20 septembre 2008 | |
Russie et Europe se disputent les réserves de gaz nigérianes
| DANS la course au contrôle des gazoducs, la Russie a toujours un temps d'avance sur l'Union européenne (UE). C'était évident en Europe, où Gazprom pilote les projets Northstream (Russie-Allemagne) et Southstream (Russie-Autriche, Italie) avec l'appui de grands groupes industriels européens (E.ON, Eni, BASF...). Cela se confirme en Afrique, où le géant gazier proche du Kremlin vient de se rapprocher du Nigeria pour développer des projets communs, notamment participer au financement du gazoduc Trans-Saharan. Long de 4 300 km, il relierait le golfe de Guinée à la Méditerranée en traversant le Nigeria, le Niger et l'Algérie et pourrait entrer en service en 2016. Début septembre, Gazprom et la compagnie pétrolière nationale du Nigéria (NNPC) ont signé un protocole d'accord pour réaliser, dans le cadre d'une co-entreprise russo-nigériane, des projets communs : exploration-production de pétrole et de gaz, transport d'hydrocarbures, utilisation du gaz associé à la production de brut pour faire tourner des centrales électriques... Hasard de calendrier ? Une semaine après, une délégation européenne conduite par les commissaires au développement et à l'énergie, Louis Michel et Andris Piebalgs, se rendait à Abuja pour " approfondir " les relations Europe-Nigeria, notamment dans le secteur de l'énergie. L'UE est prête à aider le pays à développer ses abondantes ressources gazières et relancer un secteur énergétique qui va à vau-l'eau. Les Vingt-Sept pourraient, selon M. Piebalgs, fournir leur expertise, favoriser la coopération entre les trois pays de transit du gazoduc et apporter " beaucoup d'investissements réels ". Il indiquait que la Banque européenne d'investissement (BEI) pourrait cofinancer le projet. Le Nigeria possède 3 % des réserves mondiales de gaz (5 300 milliards de m3), ce qui le situe au septième rang mondial. " Le gazoduc transsaharien dort dans les tiroirs depuis quinze ans, souligne Philippe Copinschi, enseignant à Sciences-Po et spécialiste de l'énergie. Son gaz est largement sous-exploité, même si les usines de gaz naturel liquéfié se sont développées depuis dix ans. " Le gaz associé à la production de pétrole est même brûlé, et ce " torchage " a des retombées dramatiques sur la santé des riverains et le climat. La visite des commissaires européens est intervenue un mois après la guerre russo-géorgienne, qui a fait peser un gros risque sur l'acheminement du pétrole de la mer Caspienne vers l'Europe, réveillant la crainte d'une pénurie de pétrole et de gaz chez les Européens. Le rôle du Nigeria dans l'approvisionnement gazier du Vieux Continent en est sorti renforcé. D'autant que le volume de gaz importé en Europe doublera d'ici 2020 et que l'importation par pipeline augmentera de 50 %, le reste se faisant par méthaniers, prévoit le cabinet AT Kearney. Le financement du TransSaharan (environ 15 milliards d'euros) reste à trouver. Au coût s'ajoutent les risques politiques. L'instabilité est devenue chronique du Nigeria : depuis le début de 2006, attaques d'installations et enlèvements de salariés du secteur pétrolier ont fait perdre au pays près du quart de sa production de brut, le faisant rétrograder à la deuxième place des producteurs d'Afrique derrière l'Angola. Le Mouvement d'émancipation du delta du Niger (MEND) vient de déclarer la " guerre du pétrole " et de lancer une série d'attaques contre les oléoducs, les stations de pompage et les plates-formes de Shell. Le Nigeria n'est plus la chasse gardée des pays occidentaux qu'il était depuis que Shell avait pompé son premier baril d'or noir en 1958. Même si les majors occidentales (ExxonMobil, Chevron, Shell, Total, Eni...) y restent largement dominantes, elles devront faire de la place à leurs concurrentes russes, chinoises ou indiennes. Jean-Michel Bezat © Le Monde |
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