27 mai 2011
Le premier ministre indien Manmohan Singh, lundi 23 mai, lors de son arrivée à Addis-Abeba, la capitale de l'Ethiopie, où se tient le deuxième sommet Inde-Afrique.
New Delhi Correspondance
Le pays mise sur la formation, le développement agricole et le transfert de compétences
Malgré l'océan qui les sépare, l'Inde redécouvre en Afrique un continent voisin que les intérêts commerciaux et diplomatiques ne cessent de rapprocher. Réunis mardi 24 et mercredi 25 mai à Addis-Abeba, en Ethiopie, seize chefs d'Etat ont réaffirmé leur engagement à poursuivre un partenariat économique entamé lors du premier sommet Inde-Afrique organisé en 2008 à New Delhi.
Après avoir abaissé ses tarifs douaniers à destination des dix-neuf pays africains les moins développés, l'Inde a annoncé, mardi, 3,5 milliards d'euros de prêts au continent ces trois prochaines années. Ce partenariat illustre une tendance de fond : la part de l'Inde dans le commerce extérieur africain ne cesse de s'accroître, au détriment de l'Europe et des Etats-Unis.Leurs échanges commerciaux ont quintuplé en six ans, passant de 9,6 milliards de dollars en 2004 à 45 milliards de dollars (32 milliards d'euros) en 2010. Ils devraient même atteindre 70 milliards d'ici à 2015, selon le ministre indien du commerce, Anand Sharma. " L'Afrique est en train d'émerger comme un nouveau pôle de croissance mondial ", a déclaré le premier ministre indien, Manmohan Singh. New Delhi propose à l'Afrique un partenariat fondé sur l'" égalité ", la " confiance mutuelle " et une " approche transparente de concertation ". Des mots choisis avec soin qui visent, en creux, l'arrogance d'autres puissances vis-à-vis des pays africains.
L'Inde met justement en avant ses intérêts communs avec l'Afrique. Les producteurs de coton d'Inde, du Mali, du Bénin ou du Tchad, par exemple, souffrent des subventions des Etats-Unis à leurs producteurs. New Delhi, qui avait autrefois appelé les pays africains à rejoindre le mouvement des non-alignés, les appelle désormais à réformer la gouvernance d'un système mondial laissant encore peu de place aux pays du Sud.
A l'issue du sommet, les chefs d'Etat indien et africains ont signé la déclaration d'Addis-Abeba, qui appelle à une réforme des Nations unies. " L'Inde aspire à occuper un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Et je crois qu'elle pourra compter sur le soutien de l'Afrique ", a déclaré Obiang Nguema, le président de l'Union africaine.
Dans sa conquête de l'Afrique, l'Inde doit affronter la concurrence d'une Chine déjà bien implantée, notamment dans le secteur des infrastructures. Les échanges commerciaux sino-africains se sont élevés à 89 milliards d'euros en 2010, presque trois fois les échanges entre l'Afrique et l'Inde.
New Delhi cherche à se différencier de son concurrent asiatique en privilégiant une approche de coopération, que résume ainsi un diplomate indien : " Lorsqu'un homme a faim, il vaut mieux lui apprendre à pêcher que lui donner du poisson ; l'Inde préfère lui apprendre à pêcher. " Certes, les entreprises du sous-continent ne construisent pas de stades comme la Chine, mais elles misent sur la formation, le développement agricole et le transfert de compétences et de technologies. Quelque 700 millions de dollars ont été promis pour établir de nouvelles institutions sur le continent, comme un Institut des technologies de l'information au Ghana ou un Institut de polissage du diamant au Botswana. Depuis l'Inde, des professeurs forment déjà des étudiants africains grâce aux communications par satellite.
Large diaspora
Contrairement à la Chine, l'Inde bénéficie aussi d'une large diaspora sur ce continent, notamment en Afrique du Sud, où Gandhi séjourna plus de vingt ans, et dans les pays de la côte est. Il y a plus de 2 000 ans, les marchands indiens du Gujarat faisaient route vers l'Afrique pour échanger du coton contre des pierres de Topaze ou de l'argent. Ce sont désormais l'or, l'uranium, le charbon, les diamants et le pétrole qui intéressent l'Inde.
Les diamants d'Afrique du Sud servent son industrie de polissage de pierres précieuses, la première au monde, et le pétrole alimente la croissance de son économie. L'Inde doit importer 70 % de ses besoins en énergie et s'approvisionner en uranium pour réussir son ambitieux programme électronucléaire.
C'est aussi le marché africain, qui a connu une croissance moyenne de 5 % en 2010, que lorgne l'Inde. M. Singh était accompagné d'une impressionnante délégation d'hommes d'affaires. Ce marché est perçu comme un prolongement naturel du marché intérieur indien grâce à des caractéristiques similaires : la stratégie du bas de la pyramide, consistant à développer des produits et des services à bas coût en grandes quantités, a déjà été éprouvée en Inde.
Les entreprises indiennes veulent répliquer cette stratégie en Afrique. Le constructeur automobile Bajaj exporte déjà 1,2 million de véhicules légers par an en Afrique, et Tata espère bientôt y vendre sa Nano, la voiture la moins chère au monde. Le géant indien des télécommunications, Airtel, a racheté, en 2008, l'opérateur koweïtien Zain présent dans seize pays africains, pour 7,8 milliards d'euros. Enfin, l'Inde est devenue la pharmacie de l'Afrique grâce à ses médicaments génériques.
Julien Bouissou
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