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Washington Correspondante
Invité spécial du G20, à Cannes, le milliardaire philanthrope plaide pour un renforcement de l'aide au développement
Bill Gates, le milliardaire philanthrope, fondateur de Microsoft, a reçu, avec le financier Warren Buffett, le 24 octobre, le Prix de la branche américaine du Programme alimentaire mondial (PAM), pour son engagement dans la lutte contre la faim. Les deux hommes ont mis en place en 2008 un programme, " Purchase for Progress " (" acheter pour le progrès "), qui permet aux fermiers de vendre directement leur production au PAM, dès lors qu'ils améliorent la qualité de la récolte.
Avant l'ouverture du G20 de Cannes, jeudi 3 novembre, pour lequel Nicolas Sarkozy lui a confié un rapport sur le financement du développement, Bill Gates a répondu aux questions du Monde dans les locaux de sa fondation, à Washington. " Choqué " qu'au XXIe siècle, la planète souffre encore de la faim et de la pauvreté, il livre un plaidoyer en faveur de l'aide aux programmes agricoles, gage de " stabilité " et de " croissance ".La famine dans la Corne de l'Afrique affecte 13 millions de personnes et a déjà causé la mort de 30 000 enfants de moins de 5 ans. Aurait-elle pu être évitée ?
En partie. Si nous avions fait au préalable certains investissements à long terme, les effets auraient été très atténués. La zone affectée par la famine est moins étendue grâce à plusieurs programmes que nous avons mis en place en Ethiopie. Evidemment, en Somalie - qui n'a pas de gouvernement opérationnel -, il est difficile de faire les investissements nécessaires.
A ce jour, la fondation a donné 8,2 millions de dollars - 5,8 millions d'euros - à six organisations de secours d'urgence qui opèrent en Ethiopie, au Kenya et en Somalie. Et beaucoup plus à long terme, pour acheter les meilleures semences, pour améliorer les sols...
Il est absolument choquant qu'une famine de cette ampleur puisse se produire en 2011. Le monde a les ressources, le savoir et les outils pour aider les plus pauvres à surmonter la faim et l'extrême pauvreté.
Votre fondation s'occupait plutôt de santé. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l'agriculture ?
La Banque mondiale a montré que le meilleur investissement pour réduire la pauvreté est en fait le développement de l'agriculture : 77 % des plus pauvres de la planète sont cultivateurs. Début 2000, nous avons commencé à réfléchir sur le moyen d'aider les pays pauvres à être autosuffisants.
La " révolution verte ", qui a été un succès en Asie, n'a jamais vraiment eu lieu en Afrique. Nous avons réfléchi aux leçons tirées par Gordon Conway - agronome et écologiste anglais, qui a plaidé en 1999 pour une nouvelle révolution agricole, " doublement verte " - et créé Alliance for a Green Revolution in Africa (AGRA), présidée par Kofi Annan. Nous avons travaillé avec les pays africains sur leur planification agricole, recruté beaucoup d'Africains. L'un d'eux vient d'être nommé ministre de l'agriculture au Nigeria, où il a mis en place une planification nettement améliorée, notamment dans le secteur des engrais et semences.
Pour presque toutes les récoltes en Afrique, on peut doubler la productivité. C'est capital ! Mais tout cela prend du temps. Pour les recherches sur les semences, il faut compter une dizaine d'années.
L'une des initiatives les plus prometteuses concerne le maïs résistant à la sécheresse. Nous avons financé les recherches et 2 millions de paysans en bénéficient déjà en Afrique de l'Est. Grâce à ce maïs, les rendements vont augmenter de 30 % d'ici à 2016, pour 40 millions de personnes de 13 pays de l'Afrique subsaharienne.
Dans votre rapport, vous citez aussi le projet de " super-riz vert " mené avec la Chine...
La Chine et le Brésil sont des exemples de pays qui recevaient de l'aide et ont réussi à réduire la pauvreté de manière spectaculaire. Tous deux ont une expertise significative. La Chine, pour le riz. Le Brésil, pour le soja. L'un et l'autre commencent à faire partie des pays donateurs.
L'idée est d'établir des partenariats. Par exemple, les Etats-Unis ou un autre pays riche travaillant avec la Chine ou le Brésil pour se charger d'un objectif en Afrique. Nous avons ainsi un projet en Chine dont le seul but est d'aider l'Afrique. Le Nigeria, en particulier, est un grand importateur de riz, ce qui défie toute logique. Il devrait au moins être autosuffisant. C'est d'ailleurs le but que s'est fixé son gouvernement. Cela va demander beaucoup de formation, de travail sur les semences... Notre rôle, c'est de faciliter cela.
A Cannes, vous allez être la première personne privée qui soit jamais intervenue devant le G20. Pourquoi avez-vous accepté ?
Le président Sarkozy m'y a invité. C'est un véritable honneur. J'ai pu me pencher sur l'ensemble des pays du G20 pour voir comment chacun d'eux travaille, en liaison avec le secteur privé, à améliorer les conditions des plus pauvres. Même en ces temps d'incertitude économique aiguë, cela continue à avoir du sens.
Le G8 de 2009 s'était engagé sur une aide de 22 milliards de dollars pour la sécurité alimentaire. Or seule la moitié de ce montant a été versée...
C'est un message que je vais porter à Cannes. Nous ne pouvons pas nous détourner des plus pauvres, même en ces temps difficiles. La crise budgétaire ne devrait pas affecter des programmes comme ceux qui touchent à l'agriculture. Ils ont un fort retour sur investissements et ils font progresser la stabilité et la croissance.
L'engagement des Européens pour l'aide au développement est de 0,7 % de leur PIB. Les pays d'Europe du Nord sont déjà à 0,7 % ou au-dessus. La Grande-Bretagne, malgré le déficit auquel elle est confrontée, est en passe d'atteindre cet objectif en 2013. Même si certains pays sont en retard d'un an ou deux, la valeur de cet engagement est assez phénoménale. Un vaccin peut sauver des vies pour quelques milliers de dollars. Vous pouvez recruter des aides-soignants pour 400 dollars par patient et par an.
Dans mon rapport, j'appelle les dirigeants à tenir leurs promesses, même dans ces temps difficiles. Et je parle de quelques-unes des taxes qui, pays par pays, peuvent les aider à remplir leurs engagements. Une taxe sur les transports aériens, comme en ont créé cinq ou six pays. Ou une taxe sur les transactions financières, comme il en existe dans un certain nombre de pays. Elle n'est pas utilisée pour financer le développement, mais l'exemple montre que l'on peut mettre en place ce genre d'instrument de façon efficace.
Etes-vous, comme on le dit, favorable à la taxe sur les transactions financières ?
Aucune taxe ne va être adoptée par 100 % des pays. Ce sont des outils, qu'il s'agisse d'une augmentation des taxes sur le tabac, d'une taxe sur le carburant aérien ou sur les transactions financières. Ces outils permettent de générer des revenus pour aider les plus pauvres ou pour réduire le déficit budgétaire, et chaque pays décidera. C'est une décision souveraine. Mon but est de faire avancer quelque chose qui marche, même s'il n'y a pas d'unanimité, ce qui est probable. Je suis prêt à défendre certaines de ces taxes, dont celle sur les transactions financières, parce que j'ai pu voir comment elles marchent.
Vous n'avez pas mentionné les Etats-Unis, où la tendance est plutôt à réduire l'aide au développement...
Ah oui, les Etats-Unis, j'ai oublié d'en parler... - Rires. - D'abord, il faut se souvenir que l'aide américaine, dans l'absolu, est le double de celle de tout autre pays. Pour le paludisme et le sida, les Etats-Unis ont été exemplaires. Mais, en termes de pourcentage de son économie, l'aide publique américaine n'est que de 0,21 %. Je suis venu à Washington pour expliquer pourquoi il faut l'augmenter.
Le Congrès pourrait décider du contraire. Mais s'ils comprenaient à quel point l'aide est plus efficace qu'il y a vingt ou trente ans, les parlementaires ne réduiraient pas les crédits. Je suis vraiment impressionné par l'exemple du Royaume-Uni. Nous avons besoin que davantage de pays, dont les Etats-Unis, suivent son exemple.
Pensez-vous que davantage d'hommes d'affaires devraient diriger le monde, et moins d'hommes politiques ?
Je ne dirige pas le monde ! Et je n'y aspire pas. Mais je pense en effet qu'il est sain qu'une partie des hommes politiques ait l'expérience du monde des affaires. Il y a des leçons à en tirer, même si elles ne s'appliquent pas à 100 %. Dans mon cas, et je ne suis pas politique du tout, le fait que je connaisse la loi du profit et les entreprises à caractère scientifique m'a aidé à la tête de ma fondation. La philanthropie peut bénéficier de ce mélange. Il en va de même pour les gouvernants.
Propos recueillis par Corine Lesnes
© Le Monde
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