14/12/2009

Rien ne va plus avec la France

Au Togo, en Guinée et au Mali, les autorités locales acceptent de moins en moins les interventions françaises. Une situation qui pourrait prendre un tour plus violent, prévient un hebdomadaire malien.

14.12.2009 | A. Dramé |
Kofi Yamgnane est franco-togolais, candidat à l’é­lection présidentielle du 28 février 2010, et surtout principal rival du président sortant Faure Eyadema. Début décembre, ce dernier a vu d’un très mauvais œil la drôle d’amitié que le premier secrétaire de l’ambassade de France entretenait avec son plus redoutable rival dans la perspective du scrutin. Ingérence ou partialité ? Le régime d’Eyadema ne s’est pas posé mille questions : il a expulsé le diplomate. Paris a joué la carte de la réciprocité et tenté maladroitement, par presse interposée, de rapprocher l’origine bretonne de son protégé Eric Bosc avec le fait que Kofi Yamgnane, secrétaire d’Etat à l’Intégration sous François Mitterrand, soit aujourd’hui député du Finistère, et ainsi justifier l’amitié entre les deux hommes. L’argumentaire était plutôt bien conçu. Mais qu’a donc fait Paris du devoir de réserve ?

En Guinée, la junte reproche à Bernard Kouchner d’avoir commandité la tentative de coup d’Etat contre Dadis Camara. Idrissa Chérif, ministre de la Communication guinéen et proche conseiller de celui qui a été porté au pouvoir par l’armée il y a un an, a formellement accusé la France de Nicolas Sarkozy. “Il y a trois jours, Bernard Kouchner a reçu Alpha Condé [principal opposant politique]. Ensemble, ils ont appelé Mohamed Ibn Chambas [président de la Commission CEDEAO] pour lui demander de faire des déclarations et de prendre des contacts avec l’intérieur de la Guinée, afin de préparer un coup d’Etat”, a-t-il déclaré. Naturellement, l’accusé a nié, affirmant : “Nous dé­men­tons énergiquement ces rumeurs. Il n’y a pas de temps à perdre en polémiques stériles… Les efforts doivent porter sur les élections, que le peuple guinéen attend. C’est cela la priorité, et c’est aussi l’attente de la communauté internationale.” L’incertitude demeure donc…

Au Mali et au Niger, après l’enlèvement au Mali, le 25 novembre, de Pierre Camate, le ministère français des Affaires étrangères et européennes a demandé “aux Français présents au nord et à l’est de quitter im­médiatement la zone et de regagner Bamako sans délai, ainsi qu’à ceux qui envisageaient de s’y rendre de renoncer à leur déplacement”. Dans le genre cinglant, la réaction du président malien Amadou Toumani Touré ne s’est pas fait attendre. “Il n’y a pas plus d’insécurité au nord du Mali que dans certaines banlieues françaises ! a-t-il déclaré. Les villes et les régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal sont des zones sécurisées où les visiteurs peuvent rester et se déplacer sans risque…”

Une politique qui a assuré la pérennité de son “pré carré”

“L’enlèvement de Pierre Camate est un acte isolé qui peut se produire partout”, a renchéri son ministre chargé de l’Industrie et du Tourisme. Il s’agit, en clair, selon les autorités maliennes, d’une insécurité résiduelle. Celles-ci ne comprennent pas pourquoi la France n’a pas lancé d’avertissement à ses ressortissants lorsque le ministre des Affaires étrangères malien a déclaré officiellement devant les di­plomates accrédités au Mali – dont celui de la France – que le nord de son pays était en passe d’être envahi par des terroristes. En somme, les Maliens sont désormais nombreux à croire que le non du président Amadou Toumani Touré face à l’“Accord de partenariat sur la migration concertée et le développement solidaire” est passé par là.

Qu’est-il advenu de la diplomatie, voire de l’ingérence secrète de la France en Afrique, cette politique qui a jusque-là assuré la pérennité de son fameux “pré carré” ? On voit aujourd’hui un diplomate qui flirte dangereusement avec un opposant politique, un ministre des Affaires étrangères qui, oubliant les fortes tensions dans le pays (Guinée), s’amuse à faire des déclarations incendiaires, un ministère qui joue aux alarmistes dans une région où le retour de la paix entre factions rebelles et gouvernement tarde à se faire… La même attitude en Côte-d’Ivoire a eu comme conséquence le gel des relations diplomatiques entre les deux pays. L’Histoire peut-elle se répéter ailleurs ? Dans son ouvrage La Crise en Côte-d’Ivoire : dix clés pour comprendre (éd. La Découverte), Thomas Hofnung écrit : “La France a toujours été partie prenante, manipulatrice ouverte et subtile de la scène politique ivoirienne pour des raisons économiques, politiques et stratégiques. Elle a soutenu très fortement Houphouët-Boigny, Ouattara et Bédié pendant de longues décennies et façonné le développement économique ivoirien pour qu’il lui profite. Sur le plan de la politique extérieure, la Côte-d’Ivoire fut un pion majeur dans la politique africaine de la France, avec un rôle plutôt négatif pour le développement économique à long terme et pour la création et la consolidation d’institutions démocratiques viables dans la région. La France a souvent étouffé les velléités d’émancipation politique des Ivoiriens en soutenant Houphouët-Boigny sans retenue, ce que les Patriotes* de Laurent Gbagbo dénoncent avec véhémence.”


* Animés par un fort sentiment antifrançais, ces jeunes partisans de Laurent Gbagbo ont été à l’origine de violentes émeutes à Abidjan en 2004.

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