5 juillet 2009 | . |
Affecté par une grave sécheresse, le pays accuse la Turquie de " l'assoiffer délibérément "
REPORTAGE Un nouveau malheur est en train de s'abattre sur l'Irak. Après la dictature, les conflits, l'embargo, l'invasion, l'occupation, la guerre civile et les millions de morts que tous ces fléaux ont provoqué depuis trente ans sur ce pays jadis prospère, les 25 millions d'Irakiens doivent faire face à une nouvelle plaie d'une ampleur sans précédent : le manque d'eau. Dans le sud, berceau de la grande civilisation disparue de Sumer, des hordes de serpents quittent les marais en voie d'assèchement et commencent à s'aventurer près des habitations. Les populations de Dhi-Qar et dans les villages autour de Nassariyah et des marais d'Al-Hammar, on fait le guet jour et nuit pour protéger les vaches, les buffles et parfois les enfants. Au centre, naguère fertile, du pays, entre Bagdad, Kerbala, Nadjaf et Kut, des milliers de paysans fondent de plus en plus souvent sur les villes, pour fuir la misère et s'y instaler. Ou pour manifester leur colère contre des autorités jugées " imprévoyantes ". En trente ans, selon le ministère de l'agriculture, les surfaces cultivables dont dépendent environ 30 % des Irakiens, ont diminué de 40 %. Le désert, qui couvre déjà 60 % du pays, gagne du terrain. Dans cette région, " les surfaces cultivées ont diminué de près de moitié cette année ", s'alarme Abdel Latif Rachid, le ministre des ressources hydrauliques. Et si cela " continue ainsi, ajoute Hassan Janabi, représentant permanent de l'Irak auprès de la FAO, la sécurité alimentaire nationale va s'en trouver gravement affectée ". Selon les Nations unies, près de un million d'Irakiens vivent déjà dans une insécurité alimentaire permanente. Plus de six millions d'autres dépendent des distributions gouvernementales de riz, farine, sucre et huile. Les raisons de ces malheurs au " Pays d'entre les deux rivières " - traduction de Mésopotamie, l'ancien nom de l'Irak en grec ancien - tiennent bien sûr aux conflits et à l'absence d'un système de gestion publique adéquate des réserves. Mais aussi à une sécheresse " d'une sévérité sans précédent depuis plus de trois ans ", selon le ministre. Dépendant des pluies, le nord montagneux du pays (Kurdistan et alentour) souffre d'une absence quasi-totale de bassins de réserve et de canaux d'irrigation. Le Tigre et l'Euphrate, qui rendaient la vie possible depuis des millénaires dans les plaines surchauffées du pays, ont perdu 30 à 50 % de leur niveau en vingt ans. " Les réserves totales accumulées grâce aux six grands barrages irakiens, relève M. Janabi, sont passées de 40 milliards de m3 en 2006, à 10 milliards aujourd'hui. " En Irak, le flot de l'Euphrate a diminué des trois quarts en dix ans. Le seul grand barrage d'Haditha contenait 8 milliards de m3 en 2007, moins de 1,5 milliard à présent. " Son niveau continue de diminuer d'environ 5 centimètres par jour ! " s'alarme le diplomate irakien. A la fin de l'an dernier, trois mille agriculteurs se sont réunis à Nadjaf pour supplier Allah de leur envoyer de l'eau. Plus réaliste, le gouvernement multiplie l'envoi d'émissaires en Turquie, là où les deux fleuves prennent leur source. " Nous demandons régulièrement à Ankara de laisser couler les eaux de l'Euphrate à un rythme d'au moins 500 m3 par seconde vers l'Irak, confie le ministre. Pour l'instant, et depuis plusieurs années, nous en recevons moins de la moitié. " De 1925 à 1973, l'Irak recevait 958 m3/seconde. L'édification, depuis 1975, de cinq barrages turcs sur ce fleuve et de deux autres en Syrie, sur le même cours d'eau, empêche l'Irak de recevoir ce que le pays considère comme son dû. " Les Turcs nous assoiffent délibérément ! ", s'indigne l'un des parlementaires irakiens qui ont voté, le 12 mai dernier à Bagdad, une résolution interdisant dorénavant au gouvernement de signer quelque accord que ce soit - commercial ou stratégique - avec Ankara " tant que la Turquie ne nous garantira pas une part plus juste des eaux ". Des élus turcs ont répliqué en suggérant que puisque l'Irak vend son " or noir ", il n'y avait pas de raison qu'Ankara ne commerce pas son " or blanc. " La tension monte entre les deux voisins. Faute d'une législation internationale qui permette un partage équitable des ressources, le pouvoir irakien a rejeté la motion parlementaire et préfère s'en remettre à la diplomatie. L'Irak et la Syrie veulent négocier un accord permanent, la Turquie fait la sourde oreille. Patrice Claude. © Le Monde |
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