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Lors d’un discours devant le Comité de la Sécurité alimentaire le 19 octobre dernier1, Ibrahim Coulibaly, Président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali, nous livre le regard des agriculteurs africains sur le bilan désastreux des politiques d’inspiration libérale mises en oeuvre par les institutions internationales pour promouvoir le développement agricole. Contrairement aux objectifs visés, elles ont finalement fragilisé l’agriculture locale et appauvri de nombreux paysans. Partant de ce constat, Ibrahim Coulibaly livre les conditions qu’il juge nécessaires au développement de l’agriculture africaine et à son intégration dans le commerce international : réguler les marchés agricoles, physiques et financiers, et mettre en place une politique efficace de stockage. Le cycle de Doha est donc loin d’être le cycle du « développement » tel qu’il était intialement avancé et les propositions soutenues par Ibrahim Coulibaly constituent autant de points à méditer pour procéder à une révision rapide de l’agenda de l’OMC.
La rédaction de momagri
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CONTRIBUTION DE IBRAHIMA COULIBALY SUR LA VOLATILITE DES PRIX AGRICOLES- CSA - 19 octobre 2011
Il y a près de quarante ans
quand j’étais tout petit on ne parlait pas de volatilité. Je me rappelle
encore que notre gouvernement donnait des charrues, des bœufs de
labour, de l’engrais à crédit à nos parents. A l’époque il y avait un
service public l’OPAM qui achetait les produits alimentaires aux
familles paysannes à des prix connus d’avance.
Il y a environ trente ans j’étais au collège on nous a
dit que c’était mieux de produire pour les marchés extérieurs et nous
avons commencé à entendre dans le discours de nos hommes politiques un
terme « DETERIORATION DES TERMES DE L’ECHANGE » une véritable complainte
à l’époque mais qui n’a eu d’écho nulle part. De quoi s’agissait-il ?
En vérité les prix des produits agricoles d’exportation s’effondraient
sur le marché international. Les gouvernements d’alors avaient certes
commis l’erreur fatale de pousser les paysans à produire plus de
produits d’exportation mais quand cela a mal tourné seuls les paysans
ont payé le lourd tribu.
L’effondrement de nos économies et l’endettement public
dans les années 1980 a amené la BM et le FMI à mettre nos pays sous
ajustement structurel.
On nous a dit alors que l’Etat était inefficace et que
nous devions donner plus de place au privé. En même temps nos Etats
étaient obligés de s’endetter encore plus pour rétablir les équilibres
macro économiques. On nous a dit qu’il fallait couper tout soutien à
l’agriculture paysanne qualifiée de non-performante, une véritable
campagne de démolition contre cette agriculture a alors été engagée par
la BM et ses alliés.
On nous a dit de produire encore plus de produits de
rentes pour l’exportation, comme le coton, café, arachides à des prix
très bas fixés à l’extérieur. Avec ces devises on nous a dit d’acheter
du riz d’Asie ou de la farine et du lait en poudre d’Europe, qui
aujourd’hui sont devenus si volatiles. La descente aux enfers avait
commencé pour les familles paysannes et pour nos Etats surendettés et
incapables de payer.
Puis on nous a dit de devenir compétitifs selon les
critères des institutions financières internationales, et que nos Etats
n’étaient plus autorisés de nous protéger. Tous nos tarifs douaniers ont
été démantelés et nos marchés ont été libéralisés, des produits
alimentaires venus d’ailleurs ont commencé à se déverser à bas prix sur
nos marchés nous rendant encore plus vulnérables à la volatilité des
prix. Les habitudes alimentaires ont changé dans les villes ; les
productions vivrières des familles paysannes ne pouvaient plus se
vendre. Ce phénomène a été aggravé en Afrique de l’Ouest par l’avènement
de l’UEMOA (Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest) et
son Tarif Extérieur Commun connu pour être le tarif douanier le plus
faible dans le monde.
Mais aucune de ces « solutions » qui nous ont été
imposées ne nous ont sortis de la pauvreté. Pire encore, on est devenus
encore plus vulnérables. C’est dans un tel contexte que l’on demande à
l’agriculture familiale d’être performante.
Aujourd’hui on doit subir de nouveaux enjeux qui nous
tombent du ciel. Le changement climatique, la spéculation financière,
les marchés internationaux imprévisibles, de nouvelles politiques de
pays développés qui nous accaparent nos terres pour faire des
carburants.
Mais par rapport a cela on ne nous dit plus rien. Pourtant ceci est au
cœur de la volatilité dont on parle maintenant.
Plutôt que de répondre aux causes de notre pauvreté et
de la volatilité on a vu de véritables catalogues de projets et
programmes financés au nom du secteur rural. Des milliards de dollars
sont mobilisés chaque année mais la réalité est que plus de la moitié
des familles paysannes dans la plupart de nos pays ne peuvent pas
accéder à 1000 dollars pour se payer une charrue, une paire de bœufs,
une charrette, un âne ( étude de la FAO sur la mécanisation agricole au
Mali).
Le haut panel d’experts devrait être mandaté pour faire une étude sur
l’efficacité de qui est mobilisé au nom des pauvres (quand plusieurs
centaines de millions de dollars sont mobilisés, combien arrivent dans
les champs des pauvres, aux femmes dont on parle tant ?
Vous serez étonnés des résultats d’une telle étude. Ou peut être pas du
tout, parce que depuis le temps qu’on mobilise tous ces millions en
notre nom, nous serions tous riches déjà.
Malgré tout cela, sans aides d’aucune forme, sans aucune
protection et avec tous les puissants du monde contre elle,
l’agriculture paysanne n’a pas disparu.
Malheureusement il a fallu la crise actuelle pour que
nos gouvernements reprennent conscience de la nécessité de la sécurité
alimentaire sur base de la production alimentaire au niveau national.
Cependant les solutions durables se font attendre.
Pour solutionner ce problème de volatilité de prix nous
paysans, avec l’appui des autres acteurs de la société civile, pensons
qu’il est nécessaire de ;
← Donner la priorité à nos marchés locaux, à l intégration régionale,
plutôt que de laisser nos prix se faire dicter par ces marchés
internationaux lointains et imprévisibles. C’est la seule solution pour
que nous, paysans, puissions nous nourrir ainsi que nos communautés et
nos villes.
← Il faut arrêter toutes les formes de compétition entre
des agricultures et des modes de productions ayant de très grands écart
de productivité (la houe contre le tracteur plus la subvention cela
passe difficilement). On n’a pas de droit de nous dire qu’on mangera
quand on sera compétitif.
← Il faut arrêter ces politiques qui viennent
déstabiliser nos agricultures paysannes. Quand il y a surproduction nous
subissons le dumping, quand il y a pénurie nous subissons les
restrictions des exportations pour l’alimentation qu’on nous a dit de ne
plus produire.
← Il faut que nos gouvernements aient l’ambition de
politiques qui nous sortent de la pauvrette et de la misère, qu’ils
protègent nos agricultures paysannes des marchés volatiles et nous
soutiennent pour qu’on puisse investir pour nourrir nos populations.
← On sait comment il faut faire, des instruments
existent pour stabiliser les prix : des tarifs douaniers adaptés, des
stocks stratégiques à différents niveaux, gérer l’offre et la demande,
réguler contre les spéculateurs, … au nom de quel droit l’OMC nous
interdit-il de le faire ?
← Permettre aux paysans, aux femmes, aux groupes
vulnérables en milieu rural d’accéder réellement aux fonds mobilisés en
leur nom pour acheter du matériel agricole, des fertilisants, des
semences, de créer de la valeur sur leurs produits afin qu’ils puissent
commencer à vivre dignement de leur travail,
Pour finir je voudrai inciter chacun d’entre nous de
méditer quand nous allons nous asseoir devant nos plats de victuailles
ce midi, de penser que des humains sont en train de mourir en ce moment
même de faim ou de malnutrition parce que des réunions coûteuses sont
organisés autour de leur sort sans que les actes qui pourraient les
sauver ne soient posés. Nous ne pouvons plus attendre.
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