Du 20 au 22 septembre à New York, les dirigeants de la planète ont tiré le bilan des avancées des Objectifs du millénaire fixés pour 2015. Des résultats plus que mitigés.
Rendez-vous planétaire à New York. Du 20 au 22 septembre, les dirigeants du monde se sont retrouvés aux Nations unies pour un "Sommet contre la pauvreté". A cinq ans de la date butoir fixée à 2015 par l'ONU, il s'agissaitt du dernier bilan d'étape dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Cet ambitieux programme de réduction de la pauvreté a été défini en septembre 2000 lors du Sommet du millénaire, qui avait réuni 147 chefs d'Etat. Concrètement, la communauté internationale s'était alors engagée à réduire de moitié la part de la population dont le revenu est inférieur à 1,25 dollar, à diviser par deux la proportion de ceux qui souffrent de la faim, à universaliser l'accès à l'école primaire, etc.
A la différence de maintes promesses antérieures, les OMD fixaient des objectifs non seulement chiffrés, mais aussi assortis d'une échéance: 2015. Une vraie rupture après cinquante ans de déclarations de bonnes intentions. Et d'autant plus nécessaire qu'au cours des années 1990, l'aide au développement s'était essoufflée, justifiant ainsi le constat qu'elle n'avait pas permis d'accélérer fortement la croissance des pays pauvres.
"Les OMD ont eu le mérite de mobiliser les dirigeants sur le développement. Aujourd'hui, c'est la seule référence consensuelle qui existe sur le sujet entre les Etats", souligne Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale du Crid et porte-parole de l'AMCP, l'Action mondiale contre la pauvreté (voir encadré p.40). Autre point positif:
"Les OMD ont permis de revenir sur la dimension sociale du développement et d'aider à reconstruire les services sociaux qui avaient été dévastés par les programmes d'ajustement structurel", explique Serge Michailof, consultant et professeur à Sciences-Po (1). En effet, au début des années 2000, un grand nombre de pays pauvres étaient exsangues, du fait des douloureuses cures d'austérité imposées par leur endettement et exigées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) en contrepartie de leurs prêts.
Des programmes au détriment de la croissance
"On a eu cependant tendance, avec les OMD, à se focaliser sur la santé et l'éducation, au détriment de la croissance. On a mis en place des mécanismes d'aide qui accroissent la dépendance des pays du Sud. On ne les aide pas à créer la richesse qui permettrait de soutenir ces actions sociales de manière pérenne", poursuit Serge Michailof. Car si l'amélioration des conditions sanitaires et l'accès à l'éducation sont des conditions du développement, ils ne suffisent pas à assurer une croissance durable.
De plus, si les OMD, en fixant des objectifs chiffrés, ont eu l'avantage de définir des buts, ils ont eu pour inconvénient d'inciter les décideurs à "faire du quantitatif", au détriment de la qualité. Ainsi, le taux de scolarisation dans le primaire dans les régions en développement est passé de 82% en 1999 à 89% en 2008; il a même progressé de 18 points en Afrique subsaharienne. Mais on se réjouirait davantage de ce résultat - qui laisse hors d'atteinte l'objectif d'accès universel à l'éducation pour 2015 - si cette hausse n'avait pas été réalisée au prix d'un recrutement massif de professeurs non qualifiés et sous-payés qui se retrouvent face à des classes surchargées. Au détriment de la qualité de l'enseignement.
Une réduction de la pauvreté en trompe-l'oeil
Même l'avancée la plus notable - la réduction de la pauvreté - est à relativiser. L'objectif était de faire passer la proportion de personnes vivant en dessous du seuil international de pauvreté (*) dans les pays en développement de 42% en 1990 (1,8 milliard de personnes) à 21% en 2015.
"Cet objectif est en passe d'être atteint. Même si la crise a ralenti le rythme", a affirmé Fabrice Ferrier, coordinateur pour la France de la Campagne du millénaire, lors de la présentation du rapport sur les OMD du secrétaire général de l'ONU en juin dernier (2).
Cependant, la réduction globale de la pauvreté est essentiellement imputable à la croissance des pays émergents, plus particulièrement de la Chine et de l'Inde. Le taux de pauvreté chinois devrait tomber à 5% d'ici à 2015. Quant à celui de l'Inde, il devrait passer de 51% en 1990 à 24% en 2015. En revanche, plusieurs autres régions du globe ne devraient pas atteindre l'objectif: l'Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient et certains pays du Golfe, d'Europe de l'Est et d'Asie centrale. Selon la Banque mondiale, la crise a maintenu 50 millions de personnes de plus que prévu dans l'extrême pauvreté en 2009. Et ce chiffre pourrait atteindre 64 millions fin 2010. En outre, ces évaluations se cantonnent à la mesure de (l'extrême) pauvreté monétaire, c'est-à-dire au revenu disponible. Or, un même niveau de revenu peut avoir une signification bien différente selon que les personnes peuvent ou non bénéficier de la solidarité familiale ou d'un réseau social.
Un nombre record de sous-alimentés
Qui dit pauvreté, dit souvent sous-alimentation (*) . Un phénomène qui ne résulte pas le plus souvent d'une pénurie de nourriture, mais qui est la conséquence d'une insuffisance de revenu. Dans ce domaine, l'objectif fixé par les OMD est loin d'être atteint. Il posait comme but de
"réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim". En 1990, cette proportion était de 20%. Elle a certes diminué jusqu'en 2000-2002 pour atteindre 16%, mais a stagné jusqu'en 2007 pour remonter à partir de 2008, année de crise alimentaire suite aux fortes hausses des prix des denrées alimentaires.
La crise financière et économique qui a suivi n'a pas arrangé les choses, grossissant les rangs des personnes au chômage ou contraintes à des emplois précaires. Résultat: l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que 1,02 milliard de personnes étaient sous-alimentées en 2009. C'est le chiffre le plus élevé depuis qu'on dispose de statistiques. Les régions les plus touchées sont l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Pakistan, Afghanistan…). Seule l'Asie du Sud-Est pourrait atteindre l'objectif en 2015, grâce à l'enrichissement de la Chine.
Le spectre de la crise alimentaire
"Le spectre d'une nouvelle crise alimentaire n'a pas disparu", affirme Bénédicte Hermelin, directrice du Groupe de recherche et d'échanges technologiques (Gret). Car si les prix des denrées alimentaires sont redescendus, ils restent plus élevés qu'avant 2008. Et les perspectives ne sont pas bonnes: selon l'OCDE et la FAO (3), les prix des matières premières agricoles (blé, céréales, lait…) seront en moyenne plus élevés pendant la prochaine décennie que durant celle précédant la flambée des prix de 2007-2008. La faute notamment à la spéculation sur les prix des matières premières, source de volatilité. Mais aussi à une concurrence accrue entre usage alimentaire et usage énergétique des terres agricoles cultivées. Ainsi, l'OCDE et la FAO prévoient que la production d'éthanol (utilisé comme agrocarburant) à partir de betterave, de maïs et de canne à sucre devrait doubler d'ici à 2019.
Dans ce contexte, des pays comme la Chine, le Japon ou la Corée du Sud achètent ou louent de plus en plus de terres agricoles dans certains pays du Sud, afin d'assurer l'approvisionnement alimentaire de leur propre population, au détriment des populations locales. Enfin, pour ne rien arranger, les pays en développement pourraient connaître un déclin de 9% à 21% de leur productivité agricole potentielle totale d'ici à 2050, selon la FAO, à cause du réchauffement de la planète (sécheresse, inondations, notamment).
Au final, sur les huit Objectifs du millénaire, seule la cible un du premier, relative à la pauvreté, devrait être atteinte en 2015, dans les limites décrites plus haut. L'OMD ayant fait le moins de progrès est celui qui vise l'amélioration de la santé maternelle. Selon l'OMS (4), 500 000 femmes meurent chaque année pendant la grossesse ou l'accouchement, dont 99% dans les pays en développement. En dépit de quelques avancés, 55% des femmes d'Asie du Sud et 54% de celles d'Afrique subsaharienne accouchaient sans la présence de personnel qualifié en 2008. La santé maternelle (et infantile) a d'ailleurs été un des thèmes du G8 qui s'est tenu à Toronto en juin dernier. Les chefs d'Etat ont décidé de débloquer 5 milliards de dollars additionnels sur cinq ans. Mais encore faut-il qu'ils tiennent promesse.
Une aide insuffisante
Car l'aide demeure insuffisante et la liste des engagements non honorés s'allonge (5). L'aide a certes crû de 34% entre 2004 et 2010 de la part des pays de l'OCDE, mais elle ne dépasse pas 0,32% de leur produit intérieur brut (PIB) cette année. Cette progression ne représente que 27 milliards de dollars, loin des 48 milliards d'aide additionnelle promise pour 2010 lors du G8 de Gleneagles en 2005. Une somme qui restait elle-même bien en deçà des 185 milliards de dollars jugés nécessaires pour atteindre les OMD (soit 0,54% du PIB des pays riches), selon les estimations réalisées en 2005 pour les Nations unies par l'économiste Jeffrey Sachs. Parallèlement, quinze membres de l'Union européenne s'étaient engagés à porter leur aide individuelle à 0,51% de leur PIB (6). Or, certains restent en retard, dont la France qui, malgré des efforts ces dernières années, n'a consacré à l'aide au développement que 0,46% de son PIB en 2009, un montant qui pourrait bien diminuer, rigueur budgétaire oblige.
Face à l'insuffisance de l'aide et devant l'urgence de la situation, aggravée par la nécessité de trouver des financements supplémentaires pour faire face au changement climatique, la question des financements innovants est régulièrement mise sur le tapis. A l'instar de la taxe sur les billets d'avion, qui a rapporté 2 milliards d'euros depuis son instauration en 2006. Une taxe sur les transactions financières, prônée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lors du dernier G20 de Toronto, et soutenue par les ONG, fait partie des projets à l'étude. Mais elle ne devrait pas être lancée avant le G20 accueilli en France en novembre 2011. Une telle taxe aurait pour avantage de stabiliser les ressources, indépendamment du bon vouloir des Etats.
Car pour le moment, en matière d'aide, chaque pays demeure maître du montant et du contenu. Ainsi, en ce qui concerne la France, il faut distinguer dans la somme totale ce qui relève de l'aide réelle et d'artifices financiers. La France inclut dans son aide publique des annulations de dettes et des dépenses qui ne profitent pas aux populations pauvres, tel que l'accueil d'étudiants étrangers ou l'assistance technique par du personnel expatrié. Au total, Coordination Sud considère que l'aide "réelle" de la France entre 2002 et 2008 ne représentait en moyenne que 57% de l'aide officielle.
La qualité laisse à désirer
"Au-delà de la quantité, il faut veiller à la qualité de l'aide", plaide en outre Nathalie Péré-Marzano. L'AMCP, avec d'autres organisations comme l'OCDE, prône ainsi l'appropriation par les pouvoirs publics et la société civile au Sud des mécanismes de distribution et d'utilisation de l'aide. Ainsi que leur implication dans la définition des politiques qu'elle est censée financer (voir encadré).
"Les bénéficiaires devraient pouvoir se saisir de la façon de parvenir aux OMD", affirme Pascal Erard, responsable du plaidoyer au CFSI.
En termes de qualité, il est aussi nécessaire de repenser l'orientation de l'aide.
"L'aide me paraît trop orientée vers les dimensions dites "sociales", et cela risque de compromettre l'avenir", estime Jean-Michel Severino, inspecteur général des Finances et ancien directeur de l'Agence française de développement (AFD).
"Aujourd'hui, nous observons des dynamiques de croissance forte en Afrique au sud du Sahara. Il est crucial de les accompagner pour qu'elles soient durables", poursuit-il (7). Comment? Notamment en épaulant l'économie informelle, qui représente la moitié des emplois urbains en Afrique. En aidant à la construction ou à la reconstruction d'appareils d'Etat capables de recouvrer les taxes pour ensuite financer les services sociaux. Ce qui passe aussi par une lutte efficace contre la corruption. Ainsi qu'en encourageant les investissements dans l'agriculture.
La priorité agricole
"C'est d'abord en soutenant l'agriculture qu'on résoudra le gros du problème de la pauvreté", ajoute Serge Michailof. Car les trois quarts des pauvres de la planète vivent en milieu rural et dépendent directement des activités agricoles pour leur revenu. Paradoxalement, les petits producteurs représentent 80% des personnes sous-alimentées. Or, les budgets consacrés à l'agriculture sont trop faibles. En Afrique subsaharienne, rares sont les pays qui y consacrent plus de 4% de leur budget national. Et la part de l'aide publique mondiale au développement destinée à ce secteur a chuté de 17% à 3,8% entre 1980 et 2005.
"Investir dans l'agriculture, ce serait donner aux paysans accès à une formation, au crédit, à des intrants de qualité et à des semences adaptées aux conditions locales", explique Bénédicte Hermelin.
"Mais rien ne sert d'investir dans l'agriculture si l'on poursuit par ailleurs la libéralisation des marchés agricoles", rappelle-t-elle
. Car l'ouverture des frontières, préconisée par les organisations internationales, dont l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a été défavorable aux petits producteurs. Leurs produits ont été concurrencés par des importations moins onéreuses, puisque bénéficiant de coûts de production plus favorables ou de subventions.
Or, aujourd'hui, dans le domaine agricole, l'Union européenne continue à subventionner, directement ou indirectement, ses exportations. Tout en faisant pression sur ses "clients" du Sud pour qu'ils réduisent leurs protections commerciales dans le cadre d'accords de partenariat économique (*) . Ce qui revient plus ou moins à reprendre d'une main ce qui est donné de l'autre, dans l'agriculture comme dans d'autres domaines.
"Les enjeux de mise en cohérence des politiques est au moins aussi important que le montant de l'aide", constate Pascal Erard.
Il faudrait donner la possibilité aux pays du Sud de protéger certaines productions nationales et de choisir quels sont les produits qui sont ouverts aux importations" (8). Il s'agirait donc de donner davantage de pouvoir de décision aux acteurs des pays en développement et, par conséquent, de s'éloigner d'une approche caritative. Car sortir de la pauvreté, ce n'est pas seulement en finir avec l'indigence. C'est aussi avoir des droits économiques, sociaux, culturels et politiques. Et d'avoir la capacité de prendre en main les conditions de son avenir.
* Seuil international de pauvreté : seuil en dessous duquel une personne est considérée comme pauvre. Il est fixé à 1,25 dollar par jour. Mais pour tenir compte des disparités nationales de pouvoir d'achat, la proportion de la population vivant en dessous de ce seuil est évaluée en parité de pouvoir d'achat (PPA).
* Sous-alimentation : situation dans laquelle l'apport calorique est inférieur aux besoins énergétiques alimentaires minimaux, c'est-à-dire à la quantité d'énergie nécessaire à la pratique d'une activité légère et au poids minimum acceptable pour une taille donnée, selon la FAO.
* Accord de partenariat économique (APE) : accord par lequel les anciennes colonies doivent ouvrir 80% de leur marché à l'Union européenne, en échange d'un accès préférentiel au marché européen pour leurs exportations. Auparavant, ces préférences étaient accordées sans contrepartie.
(1)
Serge Michailof a publié
Notre maison brûle au Sud. Que peut faire l'aide au développement, éd. Fayard, mars 2010. (2)
Rapport 2010 sur les OMD des Nations unies disponible sur
www.un.org/fr/millenniumgoals/pdf/report2010.pdf (3)
Voir "Perspectives agricoles 2010-2019" sur
www.ocde.org (4)
Rapport "Les femmes et la santé" sur
www.who.int/gender/women_health_report/fr/index.html Voir également la campagne associative
www.santepourtoutes.org (5)
Voir "Aide au Sud: le compte n'y est pas",
Alternatives Economiques n° 292, juin 2010, disponible dans nos archives en ligne. (6)
Voir le rapport AidWatch de la fédération européenne d'ONG Concord sur
www.concordeurope.org (7)
Voir le dossier "Comment mieux aider le Sud?",
Alternatives Internationales n° 47, juin 2010, disponible dans nos archives en ligne. (8)
Voir "Pour des politiques européennes cohérentes avec la réduction de la faim dans le monde", CFSI, accessible sur
www.cfsi.asso.fr/upload/brochure%20PE_BasDef_1.pdf Claire Alet
Alternatives Economiques n° 294 - septembre 2010