17/10/2010

Le Kenya redevient la locomotive de l'Afrique de l'Est


16 octobre 2010

 Nairobi Envoyée spéciale
L'économie du pays rebondit de façon spectaculaire, après les violences interethniques, la sécheresse et la crise

C'est la principale économie d'Afrique de l'Est, la locomotive de la région, et surtout un pays qui fascine par sa capacité à rebondir. Il y a deux ans, le Kenya était tenu pour moribond. Entre 2007 et 2008, le pays encaisse coup sur coup trois crises majeures : des violences interethniques qui font quelque 1 500 morts à la suite d'une élection présidentielle contestée et mettent à mal son image de paradis touristique. Une sécheresse qui affecte durement le secteur agricole et plonge la population dans la famine. Enfin, la crise financière internationale, qui va faire chuter les exportations d'agrumes, fleurs coupées, café, thé noir et priver le pays de précieuses rentrées de devises.
" Eminemment pragmatique " Or le Kenya, dénué de ressources naturelles (à l'exception de la géothermie), a une économie liée pour l'essentiel à l'agriculture et aux services. D'une moyenne de 5 % par an depuis 2002, la croissance annuelle du PIB tombe à 1,6 % en 2008, tandis que l'inflation grimpe à 20 %.
Pourtant, le Kenya va panser ses plaies à une vitesse inattendue. En 2010, les indicateurs macroéconomiques sont tous repassés dans le vert et la croissance devrait tourner autour de 4,5 %. Les autorités kényanes réussiront-elles leur pari de faire de leur pays une nation industrialisée à revenu intermédiaire d'ici à 2030 ? Certains en doutent car les handicaps du Kenya restent sérieux : une économie assez peu diversifiée dans laquelle l'Etat pèse encore beaucoup, une insuffisance criante en infrastructures et enfin une forte corruption.
Mais le Kenya n'est pas seulement dynamique, il est " éminemment pragmatique ", comme le relève un observateur occidental en poste à Nairobi. " Ce qui s'est passé ici depuis la fin 2007, aucun autre pays d'Afrique n'aurait réussi à s'en remettre. Les hommes politiques kényans, qui sont aussi des businessmen, ont vite compris le message de la sphère économique : "mettez fin à la crise, ou gare à vos intérêts" ! ", rapporte cet analyste.
Après qu'un accord politique a été trouvé entre les belligérants, les affaires sont reparties comme avant. " Les Kényans ont une mentalité entrepreneuriale et une capacité de travail extraordinaire. C'est leur force. Mais l'essor de ce pays ne peut s'expliquer que dans son contexte régional, souligne Robert Shaw, économiste à Nairobi. Le Kenya est un "hub", une plaque tournante et une porte d'entrée pour toute l'Afrique de l'Est. Sa croissance se nourrit de celle de ses voisins. Or tous, à l'exception du Burundi, s'envolent littéralement. " Avec sa façade maritime et le port de Mombasa, le Kenya occupe en effet une position stratégique. Sans lui, l'Ouganda et le Rwanda, mais aussi l'est du Congo-Kinshasa, et surtout le Sud-Soudan, qui espère accéder à l'indépendance en 2011, ne pourraient sortir de leur enclavement.
L'instauration, en janvier, d'une union douanière entre les cinq pays de la Communauté d'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda et Burundi), puis, en juillet, d'un marché commun qui autorise la libre circulation des biens et des personnes, est un formidable accélérateur des échanges dans la région. Et le Kenya en est l'un des premiers bénéficiaires. " C'est aussi un voisin conciliant et habile, qui sait tirer profit de tout, y compris de la détresse des pays limitrophes, poursuit Robert Shaw en souriant. Il l'a prouvé avec la Somalie et surtout le Sud-Soudan, où il envoie d'innombrables comptables, enseignants, médecins ou chefs cuistots. "
En cette année 2010, les touristes sont de retour au Kenya, plus nombreux encore qu'en 2007, année record. Quant aux autres secteurs (agriculture, industrie, construction, services financiers, télécommunications), ils prospèrent. A Nairobi et Mombasa, la classe moyenne - 20 % de la population citadine - fait ses courses dans des supermarchés modernes, dont certains sont ouverts jour et nuit.
Nairobi, ville dure et peu sûre
Conséquence de cette nouvelle richesse : la capitale est paralysée par les embouteillages. Le nombre de véhicules explose. Celui des téléphones portables aussi, un domaine dans lequel les Kényans se montrent des précurseurs : 60 % de la population adulte règle ses factures par le biais de M-Pesa, sorte de banque mobile qui relie les plus pauvres au système financier, y compris dans les coins les plus reculés du pays.
Partout, misère et richesse se côtoient. Les uns roulent en voiture, tandis que les autres font 20 kilomètres à pied chaque jour, faute de pouvoir payer le trajet en minibus. A Nairobi, ville dure et peu sûre, des villas hollywoodiennes, hermétiquement clôturées, jouxtent de gigantesques bidonvilles, comme celui de Kibera. Là, sous des toits de tôle ondulée, au milieu des ordures, vivent quelque 800 000 personnes avec, en moyenne, 1 ou 2 dollars par jour et par famille. Chaque année, 10 000 ruraux rejoignent ce cloaque, dans l'espoir de trouver un emploi en ville. Espoir déçu. Mais tous continuent de regarder vers l'avenir, persuadés que demain sera meilleur.
Si le Kenya ne fait pas encore partie des pays émergents, il constitue une bonne illustration de cette Afrique " nouvelle frontière et nouvel eldorado ", comme l'appelle Jean-Marc Gravellini, directeur à l'Agence française de développement. Johannes Zutt, responsable de la Banque mondiale pour l'Afrique de l'Est, se montre également optimiste, mais avec certaines réserves. " Pour que le Kenya sorte de la pauvreté, il aurait besoin d'un taux de croissance de 10 % pendant dix ans, comme en Asie. Or le marché régional n'y suffira pas. Il faudrait pour cela qu'il multiplie ses échanges avec le monde développé ", souligne-t-il.
M. Zutt voit cependant dans le Kenya et la façon dont il est géré " un excellent exemple de la maturité qu'ont atteinte les pays africains, impensable il y a vingt ans ".
Florence Beaugé
© Le Monde

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