Le Burkina Faso est un pays pauvre dont les Chinois n'ont cure. Tous les Chinois ?
Lorsque l'on s'interroge sur la présence d'Asiatiques à Ouagadougou, on est surpris d'apprendre qu'ils sont nombreux, depuis plus de dix ans, qu'ils font des affaires et qu'ils sont vus par le Burkina Faso comme une bénédiction. Seulement ces Asiatiques ne sont pas chinois, encore que cela dépende du point de vue : ce sont des Taïwanais ! Ainsi, la présence de la République de Chine (Taïwan) au Burkina Faso interroge. Si les Chinois de la Chine Populaire n'y ont pas ou très peu d'intérêt (3), quels peuvent donc être ceux de la « province rebelle » ? Ils semblent, dans un premier temps, devoir être d'une autre nature, d'une nature hors commerce (I). Pourtant, à bien y regarder, le commerce est bien présent dans les relations Taïwan Burkina Faso (II).

I - LES RELATIONS TAÏWAN-BURKINA FASO : UN ENJEU EXTRA-MATÉRIEL
L'importance pour Taïwan depuis les années 1970 (4) d'une reconnaissance officielle par le plus grand nombres de pays est devenue une question de survie sur la scène internationale (A). Devant la défection du Sénégal, du Tchad et de Malawi en 2005-2006 en faveur de Pékin, le Burkina Faso résiste aux sirènes de la Chine Populaire. Cette fidélité est encouragée par une véritable démarche de partenariat de la part de Taïpeh (B).
A - La reconnaissance de Taïwan sur la scène internationale : une question de survie
La présence de Taïwan en Afrique tient à la fois à la nécessité pour Taïwan de se voir reconnaître le statut de pays indépendant pour continuer d'exister sur la scène internationale (seuls 20 pays reconnaissent encore son existence à ce jour contre 70 en 1971) et de la volonté de développer des partenariats qui semblent durables dans une zone qui fut longtemps la chasse gardée des anciennes puissances coloniales et qui est récemment devenue une cible privilégiée de l'extension de l'influence économique de la Chine de par le monde.
Depuis les années 1985, en effet, la puissance Chine Populaire fait de la non reconnaissance de Taïwan une question préalable à l'établissement de relations diplomatiques et à ses investissements dans les pays d'Afrique, faisant reculer de plus en plus de pays africains dans leur volonté de reconnaître Taïwan comme indépendante.
La politique de coopération de Taïwan, comme la grande majorité des pays, fait partie intégrante de sa diplomatie, mais le mode de coopération qu'elle développe semble différent : elle privilégie l'assistance technique, tant sur le plan de la santé que dans le domaine agricole, par laquelle elle contribue à la formation de cadres et de techniciens locaux. Elle participe aussi à des constructions d'importances, comme le Palais des sports de Ouaga 2000, et participe à l'amélioration de la gestion de l'eau. Cette politique de coopération, institutionnalisée par l'ICDF (International Cooperation and Development Fund, équivalent de l'AFD en France), qui collabore avec les instances internationales régionales (BAD, Banque mondiale, FAO, etc.) n'a toutefois pas l'Afrique comme cible principale (75% de ses fonds vont en Asie).
Sur le plan économique, Taïwan et ses entreprises ont, contrairement à la Chine Populaire qui s'est concentrée sur les domaines énergétiques, privilégié la carte industrielle, avec près de 310 PME intervenant en Afrique.
La stratégie de Taïwan dans ses alliances africaines se base sur la visibilité internationale, car elles lui permettent de multiplier les déplacements officiels entre les deux continents : entre 2000 et 2003, le Président Chen Shui-bian fit quelques 8 déplacements officiels en Afrique sub-saharienne (deux au Sénégal, à Sao Tomé et au Malawi et un au Tchad et au Burkina Faso) ; de même, Taïwan mise sur les sommets Taïwan-Afrique comme en 2007 et en 2008 et la conférence Taïwan-Afrique de 2006, sommets auxquels le Président du Burkina Faso participa chaque fois. La dernière conférence Taïwan-Afrique de 2009 devait d'ailleurs se tenir à Ouagadougou mais fut repoussée pour des raisons politiques internes à Taïwan. Lors de ces sommets, la déclaration finale mettait en avant l'indépendance de Taïwan et la nécessité de régler des conflits territoriaux propres à Formose et à la Chine continentale.
Depuis l'élection du Président Ma en 2008, Taïpeh semble vouloir se rapprocher de Pékin, cédant sur la question de l'indépendance ; pourtant, depuis fin 2009, les gestes de Taïwan semblent être restés vains et l'Afrique, en tant que vitrine diplomatique, paraît reprendre de son intérêt.
Pour les quatre pays africains ayant maintenu, coûte que coûte leur alliance exclusive avec Taïpeh, les retombées, aussi modestes soient-elles, sont vitales, ces pays (Sao Tomé, Burkina Faso, Swaziland et Gambie) n'ayant ni position géopolitique stratégique ni richesses minières ou énergétiques (encore que le rapport de la CEDEAO-CSAO de 2006 indique qu'en 2010, Sao Tomé et Principe entrera dans le club des producteurs de pétrole sub-sahariens. A ce titre, outre l'appui politique international précieux que représente le soutien de ce petit pays, Taïwan peut y trouver un intérêt stratégique susceptible de lui apporter des devises, d'autant que de ce fait Taïwan s'affiche concrètement comme un pays partenaire et non un pays prédateur.
B - Le prix de la fidélité : une démarche de co-développement fructueuse
Contrairement aux relations le plus souvent prédatrices que la Chine Populaire entretient avec les pays d'Afrique sub-saharienne, même si aujourd'hui ces relations sont en pleine évolution, Taïwan a choisi des partenariats de plusieurs niveaux : lorsque les ministres négocient des programmes d'appui technique entre Etats, les structures infra-étatiques s'engagent elles-aussi dans ce type de coopération, tant dans la formation (invitation de praticiens hospitaliers à se former aux techniques de la médecine moderne, à l'organisation des services dans des structures de référence internationale), que dans l'accompagnement à la création d'établissements en conformité avec les programmes nationaux du Burkina Faso, notamment en recevant un grand nombre de cadres hospitaliers.
Taïwan se positionne donc d'abord dans une démarche d'accompagnement vers l'autonomie de son partenaire africain plutôt que dans l'assistanat, démarche innovante aussi au regard des anciennes pratiques de l'ex puissance coloniale.
La collaboration entre Taïwan et le Burkina Faso va encore plus loin que la formation des cadres du moment. Elle va dans le sens de la pérennisation des acquis, en accompagnant la réalisation de centres de formation burkinabè au Burkina Faso par des Burkinabés.
Elle irrigue tous les postes d'activités susceptibles de participer au développement du Burkina Faso, de la santé (programmes de formation de praticiens burkinabès à la gestion informatique des dossiers médicaux et logistique à l'Hôpital universitaire de Puli, formation de cadres hospitaliers à la formation professionnelle au Bureau de l'emploi et de la formation professionnelle par exemple), à l'agriculture en passant par l'industrie de transformation des produits d'origine agricole (projet de Larlé Naaba pour la transformation des graines de jatropha en biocarburant ou en cosmétiques et sa commercialisation par exemple), permettant ainsi de répondre à un certain nombre de besoins du pays dans une véritable dynamique de partenariats publics-privés puisque dans un grand nombre de projets, les industriels et commerçants taïwanais s'associent à des partenaires privés burkinabès pour développer de nouvelles filières.
Ces types de partenariats initiés ou portés par le secteur privé taïwanais montrent que Taïwan n'est pas seulement présente pour des raisons de reconnaissance internationale et développe, avec son partenaire, des relations économiques à gains partagés.

II - LA PRÉSENCE DE TAÏWAN AU BURKINA FASO : DES INTÉRÊTS BIEN COMPRIS
Si le transfert de savoir-faire est rappelée par la partie burkinabèe, la question de la diversification des fournisseurs industriels et des partenaires commerciaux est mise en avant par les deux représentants des pays partenaires. Il apparaît clairement que le Centre commercial de Taïwan à Ouagadougou en est avant tout la vitrine et que, malgré quelques implications commerciales locales, il s'agit surtout de montrer de façon concrète à la population burkinabèe les différentes modalités d'expression du partenariat Taïwan-Burkina Faso.
Cela apparaît d'autant plus important que la tentation de contracter avec la Chine Populaire peut être forte pour un certain nombre d'acteurs du commerce local : les petits commerçants trouveraient, en effet, des produits bon marché susceptibles d'inonder le marché local et il est apparu nécessaire aux autorités taïwanaises et burkinabèes, à travers ce centre commercial, que Taïwan puisse apporter les mêmes avantages, notamment dans la micro-informatique, le petit électroménager et les NTIC, outil dont le gouvernement burkinabè a résolument décidé de s'approprier depuis quelques années (5).
Les intentions de Taïwan ne sont donc pas philanthropiques, même si ses relations avec son partenaire africain dépassent de loin la simple prédation commerciale, à l'inverse d'un certain nombre de pays présents en Afrique de l'Ouest.
A ce titre, les industriels présents lors de la foire industrielle de Taïwan à Ouagadougou, en octobre 2009, ne s'y sont pas trompés et, au vu des témoignages des visiteurs de la foire, ils ont su adapter les produits proposés aux contraintes du marché burkinabè : simplicité des produits proposés, accessibilité en matière de prix, adaptation des produits aux besoins du commerce et de la petite industrie de transformation locale. Elle tend à démontrer que les relations entre les deux pays partenaires sont assez profondes pour que des échanges culturels et une fine connaissance de l'autre permette une telle adaptation commerciale et industrielle (même s'il n'est pas fait de produits spécifiquement développés pour le marché burkinabè).
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(1) Voir notamment : S. Michel, M. Beuret, La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, Paris, éd. Grasset & Fasquelle, 2008 ; T. Banqui, La Chine, un nouveau partenaire de développement de l'Afrique : vers la fin des privilèges européens sur le continent noir ?, Paris, L'Harmattan, 2009.
(2) Voir « L'Afrique et la Chine », analyse issue de l'Atlas de l'intégration régionale en Afrique de l'Ouest publiée par la CEDEAO-CSAO, en décembre 2006.
(3) Voir le rapport de 2006 de la CEDEAO-CSAO, qui précise que si le Burkina Faso exporte son coton vers Pékin, la Chine Populaire n'exporte pas, comme c'est le cas dans d'autres pays d'Afrique et de l'Afrique de l'Ouest en particulier, de produits bons marchés, notamment du petit électroménager ou du petit électronique ; nous verrons pourquoi dans la suite de cette analyse.
(4) L'entrée de la Chine Populaire en 1971 au Conseil de sécurité de l'ONU s'est faite au détriment de l'entrée de Taïwan au sein de l'Assemblée générale de l'ONU et fut obtenue, à l'époque, en grande partie grâce au soutien des pays africains. Depuis cette date, Taïwan a ressenti comme un besoin crucial d'obtenir le maximum de reconnaissances internationales pour pouvoir résister aux prétentions de réintégration de cette « région » sécessionniste de Pékin.
(5) De nombreux rapports officiels sur les programmes menés par les différents ministères au Burkina Faso sont disponibles en ligne, de même que des études menées par les instances onusiennes.


BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

- Marc AICADI DE SAINT-PAUL, « Les relations Taïwan-Afrique : entre continuité et rupture », http://www.strategicsinternational.com/25_19.pdf.
- Lassamé YAMEOGO, « Le Burkina Faso s'inspire de l'organisation du système de gestion des hôpitaux de Taïwan », http://www.ambaburkinataipei.org.tw/.
- « L'ambassade de la République de Chine (Taïwan) au Burkina Faso a procédé, mercredi 18 février 2009, à la cérémonie d'ouverture du Centre commercial de Taïwan à Ouagadougou », http://www.sedcom.bf/quoti/politique49.php.
- « Foire de la Chine-Taïwan 2009 : l'industrie taïwanais en vitrine à Ouagadougou », http://209.85.229.132/search?q=cache:ZRmIdUbQe1UJ:www.en-afrique.info/%3Ffoire-de-la-chine-taiwan-2009-l+taiwan+afrique+2009&cd=11&hl=fr&ct=clnk&client=safari.
- « L'Afrique et la Chine », rapport de la CEDEAO-CSAO, série économique, tiré de l'Atlas de l'intégration régionale, décembre 2006, http://www.oecd.org/dataoecd/22/38/38409991.pdf.