| illustration Devis Grebu Lorsqu'il s'agit d'expliquer les crises qui secouent l'Afrique, le facteur ethnique est régulièrement mis en avant. On l'a vu à propos du Kenya, de la Côte d'Ivoire ou du Rwanda. Est-ce la bonne clé pour comprendre l'Afrique contemporaine ? Christian Coulon : Absolument pas. L'ethnicité, ou l'analyse par le prisme ethnique, est une vision immédiate qui satisfait une partie de l'opinion occidentale car elle renvoie à une image de l'Afrique sinon primitive, du moins en retard. C'est l'explication la plus facile, celle qui demande le moins d'efforts. René Otayek : Il ne faut pas privilégier cette clé mais il ne faut pas l'ignorer non plus. L'ethnicité est à considérer comme une dimension parmi d'autres, une construction historique en constante transformation, et à articuler avec les facteurs politiques, économiques, culturels.
R. O. : C'est vrai, mais je vois l'explication par le tout ethnique comme le fruit d'une paresse intellectuelle, voire pire. Le mettre en avant, c'est se couler dans le moule d'une Afrique mystérieuse, le continent des ténèbres, des identités primordiales. C'est une grille d'analyse indissociable d'une vision misérabiliste, primitiviste et archaïque de l'Afrique. La colonisation a-t-elle instrumentalisé le facteur ethnique ? Tous les colonisateurs ont agi ainsi ? R. O. : Au Rwanda aussi, les colonisateurs belges sont allés très loin dans la création des stéréotypes ethniques. Ils expliquaient que les Tutsi, d'origine nilotique, étaient plus intelligents que les Hutu, d'origine bantou, présentés comme petits et râblés, les traits grossiers, plus sombres de peau. On a rarement été aussi loin dans la codification ethnique et c'est évident que cela a laissé des traces profondes dans le Rwanda postcolonial. C. C. : Le comportement des Français n'a pas été différent. Dans les pays islamisés d'Afrique, comme le Sénégal ou la Mauritanie, les administrateurs coloniaux avaient un préjugé favorable à l'égard des musulmans parce que ces derniers avaient une langue écrite, une tenue vestimentaire qui impressionnait, qu'ils s'adonnaient au commerce, activité perçue comme un signe d'ouverture. L'administration française comme son homologue anglo-saxonne ont essayé de s'appuyer sur les musulmans via les marabouts et les imams. La fin de la période coloniale n'a pas mis fin aux identités ethniques. C'est même le contraire qui s'est produit... Mais, aujourd'hui, la démocratie s'installe en Afrique, et pourtant la question ethnique demeure. R.O. : Nous avons affaire à des pays qui sortent de trente années d'autoritarisme et de répression de la dissidence. Les partis politiques qui ont émergé à la faveur des démocratisations ont un apprentissage à faire. C'est encore plus vrai pour les partis d'opposition dépourvus de cadres, souvent de militants, et dont les moyens financiers sont dérisoires. Comment expliquer que la corde ethnique soit si facile à faire vibrer ? C. C. : Je crois qu'en Afrique les identités fonctionnent comme un moyen d'accéder aux ressources de l'Etat. Dans la mesure où les Etats sont souvent faibles, disposant de ressources limitées, une des façons de partager le " gâteau national " c'est de se regrouper dans des structures de type ethnique, clientélistes par nature, qui permettent d'avoir accès à l'Etat. C'est une façon de gérer la rareté. Chaque individu a besoin d'identité qu'elle soit politique, religieuse ou ethnique. Or dans les sociétés africaines, les identités ethniques appartiennent à un horizon défini, bien identifié, qui les rendent attractives. C'est ce qui me fait penser que les progrès de la démocratie ne vont pas entraîner une dilution de l'ethnicité. Vous ne pensez donc pas que l'ethnicité va se dissoudre avec les progrès de la démocratie ? Croyez-vous que l'ethnicité puisse être un atout pour l'Afrique ? R. O. : La question centrale est donc celle du partage du pouvoir. Il peut être gravé dans le marbre, sous forme d'une régionalisation ou d'un Etat fédéral (comme au Nigeria) ou pratiqué au jour le jour en l'absence de texte. C'est ce que faisait Houphouët-Boigny en Côte d'Ivoire avec sa politique, certes clientéliste, d'équilibre régional. Le pays n'était pas une démocratie mais le pouvoir savait associer les différentes ethnies. On ne peut pas faire comme si les ethnies n'existaient pas, laisser croire qu'elles sont la marque de sociétés particulières a-historiques. Le but ultime est de faire émerger une identité nationale dans le respect des identités particulières. Propos recueillis par Jean-Pierre Tuquoi Le premier est directeur du Centre d'étude d'Afrique noire (CEAN) de Sciences Po Bordeaux, le second est chercheur au CEAN. © Le Monde |
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29/03/2008
En Afrique, la question ethnique a été manipulé
En Afrique, la question ethnique
Au Rwanda, en Côte d'Ivoire ou tout récemment au Kenya, les affrontements ethniques semblent être une malédiction africaine. Schéma simple mais trompeur : les ethnies sont un aspect de la lutte pour le pouvoir et les ressources rares
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