Mon cher Barack,
Les commentateurs n’ont pas compris ton prix Nobel de la paix. C’était drôle : on aurait dit des poules devant une brosse à dents. Mais toi, tu es intelligent, tu as compris. Ce n’est certes pas pour tes réalisations que le jury d’Oslo t’a décerné le prix : tu patauges en Afghanistan, le sac de noeuds iranien te reste insaisissable, tu laisses faire la colonisation israélienne, tu plies sur les droits de l’homme - non, cela n’est pas brillant, président.
Alors quoi ? Le communiqué du Nobel, quoique ciselé en langue de bois, laissait transparaître le propos à qui voulait sortir des sentiers battus. Toi, tu as saisi, évoquant dans ton discours du 9 octobre d’abord le désarmement nucléaire, puis le changement climatique. Eh oui ! Le climat !
Aurait-on oublié le prix Nobel de la paix de 2007 ? Il avait couronné Al Gore et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui sonne l’alarme à grands sons de trompe. Pourquoi ? Parce que les jurés d’Oslo savent que le changement climatique est source de guerres. Et toi aussi, tu le sais, parce que le rapport du National Intelligence Council, en novembre 2008 (Global Trends 2025), plaçait les ressources naturelles, le pic pétrolier et le changement climatique au premier rang des problèmes à venir de sécurité nationale, parce que ton directeur pour l’information stratégique, Dennis Blair, l’a dit dès février devant le Sénat, parce que la CIA a ouvert le 25 septembre le Centre sur le changement climatique et la sécurité nationale.
"Dans les situations de stress écologique, la guerre pourrait devenir le moyen ultime de redistribuer des ressources en diminution", résumaient des chercheurs dans la revue Human Ecology en juillet 2007. Des guerres suscitées par la dégradation de l’environnement ? Tu l’appréhendes, les jurés d’Oslo l’appréhendent, et nous sommes de plus en plus nombreux à l’appréhender. Barack, tu n’as pas le temps de lire, mais fais-toi faire une note sur le livre d’un psycho-sociologue allemand, Harald Welzer, Les Guerres du climat (Gallimard) : il démontre avec une froideur étincelante que guerre et paix vont maintenant se jouer autour des conséquences de la crise écologique, il prévoit que la guerre viendra si nous ne parvenons pas à enrayer la course à la dégradation de la biosphère et l’inégalité dans la distribution des ressources naturelles.
Les jurés t’ont décerné le Nobel de la paix pour que tu viennes à Copenhague, lors de la conférence mondiale sur le climat. Recevant le prix à Oslo, le 10 décembre, tu seras moralement obligé d’aller à Copenhague dans la foulée, et de signer l’accord. Les jurés d’Oslo t’invitent à forcer ta nature de compromis, à bousculer l’opinion de ton pays. Ils pensent que la paix du monde dans les décennies à venir va se jouer là, à Copenhague, et que les Etats-Unis, donc toi, en détiennent la clé.
Hervé Kempf - 18 octobre 2009
Source : Cet article est paru dans Le Monde du 18-19 octobre 2009.
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