08/12/2011

Sahel : quatre mois pour éviter la crise alimentaire

 
9 décembre 2011
                  
         De la Mauritanie au Tchad, les récoltes et les troupeaux souffrent du déficit 
         pluviométrique de 2011




Les cartes, établies grâce à des relevés satellitaires et présentées, jeudi 8 décembre, par Action contre la faim (ACF), parlent d'elles-mêmes. Octobre 2004 : une bande ocre traverse l'Afrique d'ouest en est. Elle indique le déficit de végétation et annonce la terrible crise alimentaire qui frappera le Sahel, et notamment le Niger, quelques mois plus tard. Octobre 2010 : le vert a remplacé l'ocre. Les pluies, abondantes jusqu'à provoquer des inondations, ont favorisé la végétation et soulagé agriculteurs et éleveurs. Octobre 2011 : l'ocre est de nouveau de rigueur, de façon moins prononcée, toutefois, que sept années plus tôt.
La situation est assez grave, cependant, pour que le gouvernement nigérien et le Programme alimentaire mondial (PAM) aient tiré la sonnette d'alarme, fin octobre, annonçant un déficit céréalier de 500 000 tonnes pour la récolte en cours. Fin novembre, l'organisation non gouvernementale Wetlands International s'inquiétait de la " sécheresse extrême " dans la région du delta intérieur du fleuve Niger, au Mali. Pour ACF, c'est toute la bande sahélienne, de la Mauritanie au Tchad, qui est menacée d'une crise alimentaire en 2012, conséquence du déficit pluviométrique enregistré en 2011.
Selon le PAM, qui signale, de plus, des attaques d'insectes sur les céréales, les récoltes pourraient être inexistantes dans certaines zones du centre et de l'ouest du Niger. " Et le bétail meurt par centaines en Mauritanie, où le nombre de personnes confrontées à l'insécurité alimentaire est déjà passé d'un demi-million à 700 000 ", note Gaëlle Sévenier, porte-parole de l'agence onusienne.
" Les pays où la situation est la plus inquiétante sont la Mauritanie et le Tchad, estime Patricia Hoorelbeke, représentante d'ACF en Afrique de l'Ouest. La première parce qu'elle est particulièrement impactée cette année, alors qu'elle subit généralement moins que d'autres ces problèmes de pluviométrie et de production. Le second car la situation structurelle y est très dégradée : le niveau des soins et des programmes de développement y est extrêmement faible. "
Les effets de la crise alimentaire pourraient se manifester à partir de mars ou d'avril 2012, quand les foyers auront consommé leurs réserves et que se posera la question de la disponibilité et du prix des denrées alimentaires sur les marchés locaux. " En raison de la récurrence croissante des sécheresses dans le Sahel (...), les familles vulnérables n'ont pu reconstituer ni leurs stocks alimentaires ni leur cheptel ", s'inquiète le PAM.
" La fréquence des accidents climatiques et des crises alimentaires dans le Sahel s'est accélérée depuis le milieu des années 1990, analyse François Grünewald, directeur scientifique du groupe Urgence-réhabilitation-développement (URD). Dès lors, la fragilité du système ne cesse de s'accroître. "
S'ils ont baissé en 2011, les taux de malnutrition grave chez les enfants de moins de 5 ans restent élevés : en juin, ce taux était encore de 14,8 % dans la région de Tillabéry, au Niger, alors que le seuil d'urgence se situe à 15 %.
Si l'importance de la crise alimentaire à venir reste difficile à évaluer, notamment parce que la situation peut varier considérablement d'une région à l'autre, son caractère inéluctable rend nécessaire la mise en place rapide de réponses pour en atténuer l'impact. Parmi celles-ci, l'intensification des programmes visant à fournir aux familles vulnérables de l'argent ou des produits alimentaires en échange d'une participation à des travaux communautaires, ou la distribution d'aides financières à des populations ciblées (femmes soutiens de famille, par exemple).
Le PAM estime avoir besoin d'une assistance supplémentaire de 45 millions d'euros pour renforcer ses programmes de nutrition auprès des populations les plus vulnérables au Niger : enfants de moins de 2 ans, femmes enceintes ou allaitantes. " Certains bailleurs de fonds commencent à se mobiliser, mais cela reste très timide, constate Patricia Hoorelbeke, d'ACF. Mais si l'on attend six mois pour réagir, le coût sera de deux à trois plus élevé, tout comme l'impact sur le développement humain dans les pays concernés. "
Le contexte régional accroît la vulnérabilité des populations. Les crises libyenne et ivoirienne ont ainsi provoqué le retour au Niger de 200 000 travailleurs migrants dont les envois d'argent faisaient vivre leurs familles. Par ailleurs, l'aide d'urgence vers le Tchad est censée transiter par la Libye, ce qui ne sera probablement pas possible dans les mois à venir.
Enfin, le poids du Nigeria dans les échanges commerciaux régionaux est souvent un facteur d'aggravation des crises : les commerçants nigérians achètent les céréales dans les pays sahéliens à bas prix, au moment des récoltes, pour les revendre lorsque les cours sont au plus haut, en période de pénurie... quand ils ne les réservent pas au marché national.
Face à ces comportements spéculatifs, les stocks de sécurité constitués par les Etats du Sahel en argent ou en céréales ne pèsent pas bien lourd. " Après avoir cassé les organismes qui géraient les stocks d'urgence, relève François Grünewald, on s'aperçoit aujourd'hui qu'on aurait bien besoin d'instruments de régulation. "
Gilles van Kote
© Le Monde

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