20 juillet 2011
Le bilan environnemental global des cultures énergétiques n'est pas bon. Bruxelles s'interroge sur leur avenir .
Faut-il freiner brutalement et donner un coup d'arrêt à une filière industrielle en plein essor ? Ou continuer à accélérer, en fermant les yeux sur les études qui montrent que les biocarburants actuels sont très loin de tenir leurs promesses ? Entre ces deux extrêmes, l'Union européenne (UE) qui, depuis dix ans, a fortement encouragé le développement de ces énergies alternatives - leur production et leur distribution représentaient en 2008 quelque 300 000 emplois directs ou indirects -, va devoir trouver un difficile compromis.
Une réalité s'impose : le bilan environnemental global des biocarburants de première génération - le biodiesel élaboré à partir du colza, du tournesol, du soja ou du palmier à huile, et le bioéthanol et son dérivé, l'ETBE, extraits de la betterave et de la canne à sucre, du blé ou du maïs - n'est pas bon. Car il faut corriger les performances annoncées par ce que les experts appellent " le changement indirect d'affectation des sols ".Les cultures énergétiques, lorsqu'elles accaparent des terres agricoles, obligent en effet à déplacer les cultures alimentaires vers d'autres régions de la planète, à commencer par les régions tropicales. Des forêts y sont abattues, pour être transformées en terres cultivables, et cette déforestation relâche du CO2 dans l'atmosphère.
Une étude de l'Institute for European Environmental Policy, commandée par une dizaine d'associations de défense de l'environnement, a calculé que l'objectif que s'est fixé l'UE - soit 10 % d'énergies renouvelables dans les transports en 2020, soit deux fois plus qu'aujourd'hui - " pourrait mobiliser près de 70 000 km2 - plus de deux fois la superficie de la Belgique - de terres supplémentaires à la surface du globe ".
Il en résulterait, à l'échelle de la planète, une " émission de 27 millions à 56 millions de tonnes de CO2 supplémentaires ". Au final, les biocarburants consommés en Europe d'ici à la fin de la décennie généreraient " de 81 % à 167 % " de gaz à effet de serre de plus que les carburants fossiles.
La Commission de Bruxelles n'ignore pas le problème. Elle a fait réaliser ses propres études, sans les divulguer. Moins catastrophiques, elles montrent pourtant, indique Nusa Urbancic, de l'association européenne Transport & Environnement, que, si l'on tient compte de la réaffectation mondiale des terres, le biodiesel tiré du colza (dont est issu l'essentiel de la production et de la consommation européennes) et du tournesol, mais aussi de l'huile de soja et de palme (importées) seraient plus nocifs que les combustibles fossiles, en rejets de gaz à effet de serre.
En revanche, le bioéthanol élaboré à partir du blé, du maïs, de la betterave et de la canne à sucre, présenterait un bilan carbone meilleur que les carburants d'origine fossile.
En décembre 2010, le commissaire européen à l'énergie, Günther Oettinger, déclarait que " les effets potentiels des modifications indirectes dans l'affectation des sols doivent être dûment pris en considération ". La question, qui aurait dû être examinée fin 2010, a été repoussée à juillet, puis reportée à septembre. Il faudra alors trancher, et peut-être légiférer, sur l'instauration de normes plus exigeantes.
La Commission a déjà établi des critères de " biocarburants durables ". Ceux-ci doivent permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 35 % par rapport aux combustibles fossiles, seuil qui sera relevé à 50 % en 2017. Et leur production ne doit pas se faire au détriment des forêts tropicales, des tourbières, des zones humides ou de terres à forte biodiversité.
A cet effet, les professionnels ont été invités à mettre en place " des systèmes volontaires pour la certification de la durabilité des biocarburants ". Concrètement, pour être acceptés sur le marché européen, les biocarburants devront faire l'objet de contrôles indépendants, assurant leur traçabilité, de l'exploitation agricole à la station-service, et prouvant qu'ils satisfont aux critères communautaires.
Mardi 19 juillet, M. Oettinger devait annoncer l'homologation de sept premiers plans de certification. L'un présenté par l'ensemble des opérateurs de la filière française, regroupés au sein du consortium 2BSvs (biomasse, biocarburants, schéma volontaire sur la durabilité). Les six autres soumis par des consortiums européens ou internationaux.
Ce dispositif garantit " qu'aucune forêt n'a été abattue et qu'aucune zone humide n'a été asséchée " pour les biocarburants produits ou importés en Europe, fait valoir Bruxelles. " C'est l'aboutissement de la volonté européenne de faire la distinction entre les bons et les mauvais biocarburants. Et la démonstration que la filière française répond aux exigences de durabilité ", se félicite Bernard Chaud, vice-président du Syndicat national des producteurs d'alcool agricole (SNPAA).
Mais, pour les associations environnementales, le problème reste entier. " Faute de prise en compte du changement indirect d'affectation des sols, ces schémas de certification ne sont que des coquilles vides ", dénonce Nusa Urbancic.
Entre les impératifs économiques et écologiques, la voie est étroite. La solution pourrait être de pousser les recherches sur les nouvelles générations de biocarburants, valorisant le bois, la paille et les déchets végétaux, ou exploitant le potentiel des microalgues. Mais ces filières sont encore loin d'être opérationnelles.
Pierre Le Hir
© Le Monde
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