brésil, Kokopelli en Inde, M. Antoniets en Ukraine... tour à tour drôles et émouvants, combatifs et inspirés, ils sont ces résistants, ces amoureux de la terre, dont  le documentaire de Coline Serreau porte la voix.

Cette série d'entretiens d'une incroyable concordance prouve un autre possible : une réponse concrète aux défis écologiques et plus largement à la crise de civilisation que nous traversons.

 


Pour acheter le DVD vous pouvez aller sur le site des Editions Montparnasse.

13/12/2010

Energie et Climat, la fin de l'âge d'or


Jean-Marc JANCOVICI donne des conférences très intéressantes sur l'énergie et le climat.
Je vous conseille de naviguer sur son site internet : http://www.manicore.com et de regarder la conférence de Jean-Marc Jancovici chez SPIE en mars 2008, illustrée d'un diaporama sur : http://storage02.brainsonic.com/customers2/entrecom/20080227_Spie/session_1_fr_new/files/index.html


Vous pouvez aussi télécharger le diaporama au format ppt en cliquant ici.


11/12/2010

Optimisme après l'accord sur le climat à Cancun

     
12 décembre 2010
Cancun (Mexique) Envoyé spécial
Les pays émergents ont joué un rôle moteur dans le succès de la conférence des Nations unies


Un accord presque unanime et relativement ambitieux était sur le point d'être conclu à Cancun, samedi 11 décembre à 2 heures du matin, alors que s'achevait la conférence des Nations unies sur le climat. La conférence de Cancun aura donc rempli son objectif, celui de traduire dans un " paquet équilibré " de décisions onusiennes, l'accord de Copenhague, adopté en 2009 par une majorité de chefs d'Etat mais non approuvé à l'époque par la conférence.
Après deux semaines d'une négociation souvent tendue, plusieurs fois bloquée, ce succès permet de créer la boîte à outils de la lutte contre le changement climatique, de remettre la négociation climat sur les rails et par là-même de sauver le processus onusien.
Un seul pays, la Bolivie, s'opposait encore au document, dans la nuit de vendredi à samedi. " Nous ne pouvons pas accepter ce texte qui revient à augmenter la température moyenne de plus de 4°C ", a dénoncé le chef de la délégation bolivienne, Pablo Solon, trop isolé pour être entendu.
" Cette proposition est équilibrée, tous les éléments sont présents d'une manière ou d'une autre, je ne vois pas pourquoi nous perdrions plus de temps à discuter des détails ", a répliqué le représentant des Maldives. Même l'envoyé spécial des Etats-Unis, Todd Stern, a approuvé sans conditions un texte qu'il a qualifié de " bonne base pour avancer ", tandis que le représentant chinois, Xie Zhenhua, se déclarait " satisfait ".
Comment en est-on arrivé à une telle unanimité, après dix jours de guerre de tranchées entre des positions apparemment irréconciliables ? Par un tour de magie doublé d'un coup de poker.
La magie, c'est celle des " formules ambiguës " suffisamment habiles pour satisfaire l'ensemble des parties sans vider le document de son ambition. C'est ce sens de la formule qui a permis de maintenir dans le texte l'objectif d'une deuxième période d'engagement du protocole de Kyoto, une condition exigée par les pays en développement, alors même que le Japon, rejoint par la Russie, avait fermé l'horizon de la conférence en refusant, dès les premiers jours, cette perspective.
Le coup de poker est celui, risqué, qu'a joué la présidente de la conférence, la ministre mexicaine des affaires étrangères, Patricia Espinosa, vendredi, pour sortir les négociations de l'impasse, alors qu'une première nuit d'intenses tractations n'avait pas permis aux négociateurs de finaliser des textes consensuels sur les différents chapitres du futur accord.
Tandis que le temps semblait s'être figé dans le décor luxueux du Moon Palace, la présidente, enfermée dans son bureau, a convoqué toute la journée les acteurs de la négociation pour forcer le compromis, sans que personne ne sache ce qu'il en sortirait. Ce n'est qu'à 17 heures que le texte sera finalement distribué, provoquant une belle bousculade... et une vraie surprise.
Alors que les derniers documents sur la table étaient encore truffés d'options, Mme Espinosa a décidé de rédiger une proposition d'accord achevé, sans plus aucun choix à trancher. Une stratégie du quitte ou double qui s'est révélée payante, tant la plupart des délégations craignaient par-dessus tout un nouvel échec, après la déroute de Copenhague en 2009. A 18 heures, c'est par une standing ovation que les centaines de délégués réunis en assemblée plénière ont accueilli la Mexicaine, émue aux larmes et visiblement épuisée.
Le feu d'artifice consensuel des dernières heures masque une profonde recomposition des forces. Divisés sur le protocole de Kyoto, les pays industrialisés se sont révélés incapables de prendre le moindre leadership dans la négociation. " Le vieux monde est mort à Copenhague. On a vu à Cancun les pays émergents devenir une véritable force de proposition ; même le groupe africain a réussi à parler d'une seule voix pour la première fois ", analyse Laurence Tubiana, la directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales.
Sur les points les plus conflictuels, les compromis décisifs sont venus de l'Inde - dont le ministre indien de l'environnement, Jairam Ramesh, restera l'un des acteurs clés de cette négociation -, du Brésil et de la Chine. En face, l'Europe a donné l'image d'une diplomatie paralysée par le processus communautaire, tandis que les Etats-Unis, dénués de marge de manoeuvre depuis la victoire des républicains aux élections de mi-mandat, restaient sourds à tout rapprochement. Ce constat présage de futures difficultés pour la prochaine conférence à Durban, en 2011, quand il s'agira de donner un contenu détaillé au cadre général approuvé à Cancun.
Grégoire Allix
© Le Monde

Les bases d'un futur traité sur le changement climatique se dessinent

Cancun (Mexique) Envoyé spécial
Le texte qu'ont réussi à élaborer les diplomates rassemblés à Cancun (Mexique) représente une avancée réelle dans la mobilisation internationale contre le changement climatique. Un an après l'échec de Copenhague, les négociateurs ont fait mentir ceux qui jugeaient que les Nations unies étaient disqualifiées. Au contraire, et notamment grâce à l'attitude très ouverte et transparente de la présidence mexicaine, le processus s'est révélé adéquat pour parvenir à une décision commune et substantielle. Il est relégitimé, et pourra donner sa mesure à Durban (Afrique du Sud), fin 2011, lorsqu'il s'agira de mettre au point un nouveau traité sur le changement climatique.
Les bases de ce traité sont posées dans la décision de Cancun. En premier lieu, celle-ci intègre l'objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C par rapport à l'époque préindustrielle : si cette référence avait déjà été acceptée par les pays du G8, elle ne l'avait pas été par les grands pays émergents, jusqu'à l'accord de Copenhague. Le principal acquis de celui-ci était justement de leur faire accepter ce point, qui implique une limitation des émissions globales dans les prochaines décennies. Comme l'effort des pays riches ne suffira pas à atteindre l'objectif, ce seuil de 2 °C implique que les pays émergents devront, eux aussi, s'engager à limiter leurs émissions.
La décision de Cancun prépare cette limitation, en affirmant que les pays en développement mèneront des actions de façon à infléchir la tendance à la hausse des émissions. Ces actions - comme celles prises par les pays développés - seront inventoriées par le secrétariat de la Convention. Une procédure de " contrôle et de vérification " sera instaurée, sur la base de la proposition du ministre indien de l'environnement, Jairam Ramesh : les rapports d'action présentés par les pays seront analysés par des experts indépendants, d'une façon " non intrusive, non punitive et respectant la souveraineté nationale ". Cette proposition a été un des éléments du succès de Cancun en recueillant le soutien de la Chine, pour qui cette question de contrôle était très sensible.
Continuité
Ce pas majeur des pays en voie de développement vient en contrepartie de la satisfaction de deux de leurs exigences. D'une part, la légitimité du protocole de Kyoto est réaffirmée - une revendication essentielle, parce que le protocole, en engageant les pays industrialisés à une réduction nette de leurs émissions, marque la différence de responsabilité entre les deux groupes. Mais la décision de Cancun vise à assurer la continuité entre la première période du protocole - qui s'achève en 2012 - et la période suivante, il n'y a pas d'engagement formel. La plaie est soulagée, elle n'est pas guérie.
D'autre part, la création d'un " Fonds vert du climat ", doté de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, est actée. Sa gouvernance sera assurée par un bureau de 24 membres composé à parité par des représentants des pays riches et des pays en développement. La gestion technique du Fonds sera assurée par la Banque mondiale. La nécessité d'engager 30 milliards de dollars (23 milliards d'euros) d'ici à 2012 est réaffirmée.
La décision de Cancun comporte d'autres volets sur l'adaptation au changement climatique, le transfert de technologie propre, et la déforestation. Sur ce point, il entérine des mesures discutées depuis plusieurs années. A la demande de la Bolivie, elles n'évoquent pas les mécanismes de marché comme possible mode de financement.
Le texte posé par la ministre mexicaine Patricia Espinosa est étonnamment substantiel. Son adoption manifeste la relance du dialogue climatique après le chaos de Copenhague. Un traité sur le climat, unissant la communauté internationale, devient un horizon crédible pour Durban.
Hervé Kempf
© Le Monde

09/12/2010

La Chine en Afrique : une menace et des mésaventures


10 décembre 2010
L'appétit du géant asiatique pour les matières premières africaines inquiète les Etats-Unis. Mais le forcing de Pékin rencontre parfois des obstacles
Au cours des cinq dernières années, Washington a pris conscience que l'envergure de la politique africaine du gouvernement chinois, destinée notamment à garantir l'accès aux ressources du continent noir, est devenue une menace pour ses propres intérêts. Rien d'étonnant que les diplomates américains suivent avec attention certains dossiers liés à la présence chinoise en Afrique, et tentent de voir plus clair dans la politique de Pékin, même lorsqu'il s'agit d'une affaire de corruption.
Le Kenya en fournit un exemple. L'ambassade américaine décortique, selon les télégrammes diplomatiques obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde, un cas de pot-de-vin versé lors d'une attribution de marché de la compagnie de téléphone Telkom Kenya à une entreprise chinoise, Zhongxing Telecommunications Equipment Company (ZTE) - dont les produits envahissent l'Afrique - dans le cadre d'un marché d'équipement des services de renseignement, le NSIS.
Pour les diplomates, l'attribution du marché repose sur un " pot-de-vin ", qui a " conduit Telkom à attribuer ce marché - à ZTE - après y avoir été contrainte " par le directeur général du NSIS, Michael Gichangi, et le directeur de la division des opérations, Joseph Kamau. " La préférence de Gichangi pour ZTE est basée sur une commission reçue au cours d'un voyage en Chine. Kamau a reçu des paiements mensuels de 5 000 dollars - 3 800 euros - de ZTE, utilisés pour payer des factures médicales. "
" Plus important partenaire "
Puis l'auteur du télégramme passe à d'autres aspects de la présence chinoise, notamment le fait que le pays est " submergé " par de la " contrefaçon chinoise " qui concurrence des produits américains, tandis que des masses de travailleurs chinois arrivent au Kenya et menacent l'emploi dans le pays.
Au Nigeria, les ambitions de la Chine intéressent et inquiètent beaucoup plus. Le pays est le premier fournisseur africain de pétrole de la Chine, et pour Pékin, il s'agit d'y " sécuriser " la continuité de ses approvisionnements pétroliers. Pour cela, tous les moyens sont bons, selon les diplomates américains, qui voient avec effarement qu'en 2004 la Chine " a promis de financer le creusement de près de 600 puits " au Nigeria, tandis que les Etats-Unis n'en " finançaient que 50 ".
L'auteur du télégramme relève qu'à une réception à l'ambassade de Chine un ministre nigérian a qualifié le pays de ses hôtes de " plus important partenaire de l'Afrique ".
De même, les diplomates américains scrutent les activités de la Chine en Angola, riche de ses ressources pétrolières et minières. L'Angola est le premier pays d'Afrique où Pékin a mis en oeuvre une formule associant des déboursements de gros montants (des milliards de dollars) à des travaux de grande ampleur dans les infrastructures et des remboursements garantis par des livraisons de matières premières. Un télégramme décrit comment, après la fin de la guerre civile qui avait dévasté le pays, " en l'absence de bailleurs de fonds occidentaux pour l'aider à financer sa reconstruction, l'Angola s'est tourné vers les Chinois ".
Le financement chinois s'est matérialisé par une ligne de crédit de 4 milliards de dollars auprès de la Eximbank chinoise, garantie sur du pétrole. Ce n'est qu'une première étape. Des " rapports non confirmés font état d'une ligne de crédit supplémentaire de 4 à 6 milliards de dollars ", s'inquiète l'auteur d'un télégramme, qui relève cependant quelques difficultés : ce second afflux de milliards doit être financé par un fonds d'investissement basé à Hongkong, le China Investment Fund (CIF), une structure opaque. Dans un premier temps, l'ambassade " doute que - ce projet - attire suffisamment d'investisseurs chinois dans le secteur des infrastructures ".
Peu à peu se dessine une série de ratés dans la machine des financements de Pékin. " Le rythme endiablé des engagements chinois en Angola s'est considérablement ralenti en 2009 quand la crise financière globale a taillé dans les revenus du pétrole et des diamants angolais, entraînant des réductions des dépenses du gouvernement angolais. Selon l'ambassadeur chinois à Luanda, la Chine a été obligée de rapatrier plus de 25 000 travailleurs(...)faute d'argent du gouvernement angolais pour les payer. "
Est-ce en raison de ces difficultés que les relations entre diplomates chinois et américains à Luanda semblent s'améliorer au fil du temps ? En 2008, les deux ambassadeurs tentent d'identifier des projets communs, bien qu'un peu limités dans leurs efforts par le fait que le Chinois " ne parle ni portugais ni anglais, et juste un peu d'espagnol ".
Projets de coopération
L'année suivante, les relations diplomatiques sino-américaines en Angola continuent de se réchauffer. En janvier, un responsable de l'ambassade chinoise fait part de ses doutes au sujet d'une nouvelle tranche de financements chinois. Le " nombre à un chiffre de milliards - de dollars - " susceptibles d'être déboursés ne sera plus garanti sur des livraisons de pétrole mais nécessitera un engagement direct du gouvernement angolais. Continuer à garantir des prêts sur des livraisons de brut " serait trop humiliant pour l'Angola ", estime-t-il.
Lors d'une visite récente en Chine, le président angolais, Eduardo Dos Santos, a fait part des besoins courants de son pays en matière de financements chinois : " 12 milliards supplémentaires ". Le diplomate chinois estime que son pays ne pourra pas faire face aux " besoins de l'Angola ".
Au final, pourquoi la Chine et les Etats-Unis ne s'associeraient-ils pas dans des projets de coopération en Angola ? On envisage de chercher des pistes dans les secteurs de l'agriculture ou la santé. " Il est important que les Angolais et d'autres observateurs de l'Afrique puissent voir comment nos deux pays peuvent coopérer dans le cadre d'une vision pour un Angola meilleur ", conclut diplomatiquement l'auteur du télégramme.
Jean-Philippe Rémy
© Le Monde

29/11/2010

Cancun ne doit pas être un sommet pour rien


 
30 novembre 2010

Editorial

Inutile de se déplacer, il ne se passera rien. Ou si peu. Avant même l'ouverture de la conférence des Nations unies sur le climat, réunie du 29 novembre au 10 décembre à Cancun (Mexique), le verdict semble déjà rendu. Responsables politiques, hauts fonctionnaires onusiens, militants écologistes, observateurs patentés : tout le monde semble se résigner à cette sombre prévision. Comme si le fait de perdre un an n'était finalement qu'une péripétie mineure dans le temps long de la négociation.
Pourtant, il y a peu, un an tout juste, à la veille de la précédente conférence de l'ONU organisée à Copenhague, les gouvernants de la planète paraissaient décidés à faire de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité absolue. Il en allait, assuraient-ils, de la survie de l'humanité. On sait ce qu'il en advint : une renationalisation des politiques climatiques et l'échec de la logique de régulation mondiale instaurée en 1992 par le Protocole de Kyoto.
Le 7 décembre 2009, à la veille de la conférence de Copenhague, cinquante-six journaux de quarante-cinq pays (dont Le Monde) avaient pris l'initiative sans précédent de publier un éditorial commun. Que disait-il ? " L'humanité est confrontée à une urgence aiguë. Si le monde ne s'unit pas pour prendre des mesures décisives, le changement climatique ravagera notre planète, et, avec elle, notre prospérité et notre sécurité. "
Ce texte exhortait les gouvernements de la planète à ne pas sombrer dans les querelles et à ne pas se rejeter mutuellement la responsabilité du changement climatique : " Cela ne doit pas être un combat entre le monde riche et le monde pauvre, ni entre l'Est et l'Ouest. Le changement climatique nous affecte tous, et c'est ensemble que nous devons nous y attaquer. "
Aucun mot n'est à retrancher de ce plaidoyer. L'urgence n'est pas moins aiguë à Cancun qu'à Copenhague. Les dernières études scientifiques démontrent, au contraire, que le réchauffement se produit à un rythme plus rapide que prévu. Cancun ne doit donc pas être un sommet pour rien.
Certes, les plaies ne sont pas refermées depuis le traumatisme danois. Les deux plus grands pollueurs de la planète, la Chine et les Etats-Unis, restent enfermés dans leur affrontement. Engluée dans la crise financière et monétaire, l'Union européenne est moins que jamais en mesure d'imposer ses vues.
Pour autant, un accord mondial reste la seule voie pour relever le défi climatique. Laisser triompher le chacun pour soi conduirait inévitablement à l'échec. Car nous sommes encore loin de l'objectif que les scientifiques recommandent de ne pas dépasser : un réchauffement limité à 2 oC. Les gouvernements ont donc le devoir de dépasser leurs divergences et, si un accord global semble hors d'atteinte, d'avancer concrètement sur des dossiers sectoriels.
Impossible ? Fin octobre, contre toute attente, la communauté internationale est parvenue à s'entendre à Nagoya sur un vaste plan de lutte contre le déclin de la biodiversité. L'échec de Cancun n'est donc pas une fatalité.
© Le Monde

03/11/2010

L'aide française au développement sans pilote


 3 novembre 2010
Ecofrictions
La France n'a pas à s'enorgueillir de sa politique d'aide aux pays en développement qui semble dépourvue de pilote et de stratégie.
La partie concernant l'aide publique au développement (APD) du projet de loi de finances 2011, qui devait être discutée mardi 2 novembre à l'Assemblée nationale, n'a pas été accompagnée des documents qui auraient permis d'apprécier la pertinence des 8,6 milliards d'euros de dépenses annoncées.
Aussi, les organisations non gouvernementales (ONG) regroupées dans l'association Coordination Sud dénoncent-elles par la voix de leur président, Jean-Louis Vielajus, " l'opacité inédite " du budget en préparation.
D'autant, dit celui-ci, que " 30 % de l'APD n'est pas de l'aide, mais de l'allégement de dette, des frais d'écolage pour les étudiants étrangers, notamment chinois, et des crédits pour les départements d'outre-mer, par exemple 400 millions d'euros pour Mayotte ". Pire, la France ne tient pas ses promesses. Elle aurait dû consacrer 0,51 % de son revenu national brut à l'APD ; son effort sera limité à 0,47 % en 2011. Elle pointera en la matière à la dernière place des pays riches de l'Union européenne.
Bonne nouvelle, les dons augmenteront significativement, soit 220 millions d'euros à répartir entre 14 pays très pauvres, contre 175 millions en 2010. " Mais ils étaient de 350 millions d'euros en 2006 et la Grande-Bretagne y consacre un milliard, déplore M. Vielajus. L'idée force qui prévaut est que la croissance réduit automatiquement la pauvreté. Or, nous constatons qu'elle accroît les inégalités ".
En fait, la France est tiraillée entre plusieurs objectifs. Le Quai d'Orsay et le ministère de l'intérieur aimeraient que l'APD serve à la sécurité, donc à créer des emplois pour contenir l'immigration et à éviter que le désespoir ne se mue en terrorisme.
Le ministère de l'économie et des finances cherche comme à son habitude à minorer les dépenses, ce qui le conduit, par exemple, à intégrer dans le budget les 159 millions d'euros de la taxe " Chirac " sur les billets d'avion qui devaient être additionnels, donc hors budget.
Plus de secrétaire d'Etat à la coopération depuis la démission d'Alain Joyandet en juillet, un ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, donné partant lors du prochain remaniement ministériel : les méchantes langues disent qu'à partir du moment où la politique d'aide au développement risque de se limiter à préserver les marchés de la France et son accès à l'uranium et au pétrole, il n'est pas besoin de grands stratèges. L'Elysée suffira.
D'autant qu'on retrouve le même flottement à l'étage de l'exécution, à l'Agence française de développement (AFD) qui a assuré en 2009 pour le compte de l'Etat l'engagement de 6,2 milliards de dollars de dons et prêts en faveur du développement.
Echaudé par la bronca médiatique qui a accompagné sa nomination en mai en raison de sa proximité supposée avec Nicolas Sarkozy, Dov Zerah, son directeur, refuse de répondre aux questions sur l'inquiétude de son personnel, palpable dans les tracts syndicaux. D'ailleurs, le monde syndical et celui des ONG ne sont pas plus bavards, ce qui trahit le désarroi de ces acteurs du développement face à l'avenir de l'institution qui gère l'aide publique.
Ce n'est pas le rajout du bleu-blanc-rouge dans le logo de l'Agence - pour complaire aux parlementaires désireux de visibilité pour les bonnes oeuvres de la France - qui les rassurera, car le gouvernement n'a toujours pas publié la lettre de mission de Dov Zerah et les objectifs qui lui ont été fixés. En revanche, tout le monde sait que Bercy veut 10 % d'économies sur la masse salariale de l'AFD. Qui fera les frais de cette rigueur ? Quelles missions, quels pays seront abandonnés ?
Pendant ce temps, l'administration Obama a choisi de privilégier le soutien à l'agriculture des pays pauvres plutôt que l'aide alimentaire. Pour ce faire, il a associé l'USDA, le ministère de l'agriculture, et l'USAID, l'équivalent de l'AFD. Les Britanniques, eux, ont opté sans ambiguïté pour la voie de l'aide multilatérale plutôt que pour l'aide bilatérale. Volonté au-delà de nos frontières, pagaille en deçà.
Alain Faujas
© Le Monde

En Inde, le secteur de la microfinance risque de s'effondrer


3 novembre 2010















Bombay : cette femme a emprunté 13 000 roupies (210 euros) à une société de microfinance pour démarrer son entreprise de fabrication de colliers. DANISH SIDDIQUI/REUTERS
New Delhi Correspondance
Les pouvoirs publics ont décidé d'intervenir face à la hausse du nombre d'emprunteurs surendettés

Après des années de croissance exponentielle, le secteur de la microfinance en Inde risque la crise de liquidités. En quelques semaines, une cinquantaine de villageois surendettés se sont suicidés dans l'Andhra Pradesh, un Etat du sud de l'Inde, incitant le gouvernement régional à publier un arrêté punissant d'une peine de prison les percepteurs de dette qui " harcèlent " leurs clients.
Des villageois, soutenus par des politiciens locaux, refuseraient déjà de rembourser leurs emprunts. " Ils sont exploités par les institutions privées de microfinance, à travers des taux d'intérêt d'usuriers et des moyens de recouvrement de dettes coercitifs qui conduisent à leur appauvrissement et, dans certains cas, à des suicides ", lit-on dans l'arrêté du gouvernement. Sa décision donne un répit aux surendettés tout en menaçant de faillite les organismes de microfinance. Avec 37 % de leur activité concentrée dans le seul Andhra Pradesh, c'est tout le secteur qui est menacé. " Nous risquons un effondrement ", a déclaré à l'AFP Vijay Mahajan, président du Réseau indien des institutions de microfinance (MFIN).
L'entrée en Bourse de la première société indienne de microfinance, SKS Microfinance, n'est pourtant pas lointaine. Le 16 août 2010, à Bombay, des micro-emprunteuses revêtues de leurs plus beaux saris avaient ouvert la séance en sonnant le gong sous les applaudissements des investisseurs. " Nous emmenons les pauvres vers les marchés de capitaux ", se félicitait alors SKS Microfinance, qui venait de lever plus de 350 millions de dollars (251 millions d'euros).
Ce symbole d'une Inde sortant de la pauvreté grâce aux marchés financiers est bien éloigné de la réalité. Quelques semaines plus tard, dix-sept clients de SKS, surendettés, se suicidaient dans l'Andhra Pradesh. La société a reconnu les faits, mais elle a rejeté toute responsabilité en expliquant que sa " manière éthique de faire de la microfinance n'a pas pu provoquer ces tragédies ". " Les institutions de microfinance ont prêté sans se soucier de savoir si les emprunteurs étaient solvables, rétorque Sanjay Sinha, directeur du cabinet de conseil Micro-Crédit Ratings International. Leur système de contrôle est inexistant. Et les employés qui travaillent sur le terrain manquent de formation. "
C'est l'afflux de capitaux plus que la solvabilité des emprunteurs qui a tiré la croissance du secteur.
Attirés par des retours sur investissements élevés et des risques apparemment limités, puisque les organismes de microcrédit enregistrent moins de défauts de remboursement que les banques classiques, les investisseurs se sont multipliés. Le secteur a connu une croissance annuelle moyenne de 107 % entre 2004 et 2009 et pèse 6,7 milliards de dollars. Mais chaque nouveau microcrédit ne sort pas nécessairement une famille de la pauvreté. De nombreux emprunts servent, en fait, à en rembourser d'autres. Dans l'Andhra Pradesh, ceux qui se sont suicidés en avaient contracté jusqu'à sept ou huit auprès d'organismes différents.
Code de conduite
Ces organismes ont-ils été victimes de la folie des grandeurs ? " Le critère de retour sur investissement est privilégié au détriment des indicateurs de performance sociale ", regrette Royston Braganza, directeur du fonds Grameen Capital India Limited, spécialisé dans la microfinance. La priorité donnée à la recherche de capitaux, au nom de l'éradication de la pauvreté, a transformé des ONG en de véritables établissements commerciaux. C'est ce qu'analyse MS Sriram, professeur à l'Institut indien de management d'Ahmedabad, dans une étude publiée en mars.
En épluchant les comptes des plus grandes institutions de microfinance, qu'a-t-il découvert ? Que des philanthropes à la tête d'organismes de microcrédit se sont versé des rémunérations qu'un directeur d'une banque d'investissement n'oserait même pas réclamer. Que les fonds d'investissement ont peu à peu remplacé les sociétés de micro-emprunteurs au capital des organismes. Et que les membres du conseil d'administration de SKS sont en partie rémunérés en fonction de la performance de l'entreprise en Bourse.
L'effondrement du secteur affecterait les banques qui versent 80 % des fonds utilisés dans le microcrédit. Mais aussi les pauvres, qui, sans microcrédit, dépendraient des usuriers et de leurs taux d'intérêt pouvant atteindre 100 % par mois. Faut-il abaisser les taux d'intérêt pour éviter les surendettements et sauver le secteur ? Entre des coûts de distribution élevés - les recouvreurs de dettes ont besoin d'aller chez leurs clients toutes les semaines - et le coût de l'argent emprunté par les organismes de microcrédit, les taux peuvent difficilement descendre au-dessous de 24 %.
En octobre, la Banque centrale a créé une commission qui proposera dans les prochains mois un système de régulation. Pour assainir le secteur, une des solutions consisterait à retirer la microfinance de la liste des " secteurs prioritaires " qui, en Inde, doivent bénéficier d'au moins 40 % du total des crédits accordés par une banque. Le Réseau indien de microfinance préfère l'autorégulation et va, dès janvier, établir un code de conduite, puis mettre à la disposition de ses membres une base de données contenant les informations financières de tous les emprunteurs. " Mais une autorégulation, avec seulement 80 % des acteurs du secteur, sans règles ni sanctions, est impossible ", estime M. Sinha.
Julien Bouissou
© Le Monde





17/10/2010

Le Kenya redevient la locomotive de l'Afrique de l'Est


16 octobre 2010

 Nairobi Envoyée spéciale
L'économie du pays rebondit de façon spectaculaire, après les violences interethniques, la sécheresse et la crise

C'est la principale économie d'Afrique de l'Est, la locomotive de la région, et surtout un pays qui fascine par sa capacité à rebondir. Il y a deux ans, le Kenya était tenu pour moribond. Entre 2007 et 2008, le pays encaisse coup sur coup trois crises majeures : des violences interethniques qui font quelque 1 500 morts à la suite d'une élection présidentielle contestée et mettent à mal son image de paradis touristique. Une sécheresse qui affecte durement le secteur agricole et plonge la population dans la famine. Enfin, la crise financière internationale, qui va faire chuter les exportations d'agrumes, fleurs coupées, café, thé noir et priver le pays de précieuses rentrées de devises.
" Eminemment pragmatique " Or le Kenya, dénué de ressources naturelles (à l'exception de la géothermie), a une économie liée pour l'essentiel à l'agriculture et aux services. D'une moyenne de 5 % par an depuis 2002, la croissance annuelle du PIB tombe à 1,6 % en 2008, tandis que l'inflation grimpe à 20 %.
Pourtant, le Kenya va panser ses plaies à une vitesse inattendue. En 2010, les indicateurs macroéconomiques sont tous repassés dans le vert et la croissance devrait tourner autour de 4,5 %. Les autorités kényanes réussiront-elles leur pari de faire de leur pays une nation industrialisée à revenu intermédiaire d'ici à 2030 ? Certains en doutent car les handicaps du Kenya restent sérieux : une économie assez peu diversifiée dans laquelle l'Etat pèse encore beaucoup, une insuffisance criante en infrastructures et enfin une forte corruption.
Mais le Kenya n'est pas seulement dynamique, il est " éminemment pragmatique ", comme le relève un observateur occidental en poste à Nairobi. " Ce qui s'est passé ici depuis la fin 2007, aucun autre pays d'Afrique n'aurait réussi à s'en remettre. Les hommes politiques kényans, qui sont aussi des businessmen, ont vite compris le message de la sphère économique : "mettez fin à la crise, ou gare à vos intérêts" ! ", rapporte cet analyste.
Après qu'un accord politique a été trouvé entre les belligérants, les affaires sont reparties comme avant. " Les Kényans ont une mentalité entrepreneuriale et une capacité de travail extraordinaire. C'est leur force. Mais l'essor de ce pays ne peut s'expliquer que dans son contexte régional, souligne Robert Shaw, économiste à Nairobi. Le Kenya est un "hub", une plaque tournante et une porte d'entrée pour toute l'Afrique de l'Est. Sa croissance se nourrit de celle de ses voisins. Or tous, à l'exception du Burundi, s'envolent littéralement. " Avec sa façade maritime et le port de Mombasa, le Kenya occupe en effet une position stratégique. Sans lui, l'Ouganda et le Rwanda, mais aussi l'est du Congo-Kinshasa, et surtout le Sud-Soudan, qui espère accéder à l'indépendance en 2011, ne pourraient sortir de leur enclavement.
L'instauration, en janvier, d'une union douanière entre les cinq pays de la Communauté d'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda et Burundi), puis, en juillet, d'un marché commun qui autorise la libre circulation des biens et des personnes, est un formidable accélérateur des échanges dans la région. Et le Kenya en est l'un des premiers bénéficiaires. " C'est aussi un voisin conciliant et habile, qui sait tirer profit de tout, y compris de la détresse des pays limitrophes, poursuit Robert Shaw en souriant. Il l'a prouvé avec la Somalie et surtout le Sud-Soudan, où il envoie d'innombrables comptables, enseignants, médecins ou chefs cuistots. "
En cette année 2010, les touristes sont de retour au Kenya, plus nombreux encore qu'en 2007, année record. Quant aux autres secteurs (agriculture, industrie, construction, services financiers, télécommunications), ils prospèrent. A Nairobi et Mombasa, la classe moyenne - 20 % de la population citadine - fait ses courses dans des supermarchés modernes, dont certains sont ouverts jour et nuit.
Nairobi, ville dure et peu sûre
Conséquence de cette nouvelle richesse : la capitale est paralysée par les embouteillages. Le nombre de véhicules explose. Celui des téléphones portables aussi, un domaine dans lequel les Kényans se montrent des précurseurs : 60 % de la population adulte règle ses factures par le biais de M-Pesa, sorte de banque mobile qui relie les plus pauvres au système financier, y compris dans les coins les plus reculés du pays.
Partout, misère et richesse se côtoient. Les uns roulent en voiture, tandis que les autres font 20 kilomètres à pied chaque jour, faute de pouvoir payer le trajet en minibus. A Nairobi, ville dure et peu sûre, des villas hollywoodiennes, hermétiquement clôturées, jouxtent de gigantesques bidonvilles, comme celui de Kibera. Là, sous des toits de tôle ondulée, au milieu des ordures, vivent quelque 800 000 personnes avec, en moyenne, 1 ou 2 dollars par jour et par famille. Chaque année, 10 000 ruraux rejoignent ce cloaque, dans l'espoir de trouver un emploi en ville. Espoir déçu. Mais tous continuent de regarder vers l'avenir, persuadés que demain sera meilleur.
Si le Kenya ne fait pas encore partie des pays émergents, il constitue une bonne illustration de cette Afrique " nouvelle frontière et nouvel eldorado ", comme l'appelle Jean-Marc Gravellini, directeur à l'Agence française de développement. Johannes Zutt, responsable de la Banque mondiale pour l'Afrique de l'Est, se montre également optimiste, mais avec certaines réserves. " Pour que le Kenya sorte de la pauvreté, il aurait besoin d'un taux de croissance de 10 % pendant dix ans, comme en Asie. Or le marché régional n'y suffira pas. Il faudrait pour cela qu'il multiplie ses échanges avec le monde développé ", souligne-t-il.
M. Zutt voit cependant dans le Kenya et la façon dont il est géré " un excellent exemple de la maturité qu'ont atteinte les pays africains, impensable il y a vingt ans ".
Florence Beaugé
© Le Monde

Au Burkina Faso, les paysans reprennent espoir

 

 16 octobre 2010
Un agriculteur transporte sa récolte de mil, près du village de Selbo. 

ISSOUF SANOGO/AFP 
Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) envoyée spéciale
La relance de l'agriculture vivrière est, depuis deux ans, la priorité du gouvernement de ce pays d'Afrique

REPORTAGE
Avec un large sourire, Issoufou Zaida regarde sept de ses jeunes enfants, installés à l'ombre d'un arbre, avaler goulûment une bouillie de sorgho blanc et feuilles d'oseille. " Grâce aux semences améliorées que j'ai pu utiliser cette année, je peux les nourrir ", explique-t-il. Issoufou Zaida fait partie des agriculteurs vulnérables, bénéficiaires de l'opération de distribution de semences certifiées lancée en 2010 par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Avec ces semences, il a pu semer deux bandes de maïs arrivées à maturité dès la mi-août. " Le maïs traditionnel, je ne l'ai toujours pas récolté... ", soupire-t-il.
Ayant partagé avec d'autres familles du village le sac de graines qui lui a été donné, le butin n'est pas lourd mais au moins, il permet d'assurer trois repas à ses enfants. Ces dernières années, en période de soudure, ce laps de temps entre l'épuisement des réserves et la nouvelle récolte, il ne pouvait leur en offrir qu'un. Du doigt, Issoufou Zaida montre ses huit greniers : " pas un n'est rempli... ".
Avec 21 bouches à nourrir, l'agriculture n'est qu'un moyen de subsistance pour cet homme, polygame, au visage marqué par le labeur, mais qui se prend à rêver : " Si j'arrivais à produire plus, je pourrais mieux les nourrir et puis vendre un peu de ma récolte, ce qui me permettrait d'en envoyer plus à l'école. "
Distribution à grande échelle
L'opération de la FAO, financée par l'Union européenne à hauteur de 18 millions d'euros, s'inscrit dans la politique menée depuis deux ans par le gouvernement burkinabé. Après une longue période d'ajustements structurels qui l'a privé de moyens, celui-ci a choisi de réinvestir dans l'agriculture. Et dans l'agriculture vivrière en particulier, trop longtemps délaissée au profit du coton, culture d'exportation ramenant des devises.
" La crise alimentaire de 2008 qui s'est traduite par de violentes manifestations a montré que laisser seul le marché agir avait ses limites. Le choix a alors été fait d'augmenter l'offre alimentaire locale en permettant aux paysans d'accroître leur production ", explique le ministre de l'agriculture, Laurent Sédogo. Le gouvernement a ainsi décidé de se lancer dans la distribution à grande échelle de semences certifiées à prix social. Avec l'objectif de porter de 6 % à 50 % d'ici à 2015 le nombre d'agriculteurs en bénéficiant.
Le gouvernement appuie aussi le développement de l'agriculture du pays à travers son stock national de régulation. Constitué des récoltes locales, il permet à la fois de veiller à l'approvisionnement des régions déficitaires en céréales tout en soutenant via une politique d'achat, celles où les récoltes sont excédentaires.
A travers son programme " Purchase for Progress " (P4P) lancé en 2009, le Programme alimentaire mondial (PAM) favorise lui aussi désormais l'achat local de céréales, dont il organise la distribution dans les régions à risques. Cette démarche s'accompagne de formations à la commercialisation de leur production auprès des petits paysans. " Ils apprennent à répondre aux appels d'offres, à respecter des standards de qualité et à se regrouper dans des organisations paysannes ", relève Véronique Sainte-Luce, responsable du P4P.
La première année, les paysans se familiarisent à la négociation de contrats de gré à gré puis ensuite aux contrats à terme. Ce qui leur permet ensuite de négocier des crédits auprès des caisses agricoles pour s'approvisionner en intrants. " Avant l'agriculture n'était pour beaucoup qu'un moyen de subsistance, maintenant nous faisons du commerce, et cela motive les gens à développer leurs productions, à se professionnaliser ", relève Seydou Sanon, animateur de l'Union provinciale des professionnels agricoles du Houet.
La relance de l'investissement dans l'agriculture vivrière va de pair avec le renforcement des organisations paysannes. Les paysans sortant de l'agriculture de subsistance, elles sont appelées à jouer un rôle important dans la commercialisation des excédents. En amont, elles fournissent un appui technique et financier (achat en commun d'intrants, de matériel...).
Il y a trois ans, " découragé ", Yezoum Bonzi était sur le point de tout arrêter. Mais grâce au conseil à l'exploitation familiale développé par l'Union des groupements pour la commercialisation des produits agricoles de la boucle du Mouhoun, il a pu relancer sa production, abandonner progressivement la production de coton, devenu peu rentable, pour celle du maïs, du sorgho et du petit mil. Et aujourd'hui il songe même à cultiver de nouveaux champs.
Il faut dire que la forte amélioration de ses rendements (3 tonnes de maïs à l'hectare contre 1 tonne auparavant) lui ont permis de s'acheter une moto, et de se faire construire une maison en dur " avec l'électricité et la télé grâce à un panneau solaire ", dit-il fièrement. Et pour labourer ses champs, il a ses boeufs et n'a plus besoin d'aller travailler chez d'autres pour s'en faire prêter.
Parmi les paysans de la coopérative de la plaine de Banzon, c'est à qui raconte s'être marié, à qui se dit soulagé de n'avoir plus à emprunter pour pouvoir scolariser ses enfants, à qui se félicite de ne pas voir son petit frère émigrer et rester au village... Sur cette plaine, tous ont fait le choix de se lancer dans la culture de semences. " La semence demande beaucoup de rigueur mais cela rapporte ! ", lâche Dialo Yacouba, son secrétaire général.
Tous savent que les aides dont ils bénéficient auront une fin. Mais ils se montrent confiants. " Nous sommes capables d'acheter nos intrants. Grâce à la qualité de notre production, explique Dialo Yacouba, nous nous sommes constitué un fonds de roulement. Et la plaine a maintenant une réputation ! "
Laetitia Van Eeckhout
© Le Monde

14/10/2010

Al-Qaida, une tentation pour de jeunes Touareg


15 octobre 2010

Les conditions de vie difficiles et l'attrait de l'argent facilitent le recrutement de jeunes nomades par AQMI

Au lendemain d'un raid de l'armée mauritanienne mené au nord de Tombouctou, sur le territoire malien, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avait publié, le 20 septembre, un communiqué dans lequel l'organisation dénonçait la mort de civils, et présentait ses condoléances à des tribus maures et aux " Touareg de l'Azawad ". Cette référence, qui désigne par extension l'ensemble des Touareg de la région du nord du Mali, a conforté les services de renseignement occidentaux dans leurs craintes : les combattants d'AQMI entretiendraient des relations de plus en plus étroites avec les Touareg sur des territoires où les uns et les autres se croisent depuis le milieu des années 2000.
" Avec le temps, il y a eu des mariages, et les échanges commerciaux se sont développés, mais AQMI reste un corps étranger ", relativise Pierre Boilley, spécialiste des peuples nomades qui dirige le Centre d'études des mondes africains du CNRS. Auteur notamment d'un livre consacré aux Touareg Kel Adagh du nord du Mali (éditions Karthala, 1999), il note néanmoins une plus grande proximité entre " salafistes " et jeunes Touareg. " Beaucoup échappent au contrôle des anciens et certains peuvent être séduits par un discours antioccidental ".
Comme lui, de plus en plus de chercheurs renoncent à se rendre dans cette région classée zone rouge (" déconseillée sauf motifs impérieux ") par le Quai d'Orsay. " Le fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS envoie mail sur mail, soupire M. Boilley. Maintenant, je suis un otage potentiel. " Un message que les amis touareg ont fait eux-mêmes passer, par crainte de ne pas pouvoir assurer la sécurité de leurs invités. Les enlèvements d'Occidentaux passeraient par des " intermédiaires " touareg rétribués par AQMI. Une aubaine dans une région pauvre.
" Je ne suis pas étonnée, c'est un terreau extrêmement favorable, affirme Linda Gardelle, chercheuse-enseignante, auteur de Pasteurs touaregs du Sahara malien (Buchet-Chastel 2010). Les Touareg vivent dans une région très isolée, sans développement, et les jeunes ont le sentiment qu'ils n'ont pas d'avenir. "
L'essor, depuis quelques années, du trafic de drogue, qui " prend des proportions inquiétantes ", selon M. Boilley, et la prise d'otages auraient facilité des rapprochements. " Quand on vous propose 1 million de francs CFA (près de 1500 euros) pour un enlèvement, c'est normal que les rangs d'AQMI grossissent, le choix est vite fait ", souligne Abdoulaye Tamboura, doctorant à l'université de Paris-VIII, et coauteur d'une étude, en 2007, sur les crises touareg au Mali et au Niger, à l'Institut français des relations internationales. " Depuis les années 2002-2004, ajoute-t-il, le danger salafiste était connu mais personne ne l'a pris au sérieux. "
Les rencontres se sont multipliées dans une région difficile d'accès. Les membres de la katiba (groupe) d'Abdelhamid Abou Zeid, l'un des chefs d'AQMI qui a revendiqué le rapt des sept employés d'Areva et de Satom au Niger, dans la nuit du 15 au 16 septembre, se sont installés à l'est de la zone touareg, tout près, dans le massif de Timétrine qui abritait la rébellion touareg au milieu des années 1960. " Il y a des sources d'eau et des caches, explique M. Boilley. Ce n'est pas l'Afghanistan, mais c'est une zone difficile. " La période où Touareg et combattants d'AQMI se heurtaient a pris fin. " En 2007, il y a eu des accrochages car les services algériens ont fourni des armes aux Touareg pour combattre les salafistes, mais ensuite ils se sont réconciliés ", déclare M. Tamboura. Dans les rangs d'AQMI est ainsi apparu un nouveau nom, Abdelkrim le Touareg, sans que l'on sache qui il est réellement. Et les Etats, malgré la méfiance qu'ils suscitent, tentent désormais de retourner la situation en enrôlant des Touareg pour affronter AQMI.
L'échec des rébellions touareg a laissé chez les jeunes un sentiment profond d'amertume. " Les Etats malien et nigérien ont essayé de résoudre les problèmes en donnant des sous à quelques nobles, mais les autres n'ont rien eu et la région est totalement délaissée ", affirme M. Tamboura. A cela s'ajoute un autre élément avancé par tous les connaisseurs de la région : l'image dégradée de la France, vécue comme une puissance exploitante qui expulse des étrangers. Dans ce contexte, beaucoup constatent une rutpture quasi générationelle. " Ceux qui s'en sortent le mieux sont ceux qui vivent en campement dans le groupe, mais les jeunes envoyés par leurs familles dans les banlieues de Gao ou Tombouctou pour faire deux, trois années d'école sont en perte complète de repères, assure Mme Gardelle. Ils y apprennent des programmes scolaires qui ne mettent pas du tout leur culture en valeur. "
Malgré la présence de nombreux prédicateurs venus du Pakistan dans la région, depuis le milieu des années 1990, le risque d'un radicalisme religieux paraît peu élevé comparé à l'attrait de l'argent, généré par la drogue et les enlèvements. " Cela reste de la sous-traitance, car je suis persuadé que la grande majorité des Touareg, qui pratiquent un islam modéré, n'aiment pas AQMI ", affirme M. Boilley.
Dans un entretien au quotidien algérien El-Watan, le 11 octobre, le chef des Touareg du Sud algérien, Ibedir Ahmed, laissait percer son inquiétude : " Ce n'est pas évident de se faire entendre comme avant, déclarait-il. Les jeunes d'aujourd'hui sont moins réceptifs. (...) Avant, la parole était unifiée et se répandait comme un éclair. (...) Aujourd'hui, il est difficile de les obliger à respecter un ordre établi par la communauté. "
Isabelle Mandraud
© Le Monde

13/10/2010

06/10/2010

La France peut-elle se passer de l'uranium nigérien ?


7 octobre 2010
Quel est le degré de dépendance d'Areva et d'EDF ? La population locale profite-t-elle des revenus ?
Le Niger exporte de l'uranium vers la France depuis 1971. 













WILLIAM DANIELS/ABACAPRESS.COM
L'enlèvement de cinq Français, d'un Togolais et d'un Malgache au Niger, dans la nuit du 15 au 16 septembre, n'a pas seulement suscité l'émotion et l'inquiétude : l'opération militaire menée par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a aussi révélé l'importance de cette ancienne colonie pour la France. Le groupe nucléaire Areva y produit une partie de l'uranium nécessaire au fonctionnement des 58 réacteurs d'EDF et en livre à d'autres électriciens dans le monde. Quelles que soient les exigences d'AQMI - y compris un départ d'Areva du Niger -, il est exclu que l'entreprise renonce à un pays aussi stratégique.
Diversification des sources d'approvisionnement La Cogema y a découvert de l'uranium au début des années 1960 et la Somaïr a commencé à l'exploiter en 1971, avant de mettre la mine de Cominak en service, en 1978. Le Niger est important pour Areva à court terme, puisqu'il y extrait près de 40 % de sa production mondiale. Important, mais pas vital. " Nous sommes le seul grand producteur d'uranium à disposer d'un portefeuille diversifié ", souligne souvent Anne Lauvergeon, présidente du directoire du groupe, en rappelant que " son " minerai provient aussi du Canada et du Kazakhstan.
Son concurrent Cameco n'en extrait qu'au Canada et l'anglo-australien BHP Billiton reste pour l'heure cantonné à l'Australie. En 2004, les dirigeants d'Areva avaient constaté que le combustible provenant des accords américano-russes de désarmement nucléaire (sous-marins, ogives...) s'épuisaient. En 2007, ils décidaient de diversifier leurs sources d'approvisionnement et de consacrer 4 milliards d'euros (hors acquisitions) au développement du pôle minier en cherchant à acquérir des gisements ou en prospectant directement dans les régions uranifères : Australie, Canada, Namibie, Afrique du Sud, République centrafricaine, Mongolie, Jordanie...
En 2009, Areva a arraché la concession nigérienne d'Imouraren, présentée comme le deuxième plus grand gisement mondial. Cette mine est stratégique, même si Areva n'en a pas besoin pour atteindre son objectif : porter sa production de 6 000 à 12 000 tonnes entre 2007 et 2012, et conserver sa place de premier producteur mondial, décrochée en 2009.
Sécuriser les mines La difficile renégociation du contrat nigérien, en 2008, a montré que le Niger n'est plus la chasse gardée de la France. Les Chinois ont travaillé l'entourage familial du président de l'époque, Mamadou Tandja, mais ils n'ont décroché que des concessions de moindre importance. A Imouraren, Areva ne produira à plein régime qu'en 2014, après y avoir investi 1,2 milliard d'euros. En attendant, cette immense mine à ciel ouvert, située à 80 kilomètres au sud d'Arlit, doit être sécurisée.
" Depuis les enlèvements, le site est totalement déserté et les 600 personnes qui y travaillaient sont rentrées chez elles ", reconnaît-on chez Areva. Le groupe affirme avoir lancé une analyse interne détaillée de la sécurité au Niger. Il a demandé au général Christian Quesnot, ancien chef d'état-major particulier du président de la République (1991-1995), de " formuler des recommandations ".
L'urgence industrielle est de poursuivre en toute sécurité l'exploitation de Somaïr et Cominak, qui ne fonctionnent aujourd'hui qu'avec les travailleurs nigériens. Sur le site, le problème se pose déjà pour l'usine de concassage, de broyage et de transformation du minerai en yellow cake, une poudre d'uranium acheminée vers la France au départ du port de Cotonou (Bénin). " Dans l'usine, il faut l'expertise des ingénieurs et des techniciens français. On risque un arrêt ", indique une source proche du dossier.
Six mois de stocks Areva assure qu'il peut livrer ses clients, les grands groupes d'électricité. " Nous disposons de six mois de stocks, notamment sur le territoire français ", explique un dirigeant. EDF qui est de moins en moins dépendant de son partenaire historique Areva se veut également rassurant : seul 20 % de l'uranium des centrales françaises provient du Niger, indique sa direction.
EDF a diversifié ses approvisionnements dans le cadre de contrats à long terme, d'une durée de sept à quinze ans. Depuis 2004, il s'est tourné vers l'Australie, le Kazakhstan et le Canada. Si cette diversification met EDF à l'abri des aléas géopolitiques, elle ne le prémunit pas contre des accidents d'ordre technique ou géologique : l'inondation de la mine canadienne de Cigar Lake, de Cameco, a retardé son exploitation de plus de cinq ans.
EDF souligne qu'il a aussi sécurisé l'étape importante de la conversion, qui précède l'enrichissement de l'uranium. Enfin, il a constitué des stocks aux différentes étapes du cycle du combustible : uranium naturel, uranium enrichi, assemblages de combustible. " Nous cherchons à éviter d'avoir recours au marché de court terme en cas d'aléas de production dans les mines ou les usines ", précise son document de référence. Une démarche dictée par des exigences de sécurité d'approvisionnement mais aussi par des impératifs de prix.
Jean-Michel Bezat
© Le Monde

25/09/2010

Objectifs du millénaire: tout reste à faire







Du 20 au 22 septembre à New York, les dirigeants de la planète ont tiré le bilan des avancées des Objectifs du millénaire fixés pour 2015. Des résultats plus que mitigés.

Rendez-vous planétaire à New York. Du 20 au 22 septembre, les dirigeants du monde se sont retrouvés aux Nations unies pour un "Sommet contre la pauvreté". A cinq ans de la date butoir fixée à 2015 par l'ONU, il s'agissaitt du dernier bilan d'étape dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Cet ambitieux programme de réduction de la pauvreté a été défini en septembre 2000 lors du Sommet du millénaire, qui avait réuni 147 chefs d'Etat. Concrètement, la communauté internationale s'était alors engagée à réduire de moitié la part de la population dont le revenu est inférieur à 1,25 dollar, à diviser par deux la proportion de ceux qui souffrent de la faim, à universaliser l'accès à l'école primaire, etc.
A la différence de maintes promesses antérieures, les OMD fixaient des objectifs non seulement chiffrés, mais aussi assortis d'une échéance: 2015. Une vraie rupture après cinquante ans de déclarations de bonnes intentions. Et d'autant plus nécessaire qu'au cours des années 1990, l'aide au développement s'était essoufflée, justifiant ainsi le constat qu'elle n'avait pas permis d'accélérer fortement la croissance des pays pauvres.
"Les OMD ont eu le mérite de mobiliser les dirigeants sur le développement. Aujourd'hui, c'est la seule référence consensuelle qui existe sur le sujet entre les Etats", souligne Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale du Crid et porte-parole de l'AMCP, l'Action mondiale contre la pauvreté (voir encadré p.40). Autre point positif: "Les OMD ont permis de revenir sur la dimension sociale du développement et d'aider à reconstruire les services sociaux qui avaient été dévastés par les programmes d'ajustement structurel", explique Serge Michailof, consultant et professeur à Sciences-Po (1). En effet, au début des années 2000, un grand nombre de pays pauvres étaient exsangues, du fait des douloureuses cures d'austérité imposées par leur endettement et exigées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) en contrepartie de leurs prêts.
Des programmes au détriment de la croissance
"On a eu cependant tendance, avec les OMD, à se focaliser sur la santé et l'éducation, au détriment de la croissance. On a mis en place des mécanismes d'aide qui accroissent la dépendance des pays du Sud. On ne les aide pas à créer la richesse qui permettrait de soutenir ces actions sociales de manière pérenne", poursuit Serge Michailof. Car si l'amélioration des conditions sanitaires et l'accès à l'éducation sont des conditions du développement, ils ne suffisent pas à assurer une croissance durable.
De plus, si les OMD, en fixant des objectifs chiffrés, ont eu l'avantage de définir des buts, ils ont eu pour inconvénient d'inciter les décideurs à "faire du quantitatif", au détriment de la qualité. Ainsi, le taux de scolarisation dans le primaire dans les régions en développement est passé de 82% en 1999 à 89% en 2008; il a même progressé de 18 points en Afrique subsaharienne. Mais on se réjouirait davantage de ce résultat - qui laisse hors d'atteinte l'objectif d'accès universel à l'éducation pour 2015 - si cette hausse n'avait pas été réalisée au prix d'un recrutement massif de professeurs non qualifiés et sous-payés qui se retrouvent face à des classes surchargées. Au détriment de la qualité de l'enseignement.
Une réduction de la pauvreté en trompe-l'oeil
Même l'avancée la plus notable - la réduction de la pauvreté - est à relativiser. L'objectif était de faire passer la proportion de personnes vivant en dessous du seuil international de pauvreté (*) dans les pays en développement de 42% en 1990 (1,8 milliard de personnes) à 21% en 2015. "Cet objectif est en passe d'être atteint. Même si la crise a ralenti le rythme", a affirmé Fabrice Ferrier, coordinateur pour la France de la Campagne du millénaire, lors de la présentation du rapport sur les OMD du secrétaire général de l'ONU en juin dernier (2).
Cependant, la réduction globale de la pauvreté est essentiellement imputable à la croissance des pays émergents, plus particulièrement de la Chine et de l'Inde. Le taux de pauvreté chinois devrait tomber à 5% d'ici à 2015. Quant à celui de l'Inde, il devrait passer de 51% en 1990 à 24% en 2015. En revanche, plusieurs autres régions du globe ne devraient pas atteindre l'objectif: l'Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient et certains pays du Golfe, d'Europe de l'Est et d'Asie centrale. Selon la Banque mondiale, la crise a maintenu 50 millions de personnes de plus que prévu dans l'extrême pauvreté en 2009. Et ce chiffre pourrait atteindre 64 millions fin 2010. En outre, ces évaluations se cantonnent à la mesure de (l'extrême) pauvreté monétaire, c'est-à-dire au revenu disponible. Or, un même niveau de revenu peut avoir une signification bien différente selon que les personnes peuvent ou non bénéficier de la solidarité familiale ou d'un réseau social.
Un nombre record de sous-alimentés
Qui dit pauvreté, dit souvent sous-alimentation (*) . Un phénomène qui ne résulte pas le plus souvent d'une pénurie de nourriture, mais qui est la conséquence d'une insuffisance de revenu. Dans ce domaine, l'objectif fixé par les OMD est loin d'être atteint. Il posait comme but de "réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim". En 1990, cette proportion était de 20%. Elle a certes diminué jusqu'en 2000-2002 pour atteindre 16%, mais a stagné jusqu'en 2007 pour remonter à partir de 2008, année de crise alimentaire suite aux fortes hausses des prix des denrées alimentaires.
La crise financière et économique qui a suivi n'a pas arrangé les choses, grossissant les rangs des personnes au chômage ou contraintes à des emplois précaires. Résultat: l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que 1,02 milliard de personnes étaient sous-alimentées en 2009. C'est le chiffre le plus élevé depuis qu'on dispose de statistiques. Les régions les plus touchées sont l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Pakistan, Afghanistan…). Seule l'Asie du Sud-Est pourrait atteindre l'objectif en 2015, grâce à l'enrichissement de la Chine.
Le spectre de la crise alimentaire
"Le spectre d'une nouvelle crise alimentaire n'a pas disparu", affirme Bénédicte Hermelin, directrice du Groupe de recherche et d'échanges technologiques (Gret). Car si les prix des denrées alimentaires sont redescendus, ils restent plus élevés qu'avant 2008. Et les perspectives ne sont pas bonnes: selon l'OCDE et la FAO (3), les prix des matières premières agricoles (blé, céréales, lait…) seront en moyenne plus élevés pendant la prochaine décennie que durant celle précédant la flambée des prix de 2007-2008. La faute notamment à la spéculation sur les prix des matières premières, source de volatilité. Mais aussi à une concurrence accrue entre usage alimentaire et usage énergétique des terres agricoles cultivées. Ainsi, l'OCDE et la FAO prévoient que la production d'éthanol (utilisé comme agrocarburant) à partir de betterave, de maïs et de canne à sucre devrait doubler d'ici à 2019.
Dans ce contexte, des pays comme la Chine, le Japon ou la Corée du Sud achètent ou louent de plus en plus de terres agricoles dans certains pays du Sud, afin d'assurer l'approvisionnement alimentaire de leur propre population, au détriment des populations locales. Enfin, pour ne rien arranger, les pays en développement pourraient connaître un déclin de 9% à 21% de leur productivité agricole potentielle totale d'ici à 2050, selon la FAO, à cause du réchauffement de la planète (sécheresse, inondations, notamment).
Au final, sur les huit Objectifs du millénaire, seule la cible un du premier, relative à la pauvreté, devrait être atteinte en 2015, dans les limites décrites plus haut. L'OMD ayant fait le moins de progrès est celui qui vise l'amélioration de la santé maternelle. Selon l'OMS (4), 500 000 femmes meurent chaque année pendant la grossesse ou l'accouchement, dont 99% dans les pays en développement. En dépit de quelques avancés, 55% des femmes d'Asie du Sud et 54% de celles d'Afrique subsaharienne accouchaient sans la présence de personnel qualifié en 2008. La santé maternelle (et infantile) a d'ailleurs été un des thèmes du G8 qui s'est tenu à Toronto en juin dernier. Les chefs d'Etat ont décidé de débloquer 5 milliards de dollars additionnels sur cinq ans. Mais encore faut-il qu'ils tiennent promesse.
Une aide insuffisante
Car l'aide demeure insuffisante et la liste des engagements non honorés s'allonge (5). L'aide a certes crû de 34% entre 2004 et 2010 de la part des pays de l'OCDE, mais elle ne dépasse pas 0,32% de leur produit intérieur brut (PIB) cette année. Cette progression ne représente que 27 milliards de dollars, loin des 48 milliards d'aide additionnelle promise pour 2010 lors du G8 de Gleneagles en 2005. Une somme qui restait elle-même bien en deçà des 185 milliards de dollars jugés nécessaires pour atteindre les OMD (soit 0,54% du PIB des pays riches), selon les estimations réalisées en 2005 pour les Nations unies par l'économiste Jeffrey Sachs. Parallèlement, quinze membres de l'Union européenne s'étaient engagés à porter leur aide individuelle à 0,51% de leur PIB (6). Or, certains restent en retard, dont la France qui, malgré des efforts ces dernières années, n'a consacré à l'aide au développement que 0,46% de son PIB en 2009, un montant qui pourrait bien diminuer, rigueur budgétaire oblige.
Face à l'insuffisance de l'aide et devant l'urgence de la situation, aggravée par la nécessité de trouver des financements supplémentaires pour faire face au changement climatique, la question des financements innovants est régulièrement mise sur le tapis. A l'instar de la taxe sur les billets d'avion, qui a rapporté 2 milliards d'euros depuis son instauration en 2006. Une taxe sur les transactions financières, prônée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lors du dernier G20 de Toronto, et soutenue par les ONG, fait partie des projets à l'étude. Mais elle ne devrait pas être lancée avant le G20 accueilli en France en novembre 2011. Une telle taxe aurait pour avantage de stabiliser les ressources, indépendamment du bon vouloir des Etats.
Car pour le moment, en matière d'aide, chaque pays demeure maître du montant et du contenu. Ainsi, en ce qui concerne la France, il faut distinguer dans la somme totale ce qui relève de l'aide réelle et d'artifices financiers. La France inclut dans son aide publique des annulations de dettes et des dépenses qui ne profitent pas aux populations pauvres, tel que l'accueil d'étudiants étrangers ou l'assistance technique par du personnel expatrié. Au total, Coordination Sud considère que l'aide "réelle" de la France entre 2002 et 2008 ne représentait en moyenne que 57% de l'aide officielle.
La qualité laisse à désirer
"Au-delà de la quantité, il faut veiller à la qualité de l'aide", plaide en outre Nathalie Péré-Marzano. L'AMCP, avec d'autres organisations comme l'OCDE, prône ainsi l'appropriation par les pouvoirs publics et la société civile au Sud des mécanismes de distribution et d'utilisation de l'aide. Ainsi que leur implication dans la définition des politiques qu'elle est censée financer (voir encadré). "Les bénéficiaires devraient pouvoir se saisir de la façon de parvenir aux OMD", affirme Pascal Erard, responsable du plaidoyer au CFSI.
En termes de qualité, il est aussi nécessaire de repenser l'orientation de l'aide. "L'aide me paraît trop orientée vers les dimensions dites "sociales", et cela risque de compromettre l'avenir", estime Jean-Michel Severino, inspecteur général des Finances et ancien directeur de l'Agence française de développement (AFD). "Aujourd'hui, nous observons des dynamiques de croissance forte en Afrique au sud du Sahara. Il est crucial de les accompagner pour qu'elles soient durables", poursuit-il (7). Comment? Notamment en épaulant l'économie informelle, qui représente la moitié des emplois urbains en Afrique. En aidant à la construction ou à la reconstruction d'appareils d'Etat capables de recouvrer les taxes pour ensuite financer les services sociaux. Ce qui passe aussi par une lutte efficace contre la corruption. Ainsi qu'en encourageant les investissements dans l'agriculture.
La priorité agricole
"C'est d'abord en soutenant l'agriculture qu'on résoudra le gros du problème de la pauvreté", ajoute Serge Michailof. Car les trois quarts des pauvres de la planète vivent en milieu rural et dépendent directement des activités agricoles pour leur revenu. Paradoxalement, les petits producteurs représentent 80% des personnes sous-alimentées. Or, les budgets consacrés à l'agriculture sont trop faibles. En Afrique subsaharienne, rares sont les pays qui y consacrent plus de 4% de leur budget national. Et la part de l'aide publique mondiale au développement destinée à ce secteur a chuté de 17% à 3,8% entre 1980 et 2005. "Investir dans l'agriculture, ce serait donner aux paysans accès à une formation, au crédit, à des intrants de qualité et à des semences adaptées aux conditions locales", explique Bénédicte Hermelin.
"Mais rien ne sert d'investir dans l'agriculture si l'on poursuit par ailleurs la libéralisation des marchés agricoles", rappelle-t-elle. Car l'ouverture des frontières, préconisée par les organisations internationales, dont l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a été défavorable aux petits producteurs. Leurs produits ont été concurrencés par des importations moins onéreuses, puisque bénéficiant de coûts de production plus favorables ou de subventions.
Or, aujourd'hui, dans le domaine agricole, l'Union européenne continue à subventionner, directement ou indirectement, ses exportations. Tout en faisant pression sur ses "clients" du Sud pour qu'ils réduisent leurs protections commerciales dans le cadre d'accords de partenariat économique (*) . Ce qui revient plus ou moins à reprendre d'une main ce qui est donné de l'autre, dans l'agriculture comme dans d'autres domaines.
"Les enjeux de mise en cohérence des politiques est au moins aussi important que le montant de l'aide", constate Pascal Erard. Il faudrait donner la possibilité aux pays du Sud de protéger certaines productions nationales et de choisir quels sont les produits qui sont ouverts aux importations" (8). Il s'agirait donc de donner davantage de pouvoir de décision aux acteurs des pays en développement et, par conséquent, de s'éloigner d'une approche caritative. Car sortir de la pauvreté, ce n'est pas seulement en finir avec l'indigence. C'est aussi avoir des droits économiques, sociaux, culturels et politiques. Et d'avoir la capacité de prendre en main les conditions de son avenir.

    * Seuil international de pauvreté : seuil en dessous duquel une personne est considérée comme pauvre. Il est fixé à 1,25 dollar par jour. Mais pour tenir compte des disparités nationales de pouvoir d'achat, la proportion de la population vivant en dessous de ce seuil est évaluée en parité de pouvoir d'achat (PPA). * Sous-alimentation : situation dans laquelle l'apport calorique est inférieur aux besoins énergétiques alimentaires minimaux, c'est-à-dire à la quantité d'énergie nécessaire à la pratique d'une activité légère et au poids minimum acceptable pour une taille donnée, selon la FAO. * Accord de partenariat économique (APE) : accord par lequel les anciennes colonies doivent ouvrir 80% de leur marché à l'Union européenne, en échange d'un accès préférentiel au marché européen pour leurs exportations. Auparavant, ces préférences étaient accordées sans contrepartie.
(1)
Serge Michailof a publié Notre maison brûle au Sud. Que peut faire l'aide au développement, éd. Fayard, mars 2010. (2)
Rapport 2010 sur les OMD des Nations unies disponible sur www.un.org/fr/millenniumgoals/pdf/report2010.pdf (3)
Voir "Perspectives agricoles 2010-2019" sur www.ocde.org (4)
Rapport "Les femmes et la santé" sur www.who.int/gender/women_health_report/fr/index.html Voir également la campagne associative www.santepourtoutes.org (5)
Voir "Aide au Sud: le compte n'y est pas", Alternatives Economiques n° 292, juin 2010, disponible dans nos archives en ligne. (6)
Voir le rapport AidWatch de la fédération européenne d'ONG Concord sur www.concordeurope.org (7)
Voir le dossier "Comment mieux aider le Sud?", Alternatives Internationales n° 47, juin 2010, disponible dans nos archives en ligne. (8)
Voir "Pour des politiques européennes cohérentes avec la réduction de la faim dans le monde", CFSI, accessible sur www.cfsi.asso.fr/upload/brochure%20PE_BasDef_1.pdf
Claire Alet
Alternatives Economiques n° 294 - septembre 2010

La montée en puissance des salafistes déstabilise le Mali


26 septembre 2010

Laïc, musulman à 95 %, se réclamant d'un islam tolérant, le Mali est confronté à la montée en puissance des salafistes. Notre envoyé spécial à Bamako décrit ce tournant majeur dont la première victime est le code de la famille progressiste adopté par les députés. " Si nous continuons de laisser les salafistes "dire la vérité" sur l'islam, nous fonçons droit dans le mur, déclare au Monde Mahamadou Diallo, imam de la grande mosquée de Torokorobougou. L'islamisation de la société malienne est en train de déboucher sur un intégrisme totalement étranger à nos traditions. "

L'irruption des religieux salafistes bouleverse la scène politique au Mali

 
L'imam Mahmoud Dicko (au centre), président du Haut Conseil islamique, s'adresse, le 22 août 2009 
à Bamako, à la foule des manifestants contre la réforme du code de la famille. H. KOUYATE/AFP
Bamako Envoyé spécial
La contestation de la réforme du code de la famille marque un tournant dans un pays laïque, à tradition confrérique musulmane tolérante
Violent, le premier tonnerre d'applaudissements a surpris. " La femme doit être soumise ", avait asséné un étudiant bamakois au micro de RFI. S'agissait-il d'un simple défoulement du gros millier de jeunes Maliens - très majoritairement des hommes - venus pour l'enregistrement d'un débat sur le statut des femmes, lundi 20 septembre à l'université de Bamako, dans une chaleur de four ? La suite a montré qu'il n'en était rien.
Systématique fut l'acclamation des propos tenus par un responsable musulman défendant le droit des maris à " corriger " leurs épouses et fustigeant les femmes courant après le " le mirage de l'égalité au détriment de la maternité ". Quant aux trois personnalités féminines invitées à défendre l'émancipation, elles furent vigoureusement huées et sans cesse condamnées à la défensive. A l'image du débat qui déchire la société malienne depuis le 22 août 2009.
Ce jour-là, à l'appel des organisations musulmanes, plus de cent mille personnes réunies dans un stade de Bamako ont réclamé et obtenu le retrait du code de la famille progressiste que venaient d'adopter les députés. Une première dans un pays laïque, musulman à 95 %, se réclamant d'un islam confrérique tolérant. Et une sérieuse source de préoccupation dans un Mali rongé par la pauvreté, dont le Nord désertique sert de sanctuaire aux preneurs d'otages d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
" Les salafistes ont pris les rênes de l'islam malien, se désole Mahamadou Diallo, imam de la grande mosquée de Torokorobougou, à Bamako, représentant de la tradition soufie. Si nous continuons de les laisser dire la vérité sur l'islam, nous fonçons droit dans le mur ". " Avec l'irruption des religieux sur la scène politique, l'islamisation de la société malienne est en train de déboucher sur un intégrisme totalement étranger à nos traditions ", diagnostique Coumba Sangaré, cadre dans une grande société, l'une des rares femmes qui tient encore publiquement ce discours.
Les traditions, c'est pourtant au nom de leur défense que le Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), interface entre les religieux et l'Etat, a décrété, voici un an, une mobilisation qui s'est diffusée dans le pays comme une traînée de poudre. " Chez nous, le père de famille est comme un chef de service : toute la famille lui doit obéissance, énonce l'imam Mahmoud Dicko, président du HCIM et grand organisateur de la fronde. La société malienne est solidement bâtie sur des valeurs telles que la complémentarité entre les hommes et les femmes, pas sur leur égalité. Ceux qui défendent la réforme ont été formés par les Blancs. Pourquoi devrions-nous accepter une loi dictée par les Occidentaux alors que vous interdisez la burqa au nom de la défense de votre identité ? "
Cette rhétorique, visant aux besoins le " colonisateur ", a justifié le rejet des dispositions de la réforme portant notamment sur les obligations de l'épouse ainsi que sur le droit des femmes et des enfants naturels à hériter. " Dans notre culture, un enfant né hors mariage ne peut jamais être légitime ", martèle M. Dicko. Quant à l'âge du mariage des filles, le président du HCIM souhaite qu'il reste fixé à 15 ans " puisqu'on ne peut les empêcher d'être enceintes ".
Même si l'islam est mis en avant, " les ressorts de la contestation du code de la famille sont d'abord identitaires, analyse l'anthropologue Gilles Holder, chargé de recherches au CNRS. La réforme du code de la famille a été perçue comme une ingérence de l'Etat dans des pratiques sociales. "
L'argument de la recolonisation culturelle a ainsi montré sa puissance de mobilisation. Le thème de la perte de pouvoir sur les femmes a aussi contribué à radicaliser des hommes déstructurés par l'exode rural et le chômage. Dans un Mali majoritairement analphabète, des religieux ont même réussi à faire croire que le nouveau texte autorisait le mariage homosexuel.
Un autre ferment de radicalisation réside dans la concurrence que se livrent les tendances de l'islam malien. Le courant " wahhabite " (qui prône une interprétation littéraliste du Coran) a pris le contrôle du HCIM en 2007. Mais son président, Mahmoud Dicko, a pour ennemi juré le très populaire Chérif Ousmane Madani Haïdara, " guide spirituel " dont le talent oratoire digne d'un prédicateur évangélique et l'islam délibérément festif remplissent un grand stade de Bamako à chaque fête du Mouloud.
Il contrôle aussi Banconi, le quartier populaire de la ville où il vit avec ses quatre femmes et leur vingtaine d'enfants. Là, dans un dédale de rues boueuses, sa prodigalité fait surgir mosquée et centre de santé.
Face à ces poids lourds, les défenseurs de la réforme préfèrent désormais se taire, tant le souffle de la contestation a été violent. " Les femmes musulmanes qui luttaient pour l'égalité ont été laminées et les féministes privées de tout espace ", constate Gilles Holder. Le silence et les ambiguïtés d'Aminata Traoré, figure de l'altermondialisme malien, en disent long sur la force de cette lame de fond. Le code la famille ? " Je n'en pense rien ", glisse la militante qui considère cette réforme comme une nouvelle manifestation de la soumission aux injonctions des Occidentaux.
Nul ne peut encore mesurer les conséquences pour la jeune démocratie malienne du camouflet infligé à des députés souvent déjà perçus comme des profiteurs. " Nous avons été plus forts que les élus. Ça leur pose un problème de légitimité ", exulte Hamadou Diamoutani, secrétaire général du HCIM. " Les religieux ont récupéré la question sociale abandonnée par les politiques ", résume Gilles Holder. Alors que la politique du " consensus " menée par le président Amadou Toumani Touré (surnommé " ATT ") a anesthésié le débat public, les religieux contribueraient, selon M. Holder, à repolitiser la société et, ce faisant, à relégitimer l'idée d'Etat.
Un an après l'annonce par " ATT " d'un " renvoi en deuxième lecture " du texte, une nouvelle concertation avec les religieux est en cours. Le rapport de forces est désormais tel qu'un code plus " musulman " que l'actuel pourrait sortir de l'exercice. Il n'est d'ailleurs pas certain que le chef de l'Etat prenne le risque d'un nouveau vote à l'approche de l'élection présidentielle de 2012.
D'autant que l'imam Dicko et ses proches sont bien décidés à pousser leur avantage. " Avec une telle force, on ne peut pas rester en dehors du champ politique ", avouent-ils. Déjà, ils envisagent d'exiger la fermeture des débits de boisson pendant le ramadan. L'école, la corruption mais aussi " la paix et la sécurité dans la bande sahélo-saharienne " font partie de leurs centres d'intérêt. L'imam Dicko refuse d'ailleurs de condamner les enlèvements d'étrangers par AQMI. Il botte en touche, affirmant qu'" aucune religion n'est autant prise pour cible que l'islam aujourd'hui ".
Alors que rien n'étaie, pour l'heure, l'hypothèse selon laquelle la société malienne islamisée pourrait constituer un terrain propice au terrorisme, plusieurs observateurs maliens n'hésitent pas à établir ce lien. " Les conflits israélo-palestinien et afghan ont des résonances parmi nos jeunes qui forment 75 % de la population. Le terreau est idéal pour les islamistes. AQMI menace non seulement nos Etats mais nos sociétés, estime Soumeylou Boubeye Maiga, ancien ministre de la défense.
Quant au journaliste Adam Thiam, éditorialiste au quotidien Le Républicain, il craint " à moyen terme une jonction entre l'islam militaire d'AQMI et l'islam politique des dirigeants de l'islam malien ". Une analyse que ne sont pas loin de partager de hauts diplomates français. " Au Mali pas plus qu'au Niger, le terrorisme n'a d'écho dans la société pour le moment, constate l'un d'eux. Et d'appuyer son propos : " Pour le moment. "
Philippe Bernard
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