04/06/2012

Il faut aider les Africains à sauver le Mali



5 juin 2012

Editorial

C'était dans la dernière décennie du siècle précédent, il n'y a pas si longtemps. Le Mali, cet immense pays de l'Afrique sahélienne, donnait l'exemple. Il vivait une vraie démocratie. Ses présidents élus à la loyale quittaient le pouvoir à l'issue de leur mandat, tout aussi loyalement.
Le pays est pauvre. L'indice de développement de l'ONU le place parmi les plus dépourvus de la planète. Mais il ne manquait pas d'atouts. Il s'y pratiquait un islam tolérant. Un fort sentiment national transcendait une grande multiplicité ethnique - Mandé, Soninké, Peul, Sonhraï, Touareg et Maures. La fierté malienne, ce n'était pas qu'une expression pour guides de tourisme.
Aujourd'hui, le Mali est en voie de " somalisation ". C'est un Etat en passe d'éclater : pouvoir central chancelant ; territoire coupé en deux ; guerre civile, voire religieuse, menaçante. Chaque jour qui passe accentue la décomposition du pays. Ce n'est pas seulement une tragédie locale : toute l'Afrique sahélienne se trouve menacée de déstabilisation.
Ce week-end, le président de l'Union africaine (UA), le Béninois Thomas Boni Yayi, a lancé un nouveau cri d'alarme. Il somme le Conseil de sécurité de l'ONU de se réunir d'urgence. Il réclame un feu vert des Nations unies pour la mise sur pied d'une force africaine d'intervention. Il veut une ingérence militaire afin de sauver le Mali avant qu'il ne soit trop tard.
Il a raison. La confusion règne, au sud comme au nord du pays. Depuis deux mois, le Mali est coupé en deux. A la faveur d'un coup d'Etat qui a renversé fin mars le président élu, une rébellion de Touareg et d'islamistes s'est emparée du nord du pays.
Regroupée dans le Mouvement national de libération de l'Azawad, la rébellion touareg veut un Etat indépendant. Elle a chassé l'armée malienne de la région avec l'aide des djihadistes de l'organisation Ansar Eddine, alliée d'Al-Qaida. Celle-ci entend créer dans le Nord malien un Etat indépendant, certes, mais islamiste aussi, où la charia s'imposerait de façon la plus brutale et la plus intransigeante. Une partie des Touareg ne seraient pas d'accord, et seraient prêts à s'opposer à Ansar Eddine.
Au sud, dans la capitale, Bamako, c'est aussi la confusion. Après son coup de force du 22 mars, le chef des putschistes, le capitaine Amadou Haya Sanogo, avait accepté de rendre le pouvoir aux civils. Grâce à une médiation régionale, un " président de transition ", Dioncounda Traoré, qui présidait l'Assemblée nationale, a été désigné. Il disposait d'une année pour préparer des élections. Le malheureux a dû se réfugier en France après s'être fait molester par des proches du chef des putschistes.
Toute la ceinture de l'Afrique sahélienne est menacée par les événements du Mali. Pour les Africains comme pour l'Europe, la perspective de l'installation durable d'Al-Qaida est un cauchemar stratégique. Les Africains et leurs organisations régionales sont décidés à intervenir. Militairement s'il le faut. Ils prennent pleinement leurs responsabilités. Il faut les aider, d'urgence. 

L'alliance avec les djihadist


Des rebelles d'Ansar Eddine patrouillent dans les rues de Tombouctou (nord du Mali), le 3 avril.
AFP
Les dirigeants à l'étranger du Mouveme




Six mois de rébellion au nord du Mali
17 janvier Début de la rébellion touareg au nord du Mali. En quelques semaines, les combattants du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) conquièrent les postes militaires maliens, avec l'appui d'Ansar Eddine et d'Al-Qaida au Maghreb islamique.
Février-mars Les groupes islamistes armés s'imposent sur le terrain. Des milliers de réfugiés affluent aux frontières.
22 mars Un coup d'Etat militaire à Bamako chasse du pouvoir le président malien, Amadou Toumani Touré (ATT).
1er avril Gao et Tombouctou sont aux mains des rebelles.
6 avril Le MNLA proclame l'indépendance de l'Azawad,
non reconnue par la communauté internationale.
Le Mali est coupé en deux.

Des rebelles d'Ansar Eddine patrouillent dans les rues de Tombouctou (nord du Mali), le 3 avril.
AFP
La rébellion touareg est au bord de l'éclatement depuis la proclamation d'un Etat islamique dans le nord du Mali et l'annonce d'une fusion entre le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), qui se veut indépendantiste et laïque, et le groupe islamiste Ansar Eddine, proche d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
A peine signé le 26 mai, l'accord a été dénoncé par une partie des cadres du MNLA installés en Mauritanie ou en France, tandis que d'autres, sur place au Nord-Mali, dont le secrétaire général du mouvement, Bilal Ag Cherif, ont repris, samedi 2 juin, les discussions avec Ansar Eddine. Depuis le 6 avril, date de la déclaration unilatérale de l'indépendance du territoire touareg, l'Azawad, deux semaines après un coup d'Etat militaire à Bamako, le Mali est coupé en deux.
Rompu, l'accord entre les frères ennemis du MNLA et d'Ansar Eddine n'a jamais été rendu public. Le texte, parvenu au Monde, comporte deux parties : la première est un " protocole d'entente " de deux pages qui annonce, précédée d'un verset du Coran, la création d'un " Conseil transitoire de l'Etat islamique de l'Azawad " (CTEIA).
Signé à Gao le 26 mai - le 5 Rajab 1433 selon le calendrier islamique -, par le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Cherif, et par un représentant d'Iyad Ag Ghali - le chef d'Ansar Dine -, Alghabass Ag Intalla, ce protocole réaffirme l'attachement à l'indépendance de l'Azawad à travers l'instauration d'un Etat islamique " qui doit appliquer la législation islamique dans tous les domaines de la vie, basée sur le Coran et la Sunna ", et la constitution d'une " armée unifiée ". " Tout désaccord avec l'un des principes fondamentaux de la religion " est source d'abrogation, est-il précisé.
Le deuxième document de 12 pages daté de Gao le 25 mai, baptisé " Cadre institutionnel et réglementaire provisoire des instances de l'Etat islamique de l'Azawad ", entre dans les détails. Il stipule que le CTEIA formé par 40 membres (20 du MNLA, 20 d'Ansar Eddine) est supervisé par un Conseil de choura, composé d'oulémas et de notables, à qui revient le dernier mot en cas de désaccord.
Le CTEIA lui-même est une sorte de gouvernement de 19 membres, avec un président, deux vice-présidents et 16 " chargés d'affaire " dans tous les domaines (défense, finances, sécurité, justice, santé, éducation...). Le président, dont il n'est pas précisé le nom, est le chef des armées et a notamment " pour mission principale la conservation de la religion " et " l'application de la législation islamique ".
Le responsable de la justice applique la charia et " met en place la hisba ", la police islamique, tandis que le chargé des affaires religieuses veille aux mosquées et aux prédications. Pour faire partie de ce gouvernement, quelques critères ont été établis : il faut être un " croyant pratiquant " originaire de l'Azawad, et savoir lire en arabe... et en Français.
La réaction a été immédiate. Le 30 mai, réunis dans une coordination des cadres de l'Azawad, plusieurs responsables du MNLA ont rejeté tout net l'accord. " Au regard de la posture fondamentaliste, particulièrement celle du djihadisme salafiste prônée par Ansar Eddine, inconciliable avec la ligne politique du MNLA (...) et compte tenu de la forte imbrication avérée entre AQMI et Ansar Eddine, les cadres, notables et oulémas de l'Azawad (...) expriment catégoriquement leur désapprobation ", écrit leur porte-parole, Habaye Ag Mohamed. Les contestataires invitent dans la foulée le MNLA " à assumer pleinement ses responsabilités en rompant sans délai " avec l'accord.
Le même jour, de Nouakchott, en Mauritanie, où elle est installée depuis quelques mois avec une partie de la direction du MNLA, Nina Walet Intalou, seule femme membre du bureau exécutif, s'y est, elle aussi, vivement opposée. " Malgré ce que disent les médias internationaux, le MNLA n'a pas dévié de la ligne de conduite qui est la sienne, écrit-elle dans une lettre ouverte. Tout comme beaucoup de membres du MNLA, je rejette catégoriquement cet accord, car éviter une guerre tribale et fratricide dans l'Azawad ne doit pas être synonyme de l'acceptation d'un diktat imposé par des groupes obscurantistes. "
La dirigeante touareg en appelle à la communauté internationale qui ne " peut plus se permettre de rester en spectateur " face à " un ennemi commun ". " La jeune république de l'Azawad, poursuit-elle, ne peut pas seule faire face au monstre du terrorisme alors que les Etats ouest et nord-africains ont été incapables de le combattre pendant une dizaine d'années. "
Autre dirigeant a avoir pris ses distances, Hamma Ag Mahmoud a transmis, au nom du bureau politique, un texte dans lequel il consomme la rupture " devant l'intransigeance d'Ansar Eddine sur l'application de la charia ". Dans le nord du Mali, la situation paraît cependant moins tranchée. Une partie des troupes du MNLA a combattu avec celles d'Ansar Eddine pour conquérir des villes comme Tombouctou avant d'en être écartées. Et l'histoire de la rébellion touareg est jalonnée de scissions Le chef d'Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, est lui-même l'un de ses anciens leaders dans les années 1990.
Divisé, le mouvement touareg tente aujourd'hui d'éviter un nouvel éclatement. " Nous avons signé un accord avec nos frères qui étaient du côté d'Ansar Eddine, confie au Monde Nina Walet Intalou, en pensant qu'ils allaient quitter l'organisation terroriste. Nous avons accepté un Etat islamique démocratique en se disant que nous sommes déjà musulmans, mais les discussions et le document envoyé par Iyad Ag Ghali sont vraiment contraires aux objectifs du MNLA, à notre culture. En réalité, il voulait un Etat taliban. "
Isabelle Mandraud
© Le Monde

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