3 juin 2011
Une habitante de Patwapur finalise une opération bancaire en plaçant son pouce sur une machine biométrique.
Patwapur (Inde) Correspondant
Terminal biométrique en main, des correspondants bancaires sillonnent les villages indiens les plus reculés. Leur but : ouvrir un compte à chacun
Terminal biométrique en main, des correspondants bancaires sillonnent les villages indiens les plus reculés. Leur but : ouvrir un compte à chacun
Les habitants de Patwapur se souviennent encore du jour où un coffre-fort est arrivé dans leur petit village aux ruelles désertes, situé à quatre heures de Delhi. " On nous a expliqué que notre argent pouvait être placé en sécurité, autre part que sous un matelas ou une armoire, et qu'il rapporterait des intérêts ", se souvient Seema, une paysanne aux mains calleuses.
Autrefois réservées aux seuls citadins indiens, des banques, qui parfois ne prennent pas plus de place qu'un terminal électronique, font leur apparition dans les villages. A Patwapur, ceux qui travaillent dans la salle du coffre, vêtus de tee-shirt et de casquettes rouges, n'utilisent qu'un ordinateur relié à Internet ainsi qu'un appareil qui ressemble à un terminal à carte bancaire. Lorsqu'un client introduit sa carte et pose son doigt sur la machine, immédiatement identifié, il peut effectuer des transactions. Seules les opérations de retrait ou de dépôt d'argent sont pour l'instant autorisées.Les correspondants bancaires sont employés par la SEED, une organisation mandatée par la Punjab National Bank pour ouvrir des comptes dans les régions les plus reculées de l'Haryana, un Etat du nord du pays.
Le gouvernement a ordonné à toutes les banques d'étendre leur présence dans les villages de plus de 2 000 habitants, d'ici à mars 2012. Aujourd'hui, seuls 41 % des Indiens utilisent un compte, et 5 % des 600 000 villages possèdent une agence bancaire.
A Patwapur, ce sont surtout les femmes qui attendent d'être servies dans la salle du coffre-fort qui tient lieu de banque. " L'argent qu'on a chez soi, on le dépense. L'argent qu'on a sur un compte en banque, on l'épargne, et c'est surtout ça de moins dépensé par nos maris ", annonce fièrement Sudesh Dahiya, l'index posé sur la machine, et un billet équivalant à 1,50 euro serré dans l'autre main. Sa voisine approuve : " Certains hommes du village ont ouvert des comptes en ville, mais ce n'est que pour les grosses sommes. Cela prend du temps d'y aller et ça coûte cher en transport. Et ils sont les seuls à avoir le droit d'y aller. "
Le maire du village voisin, qui jure n'avoir touché à aucune roupie de subvention destinée à ses ouailles, attend avec impatience l'arrivée de comptes bancaires. " Aller chercher autant d'argent en espèce à des dizaines de kilomètres d'ici pour les redistribuer au village, c'est dangereux ! ", s'exclame Baburam Yadav.
Pour le gouvernement, la création de ces comptes permet de réduire la corruption. En Inde, les subventions de l'Etat passent de main en main avant d'arriver au bénéficiaire. Et il arrive que même les morts continuent de recevoir des allocations. Désormais chaque roupie dépensée par le gouvernement arrivera directement sur le compte en banque du bénéficiaire. Le gouvernement indien pourrait ainsi économiser jusqu'à 16 milliards d'euros chaque année, selon les estimations du cabinet de conseil McKinsey.
Ouvrir un compte à tous les habitants du pays : la tâche est gigantesque. Les banques ont dû se convertir aux nouvelles technologies tout en revenant aux fondamentaux de leur métier. " Ce n'est pas l'agence qui fait la banque, mais plutôt le compte bancaire ", glisse l'un des employés de la SEED à Patwapur. Le compte peut se gérer en temps réel, d'un téléphone portable comme d'une petite machine portative reliée au système informatique de la banque, quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
Grâce à ces progrès techniques, la banque se déplace également à domicile. Des correspondants font la tournée des villages à moto, avec leur machine et quelques liasses de billets dans un sac qu'ils portent en bandoulière. Ils sont embauchés à plein-temps par les banques, mais d'autres correspondants des agences, épiciers ou instituteurs à la retraite, peuvent travailler en indépendants, rémunérés à la commission sur les opérations effectuées. Grâce à eux, les banques ont réduit le coût des opérations, de 1 dollar, en moyenne, en agence, à 0,10 dollar.
Pour que les comptes ouverts soient utiles, encore faut-il qu'ils ne soient pas des coquilles vides. Les clients doivent d'abord apprendre à se servir de leur compte. " Nous considérons l'alphabétisme financier et l'inclusion financière comme deux piliers inséparables ", a déclaré le 10 mars Duwuri Subbarao, le gouverneur de la Banque centrale indienne, qui a prévu d'ouvrir des centres de conseil sur le crédit ainsi que sur l'alphabétisme financier dans tous les districts du pays.
Les clients sont également incités à utiliser leurs capacités financières. Les propriétaires terriens ont par exemple droit à la " kisan card ", qui leur permet d'emprunter jusqu'à 500 euros pour acheter semences et engrais et payer la main-d'oeuvre en attendant la saison de la récolte. Les autres bénéficient d'avances de trésorerie allant jusqu'à 10 euros.
Bientôt la SEED espère même proposer des services financiers comme des microcrédits, des produits d'assurances, et pense même vendre des lampes solaires. " Pour l'instant, estime Mohan Tanksale, directeur de la Punjab National Bank, les besoins des clients en milieu rural sont très limités, contrairement à ceux des zones urbaines. Mais dans les villages, le marché n'est pas saturé, il va donc connaître une forte croissance. "
Les campagnes n'avaient jusque-là connu que les organismes de microfinance, accusés dans certains districts de conduire les villageois au surendettement et parfois au suicide. Or le métier de banquier ne s'improvise pas. Il faut proposer des crédits à des taux raisonnables et surtout s'assurer de la solvabilité des emprunteurs.
" Depuis la crise de la microfinance en 2010, on s'intéresse beaucoup à notre modèle ", témoigne Ronita Chatterjee, responsable du développement à la SEED. En 2010, des paysans surendettés, dans l'Andhra Pradesh, ont refusé de rembourser leurs emprunts et s'en sont violemment pris aux organismes de microfinance. En réaction, des régions ont mis en place des réglementations plus strictes pour encadrer l'activité des banques et protéger les emprunteurs, fragilisant encore davantage le secteur. Le leader Indien, SKS Microfinance, dont l'introduction en Bourse en août 2010 avait été couronnée de succès, a subi de plein fouet cette crise. L'entreprise, qui doit faire face à des défauts de paiement en cascade, a accumulé des pertes de 11 millions d'euros au premier trimestre. Les analystes financiers de JP Morgan Chase & Co estiment que ses pertes devraient atteindre les 115 millions d'euros.
Contrairement aux organismes de microfinance qui ne ciblent que les clients capables d'emprunter, les banques devront ouvrir des comptes, même aux plus démunis. " J'insiste sur le fait que nous promulguons l'inclusion financière à travers un modèle centré sur les banques. C'est donc aux banques de relever le défi ", a réaffirmé KC Chakraborty, le gouverneur adjoint de la Banque centrale indienne en juin 2010. Le gouvernement a dans sa ligne de mire les usuriers locaux qui pratiquent des taux d'intérêt extravagants. Le quart des agriculteurs indiens dépendent encore exclusivement d'eux pour emprunter de l'argent.
Si ces usuriers choisissent de devenir un jour des correspondants bancaires, alors l'Inde aura sans doute réussi son pari de l'inclusion financière.
Julien Bouissou
© Le Monde
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