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SÉVERIN MILLET
| Lors du G20 de Londres, le 2 avril, les chefs d'Etat des grandes puissances économiques développées et émergentes de la planète vont essayer de s'entendre pour réformer le système financier et relancer l'économie. Leur agenda ne devrait-il pas aussi réexaminer un modèle économique à bout de souffle ? La sortie de la crise n'impose-t-elle pas de réintégrer dans le circuit les oubliés de l'économie, d'orienter les financements vers la satisfaction de leurs besoins et de s'inspirer d'expériences qui ont émergé ces dernières années : la microfinance, l'entreprise sociale, le commerce équitable, le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises... ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité que la crise " menace de devenir une crise humanitaire dans de nombreux pays en développement " si rien n'est fait pour les aider à protéger les plus vulnérables, a prévenu Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, le 12 février. Plus de 200 millions de personnes, selon l'Organisation internationale du travail (OIT), pourraient basculer dans la pauvreté. " La crise constitue la faillite d'une croissance fondée sur un niveau d'endettement toujours plus élevé dans les pays développés, captant l'épargne des pays émergents ", souligne Benoît Cougnaud, maître de conférences à Sciences Po et à l'Essec. Ainsi, suggère-t-il, les plans de relance en Europe pourraient servir " à réintégrer certaines des franges de notre société actuellement mises en marge du système économique - titulaires des minima sociaux, quartiers dégradés " et à soutenir la croissance " des pays émergents situés à la frange de l'Europe, notamment au Maghreb et à l'Est ", qui fournissent des opportunités d'activité par le rattrapage des niveaux de vie. Selon la théorie des rendements décroissants de l'économiste David Ricardo, l'argent orienté vers un même secteur - par exemple l'immobilier américain - finit par avoir une rentabilité déclinante. Mieux vaut donc choisir des territoires et des activités sous-investis. Car les bulles financières nées de la suraccumulation de capitaux finissent par imploser, détruisant massivement de la richesse. M. Cougnaud recommande donc des changements des normes prudentielles bancaires - et une fiscalité pénalisant les rendements excessifs produits par les bulles - afin de réorienter les financements vers l'économie réelle. La théorie de la " base de la pyramide " élaborée au début des années 2000 par Coimbatore Krishnarao Prahalad, professeur de stratégie d'entreprise à l'université du Michigan, a déjà posé la question de l'opportunité économique de satisfaire la demande des 4 milliards de personnes vivant avec moins de 1,5 dollar par jour. Pour M. Prahalad, le défi est de " vaincre la pauvreté grâce au profit ". " La première version de la "base de la pyramide" a pu être traduite par : nous, grandes entreprises, savons quels sont vos besoins, et nous allons les satisfaire ", par exemple en vendant des crèmes de beauté en emballage individuel, expliquent Bénédicte Faivre-Tavignot et Frédéric Dalsace, responsable et titulaire de la Chaire Social Business - Entreprise et Pauvreté à HEC. Mais le coauteur de la " base de la pyramide ", Stuart Hart, l'a ensuite perfectionnée " dans un sens plus participatif, en créant le "protocole base de la pyramide", qui est une approche à l'écoute des gens et des communautés locales, plus inductive, pour comprendre les besoins des populations ", expliquent-ils. Pour Laurent de Cherisey, ancien chef d'entreprise, auteur de Recherche volontaire pour changer le monde (Presses de la Renaissance, 2008, 406 pages, 21 euros), " la croissance économique - pour ne pas être fragile, voire factice -, doit procéder de la croissance de l'être humain. Si les marchés occidentaux semblent saturés, deux tiers du monde restent à "conquérir" au bénéfice de la dignité humaine. " Cela implique une nouvelle approche : " L'entreprise ne doit pas se demander à quel prix elle peut vendre son produit, mais à quel prix les plus démunis peuvent l'acheter... ", et mettre en place les financements appropriés, comme des microcrédits, explique-t-il en citant une expérience d'électrification rurale par panneaux solaires au Brésil. De nouveaux outils comme la microfinance, portée par le Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus - créateur de la Grameen Bank au Bangladesh en 1976 - ont en effet émergé : elle touche aujourd'hui 150 millions de clients dans le monde. Le social business (entreprise sociale) que M. Yunus promeut en même temps - et qu'il a décliné au Bangladesh avec ses filiales Grameen Phone (téléphone mobile), Grameen Energy (électricité) ou en partenariat avec Danone dans la production de yaourts -, est basé sur le principe : " no loss, no dividend " (ni pertes ni dividendes) mais un résultat social pour la collectivité. Créé en 1980 en Inde, le réseau mondial Ashoka compte aussi plus de 2 000 entrepreneurs sociaux dans le monde. Les esprits changent. Près de 200 grands groupes privés dans le monde sont aussi impliqués dans des social business, selon M. de Cherisey. " Le secteur lucratif peut s'inspirer pour lui-même des innovations sociales et sociétales et adopter de meilleures pratiques, souligne Thierry Sibieude, titulaire de la chaire d'entrepreneuriat social à l'Essec : dans la façon de considérer l'individu, la prise en compte des légitimités de toutes les parties prenantes de l'entreprise, l'ancrage local et territorial très fort de ses entités, la remise en cause de certains écarts de rémunérations qui ne veulent rien dire. " Franck Riboud, PDG de Danone, écrivait le 3 mars dans Le Monde que la conception de l'entreprise ayant " pour seule finalité " de maximiser le profit de l'actionnaire " nous a menés dans l'impasse ". M. Riboud proposera aux actionnaires de Danone que l'entreprise finance " un fonds de dotation consacré au développement et au renforcement de notre écosystème ", doté de 100 millions d'euros et abondé chaque année par 1 % du bénéfice net, pour soutenir des initiatives près de ses sites. Le marasme économique rend en effet urgent d'accélérer " la propagation virale des règles du jeu de l'entrepreneuriat social à l'ensemble de l'économie ", juge Arnaud Mourot, directeur général d'Ashoka-France. Il recommande d'en faire une priorité dans l'Hexagone : " Dans tous les pays en développement, mais aussi développés comme les Etats-Unis d'Obama, on mise dessus ! " Et ainsi de revoir les statuts des organisations, qui doivent pouvoir être hybrides - lucratif et non-lucratif -, l'évaluation des impacts des activités des entreprises, le partage des richesses... Maria Nowak, présidente fondatrice de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), souligne de son côté l'apport récent du statut simplifié d'auto-entrepreneur pour le développement des microentreprises en France : " L'entrepreneuriat populaire est un gisement d'emplois fabuleux parce qu'il repose sur la créativité de tous les acteurs économiques. Il suffit de leur ouvrir accès au crédit et à un accompagnement approprié, pour qu'ils créent leur propre emploi. Si le travail indépendant n'est pas la seule solution, on estime qu'il pourrait résorber 10 % du chômage. " Les nouvelles pistes de croissance durable commencent à ouvrir une voie alternative et à diffuser leurs bonnes pratiques. En se développant, elles devront cependant éviter de devenir un simple outil de communication des entreprises, d'être récupérées seulement en apparence, voire d'être détournées. Muhammad Yunus a régulièrement mis en garde contre la commercialisation du microcrédit par des organismes peu soucieux de sa mission sociale. Ces nouveaux outils devront aussi être complétés. A côté de la microfinance, la mésofinance commence à se développer pour aider les microentreprises à grandir, avec des financements supplémentaires. Mais il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que de tels modèles prennent tout leur poids dans l'économie mondiale. Adrien de Triconot © Le Monde |
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