Note de lecture
par Michel Griffon
Un rapport de Nicolas Stern
A la demande du gouvernement britannique, Nicolas Stern, ancien chief economist de la Banque mondiale, a publié un rapport dont la presse a beaucoup parlé [1]. Ce n’est pas la première fois que le changement climatique fait la une de la presse, mais cette fois on annonce un chiffrage du coût du changement climatique : 7 500 milliards de dollars. Pour être précis, ce serait le coût de l’inaction. Dès que l’on traduit en coût un problème environnemental, quelle que soit la méthode de calcul, le problème dont il est question acquiert immédiatement une nouvelle crédibilité ; il quitte le domaine des inquiétudes que génèrent de manière répétée les scientifiques pour aller vers celui, plus sensible, du portefeuille. Les gouvernements sont enfin incités à prendre les choses beaucoup plus au sérieux que lors de la négociation du protocole de Kyoto. Cette constatation fataliste amenait d’ailleurs les participants au groupe de travail « biodiversité » de la Conférence pour une gouvernance écologique mondiale des 3 et 4 février à Paris voulue par le Président de la République, à souhaiter que l’on chiffre aussi le coût de l’inaction en matière de biodiversité afin de tenter de stopper ce que l’on appelle maintenant la sixième extinction des espèces dans l’histoire de la planète. Mais l’heure n’est pas à bouder le surcroît de crédibilité qu’apporte Nicolas Stern à l’énorme travail scientifique déjà réalisé par les nombreux chercheurs du Groupe intergouvernemental d’étude du climat (Giec) qui publie simultanément son quatrième rapport pour les décideurs. L’heure est donc à la mobilisation.
Mis à part quelques très rares scientifiques qui trouvent facilement des colonnes dans la presse pour jeter le doute sur les travaux d’une très grande majorité de leurs collègues, l’opinion est maintenant acquise à l’idée que le changement climatique est quasi certain et dangereux car le faisceau des preuves est accablant. Une majorité de gouvernements en est maintenant convaincue. Résistent encore ceux dont les intérêts sont directement liés à l’utilisation du pétrole, ce qui est d’ailleurs peu compréhensible car la rareté du pétrole leur assure pendant des décennies des prix élevés et la possibilité d’investir dans des énergies alternatives, source d’autres profits. Résistent aussi les pays septentrionaux comme la Russie et le Canada qui gagneraient au changement climatique car ils verraient progresser leurs exportations agricoles dans un monde dont l’alimentation serait vulnérabilisée par les sécheresses et les fortes pluies.
Le rapport de Nicolas Stern, en s’appuyant sur des modèles de simulation, évalue le coût de l’inaction qu’il compare au coût d’une action rapide et immédiate. Si l’on ne réagissait pas, les coûts seraient équivalents à la perte d’au moins 5% du Pib mondial chaque année et ceci irréversiblement. Des estimations faisant une place plus grande aux risques chiffrent même les estimations des dommages au montant cataclysmique de 20% du Pib ou plus. En revanche, le coût de l’action à entreprendre pour éviter les pires conséquences du changement climatique peuvent se limiter à environ 1% du Pib mondial chaque année.
Il y a donc urgence à entreprendre des actions. Les investissements qui seraient consentis dans les deux décennies à venir auraient un effet important pour limiter les effets climatiques dans la seconde moitié de ce siècle et du siècle suivant. Ainsi, de manière tangible, notre génération a-t-elle directement la responsabilité d’une grande partie du bien-être des deux générations suivantes. Jamais la définition du développement durable (un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs) n’aura revêtu autant de sens concret : il dépend donc de nous, aujourd’hui, de financer les dépenses nécessaires pour laisser un monde viable à nos propres enfants et petits enfants.
Mais engager une telle action n’est pas simple. Il faut qu’il y ait au sein des sociétés et au sein de la communauté internationale des Etats une vision partagée des objectifs à atteindre et des moyens de les réaliser. Or tous les pays et toutes les catégories sociales ne sont pas égaux face au risque : certaines îles du Pacifique ou des deltas de grands fleuves d’Asie sont déjà menacés dans leur existence même en raison de la montée des eaux ; certaines régions seront plus soumises aux pluies et cyclones que d’autres, ou seront plus sous l’effet des sécheresses que d’autres. De même, tous les pays et catégories de populations ne contribuent pas également à l’émission des gaz à effet de serre, et les coûts nécessaires pour entreprendre les mesures qui s’imposent ne sont pas répartis de manière égale autour du globe.
Face à cette complexité, Nicolas Stern propose quatre clés pour la négociation des cadres internationaux permettant de gérer à temps compté la décroissance des gaz à effet de serre dans l’atmosphère :
-conforter le marché des droits d’émission (rappelons qu’il s’agit de réduire le niveau des droits d’émissions en donnant la possibilité d’acheter et de vendre des droits d’émission) ;
-entreprendre une coopération internationale sur les technologies et les normes ;
-réduire la déforestation, en particulier dans les pays où s’étendent les terres cultivées ;
-adapter les économies et les sociétés les plus pauvres au changement par l’aide publique au développement.
Ce rapport constitue donc un élément moteur important dans la dynamique internationale qui se développe pour lutter efficacement contre l’effet de serre. Une fois de plus, un rapport d’expert alerte la communauté internationale. Pourtant, celle-ci a beaucoup de mal à se structurer, même si elle se trouve face à un danger collectif mondial immense et inédit.
Michel Griffon
10 février 2007
Notes
1 . On trouve aussi ce rapport en cherchant stern review sur un moteur de recherche. Un résumé exécutif est disponible.
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