30/10/2009

Le réchauffement du climat crée de nouvelles sources de conflits


31 octobre 2009

Le chercheur allemand Harald Welzer redoute une banalisation de la violence environnementale



Un chercheur encore peu connu en France

Né en 1958, Harald Welzer est directeur de recherches en

psychologie sociale à l'université Witten/Herdecke, et responsable du Centre de recherche interdisciplinaire sur la mémoire à Essen.

Cet universitaire allemand, encore peu connu en France, a déjà écrit plusieurs ouvrages.

En 2007, il publiait, aux éditions Gallimard, Les Exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse. Un livre percutant où le chercheur, anthropologue de la violence, s'interrogeait sur les raisons qui poussent de bons pères de famille, des avocats, des médecins à modifier leur système de valeurs, au point de se transformer en bourreaux.



ENTRETIEN

D'ici à 2050, le changement climatique pourrait jeter sur les routes 200 millions de " réfugiés climatiques ", selon l'Institut pour l'environnement et la sécurité humaine de l'université des Nations unies. Qu'il s'agisse des sécheresses qui réduisent les cultures et les pâturages, ou de la montée des eaux qui submerge les petits Etats insulaires... Les désastres environnementaux vont provoquer des catastrophes sociales et favoriser l'éruption de conflits.

Psychosociologue allemand, chercheur au Kulturwissenschaftlichen d'Essen, Harald Welzer travaille sur les causes de l'émergence de la violence, et sur la perception des évolutions de société par ceux qui les vivent. Dans l'ouvrage Les Guerres du climat (Gallimard), paru mi-octobre, il décrypte la manière dont les dérèglements environnementaux peuvent générer des conflits entre pays et à l'intérieur des sociétés ; et explique comment la perception du danger créé par le réchauffement climatique peut être faussée.

Vous soulignez dans votre livre l'ampleur des catastrophes sociales engendrées par le changement climatique, aujourd'hui et dans les années à venir. Comment les problèmes environnementaux peuvent-ils conduire à des violences et à des guerres ?

Les guerres proviennent, bien sûr, de causes multiples, mais le réchauffement climatique crée de nouvelles sources de violence, et amplifie les pénuries et les tensions existantes en matière de nourriture, d'eau ou de terres.

Prenez le cas du Darfour. Même si le conflit a des origines diverses, il est clair que la désertification progressive vers le sud a conduit à une compétition pour les terres entre les nomades éleveurs de bétail et les fermiers sédentaires, d'ethnies différentes. Et le Soudan, Etat en déroute, est incapable de réguler ce conflit, ou n'importe quel autre.

Des catastrophes peuvent aussi découler d'événements météorologiques extrêmes, comme ce fut le cas à La Nouvelle-Orléans, où l'ouragan Katrina a conduit à un effondrement total de l'ordre social. Et en provoquant la fonte de la glace arctique, le réchauffement ouvre la voie à un conflit autour des ressources naturelles du Grand Nord, qui n'étaient pas exploitables jusqu'à maintenant.

La tension provoquée par les dérèglements climatiques se retrouve aussi dans le face-à-face entre les réfugiés, qui fuient leur pays pour survivre, et les nations riches. La politique de protection des frontières des pays développés est-elle aussi facteur de violence ?

Il est évident que le nombre de " réfugiés climatiques " augmentera dans les années qui viennent. Comment les Etats développés les accueilleront-ils ? De la même manière, je crains, qu'ils reçoivent déjà ceux qui fuient la faim et la pauvreté. En Europe, la volonté actuelle des gouvernements est d'abord de rendre de plus en plus difficile le voyage des demandeurs d'asile. Résultat : les tentatives de traversée sont de plus en plus dangereuses et mortelles.

Les pouvoirs publics cherchent également les moyens de contenir les réfugiés sur le continent africain, " externalisant " alors la violence dans les pays d'Afrique du nord. D'où la création, par exemple, de camps de rétention au Maghreb, la police se chargeant ensuite de renvoyer brutalement les réfugiés dans leur pays d'origine. Cet éloignement du territoire européen permet d'occulter le fait que ces violences sont commises dans " notre " intérêt.

Qu'il s'agisse du traitement des réfugiés ou de celui des victimes de plus en plus nombreuses des dérèglements climatiques, les citoyens des pays riches ne semblent pas toujours percevoir l'ampleur du phénomène. A quoi l'attribuez-vous ?

L'observation des événements sociaux montre que ce qui était moralement inacceptable quelques années ou quelques décennies auparavant est admis lorsque la situation évolue. L'histoire du national-socialisme en Allemagne en témoigne : en très peu de temps, des gens ordinaires ont changé d'idée sur la manière dont les autres devaient être traités. Ce qui a été possible à l'encontre des juifs en 1941 n'aurait pas été accepté en 1933.

Cette dérive progressive du cadre normatif et moral, que les Anglo-Saxons appellent " shifting baselines ", se retrouve dans la façon d'appréhender les dérèglements environnementaux, et leurs conséquences sur les populations des pays frappés par la sécheresse ou les inondations. Les choses finissent par se banaliser.

Comment nourrir la prise de conscience ?

Si l'on communique sur des événements qui se produiront en 2050, comme le nombre de centimètres d'élévation du niveau de la mer, les gens trouvent le message " respectable ", mais s'en moquent un peu. L'information fait sens lorsque l'on peut la replacer dans un contexte d'action.

En Allemagne, par exemple, depuis quelque temps, une école de Fribourg gère au plus près son énergie pour générer " zéro émission ". Cette première réalisation pousse maintenant les professeurs et les enfants à aller plus loin. Les élèves se tournent désormais vers leurs parents en disant " Pourquoi avons-nous cet énorme réfrigérateur ? ", et refusent d'être amenés à l'école dans une grosse voiture. L'action a un effet " contagieux ". Dès que l'on fait l'expérience concrète du changement, des dynamiques s'enclenchent.

Une des grandes faiblesses de nos démocraties est que les gens ne se sentent pas investis du pouvoir de faire bouger les choses. Face aux questions graves du changement climatique, nous avons besoin d'une " repolitisation " de la société civile, sous-tendue par des questions telles que " Quelle société voulons-nous pour 2020 ? ", sans que celui qui s'interroge ainsi ne se fasse traiter d'utopiste ou de romantique.

Les dérèglements environnementaux sont provoqués, en grande partie, par un mode de vie et un type d'économie créés et promus par les pays occidentaux. Nous n'avons pas à chercher chez les autres, qu'ils soient Chinois ou Africains, ce qui a causé les problèmes actuels. Nous devons changer de mode de vie.

Cette incapacité à changer peut-elle créer des tensions et des violences entre générations ?

Oui, car l'injustice des dérèglements climatiques pèse non seulement sur les pays en développement, mais aussi sur les jeunes générations. Celles-ci subissent aujourd'hui une grande pression sociale. Elles savent que le futur ne les récompensera pas à la hauteur de leurs efforts, que ce soit en termes d'emploi ou de revenus. Nous sommes en train de consommer leur avenir financier et environnemental. D'où leur mobilisation parfois violente, et leur volonté d'agir afin de changer les règles.

Propos recueillis par Bertrand d'Armagnac

© Le Monde

24/10/2009

Les évêques africains dressent un réquisitoire contre les dirigeants politiques et dénoncent les faiblesses de l'Eglise


25 octobre 2009

Réunis en synode à Rome, ils doivent remettre à Benoît XVI une série de propositions

En trois semaines, le synode sur l'Afrique, qui s'achève samedi 24 octobre à Rome, a pris des allures de réquisitoire contre la gouvernance des responsables politiques locaux et les faiblesses de l'Eglise sur place.

Dans une synthèse de leurs travaux de ces dernières semaines, les pères synodaux ont fermement demandé, vendredi, aux responsables politiques catholiques africains de se comporter comme des " saints " pour le bien de leurs peuples ou de quitter leurs fonctions ; ils ont aussi interpellé les non-catholiques, les puissances étrangères et leur propre clergé.

Au fil de leurs interventions et, tout en reconnaissant à l'Eglise catholique une croissance et un dynamisme réels, les évêques africains, se sont montrés particulièrement sévères envers leur propre institution ; ils ont critiqué des pratiques qui, selon eux, mettent en péril la crédibilité de l'Eglise sur place. " Il faut avoir le courage de dénoncer ce qui est mal au sein de l'Eglise ", a lancé Polycarp Pengo, l'archevêque tanzanien de Dar es-Salaam. Il a ainsi fustigé " l'autoritarisme, le tribalisme et l'ethnocentrisme " de certains responsables d'Eglise, engagés aux côtés de partis politiques, tandis qu'un de ses confrères déplorait " l'implication des prêtres dans la corruption ".

Inquiet des pratiques culturelles " occultes " de certains membres du clergé, un évêque nigérian a aussi estimé que " les libations, le culte des ancêtres, les sacrifices offerts aux idoles et aux dieux ne sont pas compatibles avec le message de l'Evangile ".

Il a appelé le synode à réfléchir à une meilleure formation des séminaristes et des prêtres. Quant aux fidèles, attirés par les " sectes " pentecôtistes qui, à coup de " millions de dollars " leur proposent des " solutions rapides à leurs problèmes ", ils ont été invités à " développer une spiritualité équilibrée ". " Ces groupes souvent agressifs parlent de l'Eglise catholique comme d'une Eglise morte ", s'est inquiété Mgr Martins, du Nigeria, qui a proposé " l'instauration de petites communautés chrétiennes " pour que les fidèles s'y sentent reconnus et, le cas échéant, aidés.

Les évêques ont aussi invité les religieux qui ne respectent pas toujours leur engagement de pauvreté et de célibat, à " se rappeler que les offrandes apportées par les fidèles ne sont pas destinées au seul clergé mais aux pauvres et à l'Eglise en général ". En Afrique, il n'est pas rare que des prêtres ou des évêques gèrent une entreprise commerciale.

Avec constance, les évêques ont également mené la charge contre les responsables politiques et leur mauvaise gouvernance, " cancer qui dévore le continent ", selon les termes d'un évêque kenyan. L'archevêque de Dakar (Sénégal), Théodore-Adrien Sarr, a dénoncé " la corruption des dirigeants africains qui accordent des avantages et des profits démesurés aux multinationales au détriment de leur pays, les conflits armés fomentés par les marchands d'armes et le pillage des ressources naturelles ".

L'un de ses confrères tanzaniens a déploré que les hommes politiques considèrent leur élection comme un " permis de voler ", dénonçant au passage les gouvernants qui " croient en la sorcellerie, la superstition et l'occultisme ".

Par ailleurs, même si la période coloniale est aux yeux de ces évêques largement dépassée, l'influence de la " pensée unique " de l'Occident est copieusement fustigée. Elle aurait des influences " nocives " sur la famille et le mariage, et favoriserait, entre autres, l'avortement, l'homosexualité et " une confiance irréaliste en l'efficacité du préservatif " dans la lutte contre le sida, laquelle passe surtout, selon eux, par la fidélité et l'abstinence. Ce sujet avait fait polémique lors du voyage du pape Benoît XVI en Afrique, lorsqu'il avait déclaré que l'utilisation du préservatif " aggravait le problème " de la pandémie.

Egalement inquiets de la vague d'émigration qui touche l'ensemble du continent, les évêques ont estimé que les solutions, notamment la lutte contre la pauvreté, sont à rechercher sur place : " Nous nourrissons l'espoir de susciter chez les Africains subsahariens un sursaut ou une renaissance de l'homme noir ", a déclaré le cardinal sénégalais. Il a appelé les gouvernants à prendre en main " le destin de leurs peuples ".

Les pères synodaux devaient remettre à Benoît XVI une série de propositions concernant les actions spécifiques de l'Eglise en Afrique.

Stéphanie Le Bars

© Le Monde

19/10/2009

Obama, le Nobel, la guerre

Mon cher Barack,

Les commentateurs n’ont pas compris ton prix Nobel de la paix. C’était drôle : on aurait dit des poules devant une brosse à dents. Mais toi, tu es intelligent, tu as compris. Ce n’est certes pas pour tes réalisations que le jury d’Oslo t’a décerné le prix : tu patauges en Afghanistan, le sac de noeuds iranien te reste insaisissable, tu laisses faire la colonisation israélienne, tu plies sur les droits de l’homme - non, cela n’est pas brillant, président.

Alors quoi ? Le communiqué du Nobel, quoique ciselé en langue de bois, laissait transparaître le propos à qui voulait sortir des sentiers battus. Toi, tu as saisi, évoquant dans ton discours du 9 octobre d’abord le désarmement nucléaire, puis le changement climatique. Eh oui ! Le climat !

Aurait-on oublié le prix Nobel de la paix de 2007 ? Il avait couronné Al Gore et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui sonne l’alarme à grands sons de trompe. Pourquoi ? Parce que les jurés d’Oslo savent que le changement climatique est source de guerres. Et toi aussi, tu le sais, parce que le rapport du National Intelligence Council, en novembre 2008 (Global Trends 2025), plaçait les ressources naturelles, le pic pétrolier et le changement climatique au premier rang des problèmes à venir de sécurité nationale, parce que ton directeur pour l’information stratégique, Dennis Blair, l’a dit dès février devant le Sénat, parce que la CIA a ouvert le 25 septembre le Centre sur le changement climatique et la sécurité nationale.

"Dans les situations de stress écologique, la guerre pourrait devenir le moyen ultime de redistribuer des ressources en diminution", résumaient des chercheurs dans la revue Human Ecology en juillet 2007. Des guerres suscitées par la dégradation de l’environnement ? Tu l’appréhendes, les jurés d’Oslo l’appréhendent, et nous sommes de plus en plus nombreux à l’appréhender. Barack, tu n’as pas le temps de lire, mais fais-toi faire une note sur le livre d’un psycho-sociologue allemand, Harald Welzer, Les Guerres du climat (Gallimard) : il démontre avec une froideur étincelante que guerre et paix vont maintenant se jouer autour des conséquences de la crise écologique, il prévoit que la guerre viendra si nous ne parvenons pas à enrayer la course à la dégradation de la biosphère et l’inégalité dans la distribution des ressources naturelles.

Les jurés t’ont décerné le Nobel de la paix pour que tu viennes à Copenhague, lors de la conférence mondiale sur le climat. Recevant le prix à Oslo, le 10 décembre, tu seras moralement obligé d’aller à Copenhague dans la foulée, et de signer l’accord. Les jurés d’Oslo t’invitent à forcer ta nature de compromis, à bousculer l’opinion de ton pays. Ils pensent que la paix du monde dans les décennies à venir va se jouer là, à Copenhague, et que les Etats-Unis, donc toi, en détiennent la clé.

Hervé Kempf - 18 octobre 2009

Source : Cet article est paru dans Le Monde du 18-19 octobre 2009.

15/10/2009

Ouagadougou se remet avec difficulté des inondations historiques du 1er septembre

LE MONDE | 13.10.09 | 17h23 • Mis à jour le 13.10.09 | 17h23

Il fait près de 40 °C et on a peine à imaginer, en parcourant les rues en terre ocre de Ouagadougou, que la capitale du Burkina Faso a récemment connu sa pire inondation depuis des décennies. Mais ici et là, des maisons en ruine, qui donnent l'impression d'avoir été bombardées, témoignent de la puissance des pluies qui ont frappé le Burkina-Faso et le Niger le 1er septembre.

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Au moins 18 personnes sont mortes et 35 sont portées disparues après des inondations et glissements de terrain provoqués par des pluies diluviennes qui frappent depuis jeudi la région de Messine, dans l'est de la Sicile, selon un bilan officiel vendredi 2 octobre.

Près de 300 millimètres d'eau sont tombés en dix heures à Ouagadougou, soit la moitié des précipitations annuelles moyennes. L'eau était partout, les réservoirs situés près du centre de la ville, qui forment un lac artificiel, ont submergé leurs digues, et des milliers de maisons, bâties en banco (terre séchée), se sont effondrées.

"J'avais de l'eau jusque-là, raconte Jean Kiemtarboum, un habitant de l'arrondissement de Nongr-Massom, en montrant sa poitrine. A la maison, tout a été perdu : les réserves de mil et de céréales, les animaux." Encore son habitation a-t-elle résisté à la furie des eaux... Mais les inondations ont causé la mort de neuf personnes.

Les estimations font état de 150 000 sinistrés sur une ville d'un million et demi d'habitants. La plupart d'entre eux ont été hébergés par leur famille ou des amis. Mais il reste aujourd'hui environ 50 000 personnes sans logement. Elles ont dans un premier temps été relogées dans les écoles. Mais la rentrée a eu lieu le 1er octobre, et il a fallu libérer les établissements. Alors la municipalité a commencé à installer des campements de tentes que l'on voit ici et là, disséminés dans la ville.

Des aides de diverses origines sont arrivées. Au secteur 24 de l'arrondissement de Nongr-Massom, les préparatifs s'achèvent pour les quelque 700 sinistrés du quartier. Les premières familles commencent à s'installer dans les tentes blanches offertes par le Rotary Club. Des toilettes en carton rigide sont posées, il reste à creuser les fosses d'aisance et à achever la tranchée d'arrivée d'eau, avec l'aide de l'association Oxfam.

Pour Ilboudo Karim, président du Comité environnement de la commune de Ouagadougou, les pluies du 1er septembre sont un "effet (...) du changement climatique". "Depuis 1919, selon la météo, on n'a jamais rencontré un phénomène de ce genre", assure-t-il.

Mais l'importance des dégâts découle aussi d'une urbanisation qui s'étend rapidement sans que le réseau d'évacuation des eaux suive. Citant des urbanistes, le journal L'Evénement déplore ainsi "la prolifération des lotissements et de l'habitat spontané en périphérie, dans une ambiance de spéculation foncière généralisée". "Et pendant ce temps-là, les grandes infrastructures dont la ville aurait besoin pour devenir une vraie métropole sont en attente", ajoute-t-il.

Si le gouvernement a su organiser la prise en charge à court terme des sinistrés, il a exclu de reconstruire leurs maisons. Et s'il a lancé les réparations les plus urgentes sur les ouvrages d'art, ses moyens ne lui permettent pas d'installer les réseaux hydrauliques dont la ville aurait besoin.

Hervé Kempf Envoyé spécial Ouagadougou