12 décembre 2010
Cancun (Mexique) Envoyé spécial
Les pays émergents ont joué un rôle moteur dans le succès de la conférence des Nations unies
Un accord presque unanime et relativement ambitieux était sur le point d'être conclu à Cancun, samedi 11 décembre à 2 heures du matin, alors que s'achevait la conférence des Nations unies sur le climat. La conférence de Cancun aura donc rempli son objectif, celui de traduire dans un " paquet équilibré " de décisions onusiennes, l'accord de Copenhague, adopté en 2009 par une majorité de chefs d'Etat mais non approuvé à l'époque par la conférence.
Après deux semaines d'une négociation souvent tendue, plusieurs fois bloquée, ce succès permet de créer la boîte à outils de la lutte contre le changement climatique, de remettre la négociation climat sur les rails et par là-même de sauver le processus onusien.Un seul pays, la Bolivie, s'opposait encore au document, dans la nuit de vendredi à samedi. " Nous ne pouvons pas accepter ce texte qui revient à augmenter la température moyenne de plus de 4°C ", a dénoncé le chef de la délégation bolivienne, Pablo Solon, trop isolé pour être entendu.
" Cette proposition est équilibrée, tous les éléments sont présents d'une manière ou d'une autre, je ne vois pas pourquoi nous perdrions plus de temps à discuter des détails ", a répliqué le représentant des Maldives. Même l'envoyé spécial des Etats-Unis, Todd Stern, a approuvé sans conditions un texte qu'il a qualifié de " bonne base pour avancer ", tandis que le représentant chinois, Xie Zhenhua, se déclarait " satisfait ".
Comment en est-on arrivé à une telle unanimité, après dix jours de guerre de tranchées entre des positions apparemment irréconciliables ? Par un tour de magie doublé d'un coup de poker.
La magie, c'est celle des " formules ambiguës " suffisamment habiles pour satisfaire l'ensemble des parties sans vider le document de son ambition. C'est ce sens de la formule qui a permis de maintenir dans le texte l'objectif d'une deuxième période d'engagement du protocole de Kyoto, une condition exigée par les pays en développement, alors même que le Japon, rejoint par la Russie, avait fermé l'horizon de la conférence en refusant, dès les premiers jours, cette perspective.
Le coup de poker est celui, risqué, qu'a joué la présidente de la conférence, la ministre mexicaine des affaires étrangères, Patricia Espinosa, vendredi, pour sortir les négociations de l'impasse, alors qu'une première nuit d'intenses tractations n'avait pas permis aux négociateurs de finaliser des textes consensuels sur les différents chapitres du futur accord.
Tandis que le temps semblait s'être figé dans le décor luxueux du Moon Palace, la présidente, enfermée dans son bureau, a convoqué toute la journée les acteurs de la négociation pour forcer le compromis, sans que personne ne sache ce qu'il en sortirait. Ce n'est qu'à 17 heures que le texte sera finalement distribué, provoquant une belle bousculade... et une vraie surprise.
Alors que les derniers documents sur la table étaient encore truffés d'options, Mme Espinosa a décidé de rédiger une proposition d'accord achevé, sans plus aucun choix à trancher. Une stratégie du quitte ou double qui s'est révélée payante, tant la plupart des délégations craignaient par-dessus tout un nouvel échec, après la déroute de Copenhague en 2009. A 18 heures, c'est par une standing ovation que les centaines de délégués réunis en assemblée plénière ont accueilli la Mexicaine, émue aux larmes et visiblement épuisée.
Le feu d'artifice consensuel des dernières heures masque une profonde recomposition des forces. Divisés sur le protocole de Kyoto, les pays industrialisés se sont révélés incapables de prendre le moindre leadership dans la négociation. " Le vieux monde est mort à Copenhague. On a vu à Cancun les pays émergents devenir une véritable force de proposition ; même le groupe africain a réussi à parler d'une seule voix pour la première fois ", analyse Laurence Tubiana, la directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales.
Sur les points les plus conflictuels, les compromis décisifs sont venus de l'Inde - dont le ministre indien de l'environnement, Jairam Ramesh, restera l'un des acteurs clés de cette négociation -, du Brésil et de la Chine. En face, l'Europe a donné l'image d'une diplomatie paralysée par le processus communautaire, tandis que les Etats-Unis, dénués de marge de manoeuvre depuis la victoire des républicains aux élections de mi-mandat, restaient sourds à tout rapprochement. Ce constat présage de futures difficultés pour la prochaine conférence à Durban, en 2011, quand il s'agira de donner un contenu détaillé au cadre général approuvé à Cancun.
Grégoire Allix
© Le Monde
Les bases d'un futur traité sur le changement climatique se dessinent
Cancun (Mexique) Envoyé spécialLe texte qu'ont réussi à élaborer les diplomates rassemblés à Cancun (Mexique) représente une avancée réelle dans la mobilisation internationale contre le changement climatique. Un an après l'échec de Copenhague, les négociateurs ont fait mentir ceux qui jugeaient que les Nations unies étaient disqualifiées. Au contraire, et notamment grâce à l'attitude très ouverte et transparente de la présidence mexicaine, le processus s'est révélé adéquat pour parvenir à une décision commune et substantielle. Il est relégitimé, et pourra donner sa mesure à Durban (Afrique du Sud), fin 2011, lorsqu'il s'agira de mettre au point un nouveau traité sur le changement climatique.
Les bases de ce traité sont posées dans la décision de Cancun. En premier lieu, celle-ci intègre l'objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C par rapport à l'époque préindustrielle : si cette référence avait déjà été acceptée par les pays du G8, elle ne l'avait pas été par les grands pays émergents, jusqu'à l'accord de Copenhague. Le principal acquis de celui-ci était justement de leur faire accepter ce point, qui implique une limitation des émissions globales dans les prochaines décennies. Comme l'effort des pays riches ne suffira pas à atteindre l'objectif, ce seuil de 2 °C implique que les pays émergents devront, eux aussi, s'engager à limiter leurs émissions.La décision de Cancun prépare cette limitation, en affirmant que les pays en développement mèneront des actions de façon à infléchir la tendance à la hausse des émissions. Ces actions - comme celles prises par les pays développés - seront inventoriées par le secrétariat de la Convention. Une procédure de " contrôle et de vérification " sera instaurée, sur la base de la proposition du ministre indien de l'environnement, Jairam Ramesh : les rapports d'action présentés par les pays seront analysés par des experts indépendants, d'une façon " non intrusive, non punitive et respectant la souveraineté nationale ". Cette proposition a été un des éléments du succès de Cancun en recueillant le soutien de la Chine, pour qui cette question de contrôle était très sensible.
Continuité
Ce pas majeur des pays en voie de développement vient en contrepartie de la satisfaction de deux de leurs exigences. D'une part, la légitimité du protocole de Kyoto est réaffirmée - une revendication essentielle, parce que le protocole, en engageant les pays industrialisés à une réduction nette de leurs émissions, marque la différence de responsabilité entre les deux groupes. Mais la décision de Cancun vise à assurer la continuité entre la première période du protocole - qui s'achève en 2012 - et la période suivante, il n'y a pas d'engagement formel. La plaie est soulagée, elle n'est pas guérie.
D'autre part, la création d'un " Fonds vert du climat ", doté de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, est actée. Sa gouvernance sera assurée par un bureau de 24 membres composé à parité par des représentants des pays riches et des pays en développement. La gestion technique du Fonds sera assurée par la Banque mondiale. La nécessité d'engager 30 milliards de dollars (23 milliards d'euros) d'ici à 2012 est réaffirmée.
La décision de Cancun comporte d'autres volets sur l'adaptation au changement climatique, le transfert de technologie propre, et la déforestation. Sur ce point, il entérine des mesures discutées depuis plusieurs années. A la demande de la Bolivie, elles n'évoquent pas les mécanismes de marché comme possible mode de financement.
Le texte posé par la ministre mexicaine Patricia Espinosa est étonnamment substantiel. Son adoption manifeste la relance du dialogue climatique après le chaos de Copenhague. Un traité sur le climat, unissant la communauté internationale, devient un horizon crédible pour Durban.
Hervé Kempf
© Le Monde
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