24 mai 2009
Dans le delta du Niger, une guerre curieusement parée de qualificatifs hauts en couleur mais qui refuse de dire, tout simplement, son nom, a commencé. Sur fond d'exploitation pétrolière, le sang coule dans le sud du Nigeria, premier producteur de brut d'Afrique subsaharienne. La région de mangroves perdue entre les bras du fleuve et polluée par cinquante ans d'extraction voit s'étendre un conflit annoncé depuis plusieurs mois par les activistes armés de la région.
En septembre 2008, les " militants " rebelles du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND), qui ont pris les armes pour défendre les populations bafouées du delta et oscillent entre cet objectif et le banditisme, avaient annoncé le début de l'opération " Ouragan Barbarossa ". Ils voulaient le faire souffler jusqu'à balayer toutes les compagnies pétrolières de la région.
Pendant huit mois, ils se sont contentés, entre pics de violence et trêves consacrées à des négociations, de vaquer à leurs habituelles attaques contre l'industrie pétrolière tout en remplissant leurs caisses grâce aux enlèvements d'expatriés et aux détournements de cargaisons de pétrole brut. Depuis, la force conjointe police-armée (JTF) déployée dans le delta depuis 2003 et parée de noms déconcertants, de " Tirez la chasse d'eau " à " Restaurer l'espoir " (emprunté à l'opération américaine en Somalie de 1993 qui s'était terminée par un désastre) a été restructurée pour passer à l'offensive.
Depuis la mi-mai, les affrontements ont commencé. Il y a deux semaines, le MEND, réactivant l'opération " Ouragan Barbarossa ", a ordonné aux compagnies pétrolières d'évacuer leur personnel du delta. Les jours suivants, le mouvement lançait de nouvelles attaques, prenant d'assaut un cargo ukrainien dont l'équipage, retenu en otage, a été libéré par les forces gouvernementales au prix de deux morts parmi les marins. Le MEND affirme aussi avoir attaqué et détruit " cinq gun boats - vedettes armées - et plusieurs navires de soutien " de la JTF, selon un communiqué transmis par Internet.
La JTF est aussi passée à l'offensive dans l'Etat du Delta, l'un des neuf (sur les trente-six de la fédération nigériane) qui composent la région où le Niger étend son delta. Dans les creeks (lacis des multiples bras du fleuve et de rivières), deux dizaines de vedettes armées des forces de sécurité cherchent les embarcations du MEND et de ses groupes affiliés. Sur terre, un bon millier d'hommes de la JTF a entrepris un " ratissage au peigne fin " de la région pour détruire les camps des groupes armés du delta, selon le porte-parole de l'opération, le colonel Rabe Abubakar.
Depuis quelques jours, sont spécialement visées les zones abritant les membres du Federated Niger Delta Ijaw Communities (FNDIC), la faction du MEND opérant dans l'Etat du Delta. Son chef, Chief Government Ekpemupolo, dit " Tompolo ", est recherché, " mort ou vif ", par les forces gouvernementales, alors que les hommes du FNDIC ont tué onze soldats dans une embuscade.
Vendredi 22 mai, les hélicoptères gouvernementaux ont attaqué la région d'Oporoza, fief de " Tompolo ", mais aussi petite capitale du royaume de Gbaramatu. Un festival traditionnel y rassemblait des foules de l'ethnie Ijaw, qui ont subi tirs de mitrailleuse et roquettes, tout comme la région voisine du " camp numéro 5 ". Des groupes de centaines de soldats investissent la région. Le colonel Abubakar affirme que les troupes ont saisi de " grosses quantités d'armes et de munitions, incluant des armes antiaériennes, des mitrailleuses lourdes (GPMG), des lance-roquettes (RPG), des fusils traditionnels et des gris-gris ". Depuis, l'opération s'intensifie. Vendredi, des informations non confirmées faisaient état d'une possible extension des combats et des ratissages dans les Etats voisins, notamment le Bayelsa, majoritairement peuplé d'Ijaw.
Amnesty International estime que 20 000 personnes pourraient avoir été chassées de cette zone, et de nombreux villages incendiés. Selon l'organisation de défense des droits de l'homme, plusieurs centaines de personnes pourraient avoir été tuées ou blessées. Aucune source indépendante ne permet de vérifier ces chiffres, faute d'accès dans la zone, coupée du monde par les forces de sécurité.
Le MEND est apparu en décembre 2005 lorsqu'il a fait sauter un premier oléoduc. Depuis, une série de groupes armés entretenant des liens avec les responsables traditionnels et les hommes politiques s'est puissamment armée et opère dans le delta. Les factions du MEND participent à des opérations de bunkering, un détournement pur et simple de cargaisons de pétrole brut transportées clandestinement dans des raffineries d'Afrique de l'Ouest pour y être raffinées et réinjectées sur le marché régional. Le bunkering exige de solides relations, et la coopération apparemment contre-nature entre les militants armés du delta et les responsables politico-militaires. La contradiction n'est qu'apparente. Une partie des activités des groupes armés du delta, discrètement affiliés à des responsables politiques locaux, sert à amasser des fonds pour ces mêmes responsables.
Mais le MEND est aussi impliqué dans la lutte armée pour la défense des populations locales, demandant notamment que le pourcentage des recettes pétrolières nigérianes au niveau fédéral revenant à la région d'extraction passe de 17 % à 25 %, voire, selon les plus exigeants, à 50 %. Entre ses attaques contre les installations pétrolières, les sabotages d'oléoducs qui quadrillent la région, au besoin pour en pomper le contenu, la production de brut nigériane s'est effondrée. Cette baisse conjuguée de la production et du prix du brut, dans un contexte de crise politique intérieure liée aux interrogations sur l'état de santé du chef de l'Etat, a poussé les autorités centrales à lancer une offensive dans le delta. Lors de son élection en 2007, le président Umaru Yar'Adua avait défini le problème du delta comme l'une des " sept priorités " de son mandat. Depuis, les mesures prises tardent à se traduire par des effets perceptibles par les populations. Des organismes ont été créés, un ministère des affaires du delta a même été inauguré, mais ces structures sont plus engagées dans une compétition pour les ressources que pour changer la vie dans le delta.
Jean-Philippe Rémy
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