SI RIEN N'EST FAIT, les émeutes liées à la flambée des prix alimentaires vont s'étendre dans le monde. " La vérité, c'est que, déjà, des gens meurent dans ces émeutes (...) Mais ils ne se laisseront pas mourir sans rien faire. Ils réagiront ", a prévenu, vendredi 11 avril à Rome, le directeur général de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), Jacques Diouf.
De fait, confrontés à la flambée des cours (ceux du blé et du riz ont doublé en une année), les réactions violentes se multiplient et menacent la stabilité de dizaines de régimes par ailleurs souvent contestés, en particulier en Afrique. Des troubles ont éclaté récemment à Haïti, au Cameroun, au Mexique... La liste des pays touchés est longue. La FAO a recensé une trentaine de pays pour lesquels la hausse des prix alimentaires est dramatique. Sur ce total, près d'un pays sur trois est confronté à des problèmes politiques (guerre civile, insécurité générale).
Les raisons de la crise.
La production de céréales a augmenté en 2007 malgré des conditions climatiques défavorables, et elle augmentera encore cette année de 2,6 %, selon les prévisions de la FAO. Celle de blé atteindra même un chiffre record en 2008. La crise actuelle ne vient pas d'une diminution de l'offre, mais d'une croissance de la demande plus forte que prévue. Les stocks de céréales ne peuvent pas se reconstituer. Ils sont à leur plus bas niveau depuis un quart de siècle.
La spéculation internationale avive les tensions tout comme la hausse des prix du pétrole qui pèse sur les coûts du transport. Résultat, en une année, la facture céréalière des pays importateurs a crû de 56 %.
Les experts savaient que la croissance démographique mondiale allait entraîner une hausse de la demande. En revanche, ils n'ont pas bien anticipé l'ampleur et la rapidité des changements des habitudes alimentaires. " Le plus surprenant, c'est l'explosion de la demande des pays émergents comme la Chine et l'Inde. Elle se rapproche des standards internationaux avec une consommation de viande et de lait en hausse ", explique le secrétaire général du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam), Bertrand Hervieu. Cette demande supplémentaire accroît, elle aussi, les besoins en céréales destinés à nourrir le bétail.
Pour se prémunir contre les risques de pénurie, les pays importateurs négocient directement des accords bilatéraux. La Libye est sur le point d'en conclure un avec l'Ukraine qui lui garantira que 100 000 hectares seront réservés à produire des céréales destinées à Tripoli. L'Inde, qui souffre d'un déficit céréalier depuis deux ans, en négocie un avec le Kazakhstan. Celui signé entre L'Egype et la Syrie est d'un type différent : en échange de riz égyptien, Damas fournira du blé au Caire.
La concurrence des agrocarburants.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) dénonce régulièrement le rôle des agrocarburants dont le développement se fait, dans certains pays, au détriment des cultures à vocation alimentaire ou fourragère. Pas moins de 100 millions de tonnes de céréales sont utilisées chaque année pour la fabrication d'éthanol ou de bio-diesel. Aux Etats-Unis, le cours du maïs évolue de plus en plus comme celui du pétrole brut.
Pour faire face à l'augmentation des cours du pétrole - et à l'épuisement des gisements -, les pays en développement sont de plus en plus nombreux à tabler sur la production d'agrocarburants. Même le Sénégal s'est lancé dans la course alors qu'il connaît un déficit alimentaire chronique. Les Philippines, théâtre récent d'émeutes de la faim, se sont fixées pour objectif d'intégrer 5 % d'éthanol à l'essence ordinaire en 2009. Ce qui suppose d'étendre les surfaces de canne à sucre dédiées à cet usage.
Le pari fait sur les agrocarburants est ainsi remis en question à l'aune de la sécurité alimentaire. Les industriels de la filière promettent une seconde génération d'agrocarburants produits à partir de plantes entières qui ne concurrenceraient plus directement les cultures alimentaires. Mais elle ne verra pas le jour, à dimension industrielle, avant une dizaine d'années.
Les OGM, une réponse à la crise alimentaire ?
A court terme, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ne peuvent pas aider à résoudre la crise alimentaire. Les cultures en sont en effet concentrées aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil et en Argentine, et il s'agit essentiellement de soja et de maïs destinés à l'alimentation animale. Les firmes promouvant les OGM n'ont pas cherché à développer des variétés adaptées aux pays tropicaux affectés par l'insécurité alimentaire. Ils ne constituent pas pour elles des marchés intéressants.
A moyen terme, l'utilité des OGM est incertaine. Ils relèvent d'un système d'agriculture industrielle qui nécessite des investissements hors de portée des petits paysans. La productivité de ces agriculteurs pourrait augmenter si leur accès aux marchés était facilité et s'ils disposaient de davantage d'outils et d'engrais.
Des politiques agricoles tournées vers le soutien aux petits paysans sont aujourd'hui jugées plus prioritaires que la résolution de problèmes techniques. Enfin, si l'importance du progrès agronomique est évidente sur le long terme, les experts rappellent qu'ils ne se limitent pas aux OGM. D'autres biotechnologies ont un rôle essentiel à jouer tandis que l'agroécologie est un domaine de recherche en plein essor.
Jean-Pierre Tuquoi (avec Laurence Caramel, Laetitia Clavreul, Hervé Kempf)
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