31 juillet 2013
A Sévaré, le décompte des bulletins de vote sous le regard des observateurs.
SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS POUR " LE MONDE "
Le bon déroulement du scrutin malien ne masque pas l'ampleur des défis à venir
Il s'agit moins d'un diplôme d'excellence décerné au scrutin du jour, que de l'aveu, en creux, de traditions électorales délétères dans un pays où, pourtant, les groupes d'observateurs ont constamment exprimé leur satisfaction à chaque élection depuis la chute, en 1991, du dictateur Moussa Traoré (qui coule des jours heureux dans le pays), tout en reconnaissant quelques " défauts " à des scrutins contestés par l'opposition, pour de bonnes raisons. Voici le Mali devant le piège d'une nouvelle élection " à défauts ", que ne compense pas le fait qu'elle se tienne sous protection internationale, l'armée malienne étant appuyée par la mission des Nations unies, elle-même soutenue par des troupes françaises de l'opération " Serval ". Les risques des élections approximatives tenues sous protection internationale sont connus : le cas du Congo-Kinshasa, où la fin du conflit a été annoncée un peu vite, alors que s'y rallument les mêmes foyers d'instabilité, est là pour le rappeler. Pour savoir si le Mali va échapper à cette spirale de l'échec, il ne lui suffira pas de voir s'organiser des élections sans violence. Il faut aussi que le scrutin apparaisse comme légitime à sa population, comme à ses voisins. Or il existe des incertitudes sur ce premier tour, comme, par exemple, le nombre exact d'inscrits n'ayant pu voter, quoique en possession de leur carte d'électeur. Ou encore le fait que des jeunes, des déplacés, des réfugiés, des Maliens de l'étranger (voir l'inexplicable chaos à Paris) n'aient pu voter. Cette zone d'ombre, ainsi que d'autres encore, est de celles qui ont détruit la réputation des élections passées dans le coeur des Maliens. La preuve : à peine un tiers des inscrits allait glisser son bulletin dans l'urne dans le Mali si démocratique en apparence d'avant le coup d'Etat. Encore une partie de ces votes était-elle achetée. Parallèlement à ce travail de sape, une dégradation du fonctionnement de l'Etat s'est engagée dans le pays. Les trafics de stupéfiants ont touché les plus hautes sphères, politiques ou militaires. Une industrie des otages est née, qui avait ses clients. Les chefs d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), venus d'Algérie, traitaient avec des intermédiaires qui avaient leurs entrées au palais présidentiel. Puis l'armée s'est effondrée et le pouvoir est tombé. Début 2012, alors que les militaires maliens subissaient des revers au nord, face à une coalition de groupes armés (touareg et djihadistes), plusieurs coups d'Etat étaient en préparation à Bamako. C'est finalement un groupe d'outsiders qui a ramassé le pouvoir, composé de sous-officiers, d'hommes du rang et d'officiers subalternes, avec un capitaine à sa tête. Ensuite, l'armée a cessé de combattre. Les putschistes, à Bamako, ne sont jamais montés armes à la main vers le nord, dont la conquête a été achevée en quelques semaines par la coalition rebelle, d'où ont émergé bientôt AQMI, le Mujao, et leurs alliés. Est-ce que l'Etat malien s'est alors effondré, comme on le dit si souvent ? La réponse est complexe. Dans la moitié du sud du pays, on a continué à travailler ; l'administration s'est redéployée. On a même augmenté de 15 %, au cours de 2012, la production d'or, dont le Mali est le troisième producteur africain, pour atteindre 50 tonnes (20 % du PNB). Mais on ignore la manière dont les taxes versées par les groupes miniers ont été utilisées. On ignore aussi dans quelles circonstances le dernier conseil des ministres, le 24 juillet, a conclu l'attribution de trois blocs pétroliers dans la région du bassin de Taoudéni. Les signatures de ce type s'accompagnent en général de confortables " bonus ". C'est autour de ces questions et de la façon dont le futur président parviendra, ou pas, à instaurer la confiance, que se joue l'avenir du Mali. Le pays va bénéficier d'une aide importante : près de 3 milliards d'euros ont été promis par les bailleurs de fonds, attendant théoriquement que des autorités légitimes soient mises en place. La légitimité des nouvelles autorités maliennes est d'une importance capitale puisque c'est elle, aussi, qui donnera le ton aux futures négociations avec les rebelles touareg. L'armée malienne a commencé à se redéployer dans le nord, notamment à Kidal, sans entraîner d'incidents majeurs, en raison de la présence de troupes des Nations unies, et d'un accord signé à Ouagadougou le 18 juin, qui prévoit que des négociations devront être engagées au plus tard quarante jours après la nomination d'un nouveau gouvernement au Mali. Le nord du pays pourra-t-il bénéficier d'un statut particulier, avec une autonomie poussée ? C'est une éventualité. Sur ce Nord, riche de ressources minières et pétrolières encore inexploitées, l'Algérie a quelques velléités d'influence. Le futur président pourrait ne pas la trouver à son goût. La sortie de crise implique donc une dimension régionale délicate, parallèlement à des arbitrages locaux explosifs. Les rebelles touareg ne seront pas les seuls interlocuteurs du gouvernement. Il est prévu que d'autres groupes, armés ou pas, soient invités à la table des négociations. Certains peuvent jouer le blocage : là encore, l'autorité d'un président élu dans de bonnes conditions devra faire des merveilles. Puis il faudra accompagner la renaissance de l'armée malienne, continuer le combat contre les groupes djihadistes, veiller au départ des troupes françaises. Et avant cela, le nouveau pouvoir devra aussi organiser des élections législatives après avoir encadré le retour chez eux des réfugiés et des déplacés. Sans réveiller les antagonismes mis à vif par les mois de guerre au nord. C'est dire s'il est un peu tôt pour triompher. Jean-Philippe Rémy
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