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Le marché noir prospère selon Interpol, qui estime qu'il rapporterait entre 30 et 100 milliards de dollars par an
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Une carrière de traitement de bois, à Shenyang, dans le nord de la Chine.
REUTERS/SHENG LI
Le bilan des mafias du bois s'est dramatiquement alourdi, jeudi 27 septembre, avec la publication de chiffres estimant les revenus de ce trafic mondialisé entre 30 et 100 milliards de dollars par an (23 à 77 milliards d'euros). Les dernières données publiées en mars par la Banque mondiale évaluaient leur " chiffre d'affaires " à 15 milliards de dollars.
D'où vient un tel écart ? Essentiellement, expliquent Interpol et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) qui présentent ce vaste travail de traque dans le rapport " Carbone vert, marché noir ", des opérations de blanchiment qui avaient été jusqu'alors très peu comptabilisées. L'ampleur de cette exploitation illégale dont les grands bassins tropicaux sont le théâtre principal, relativise les discours sur la lutte contre la déforestation énoncés tant par les Etats concernés que par les acteurs de l'industrie forestière. Elle " représenterait 50 % à 90 % de l'ensemble des activités forestières " en Amazonie, en Indonésie et dans le bassin du Congo. A la lecture du rapport rédigé par les deux organisations, il se confirme que le business des bois tropicaux demeure un milieu gangrené par une corruption généralisée d'autant plus prospère que, dans bien des pays, elle permet à des fonctionnaires miséreux d'assurer le pécule de survie que leurs Etats ne peuvent plus leur offrir. " L'exploitation illégale a lieu en majorité dans les régions en conflit, pointe le rapport.Elle ne diminue pas, bien au contraire, car les cartels sont mieux organisés et déplacent leurs activités pour échapper aux services de police ". Cette criminalité organisée est bien ce qui intéresse les enquêteurs d'Interpol qui sont, depuis quelques mois, montés en première ligne de l'opération de répression dans laquelle se retrouvent des défenseurs de l'environnement et des institutions chargées de lutter contre le grand banditisme. Cette coalition baptisée Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC), est opérationnelle depuis 2011. Elle regroupe, outre Interpol, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la Banque mondiale, l'Organisation mondiale des douanes et la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction). Car derrière ces mafias, il n'y a pas seulement des individus qui ont compris qu'il y avait à gagner sans prendre de gros risques compte tenu de la faiblesse du droit environnemental et de l'impunité dont jouissent les trafiquants dans la plupart des pays. Il existe aussi des mouvements armés qui y ont trouvé, comme dans le trafic d'ivoire, un filon pour financer leur cause. Ces réseaux font preuve d'une ingéniosité croissante. " Ces cinq dernières années, on est passé d'une exploitation illégale directe à des méthodes plus sophistiquées de recel et de blanchiment ", souligne Interpol qui, exemples à l'appui, recense plus de trente manières " d'abattre illégalement, de blanchir et de commercialiser des grumes ". Parmi lesquelles, " la falsification de permis d'exploitation, le piratage de sites Internet gouvernementaux afin d'obtenir des permis de transport et des quotas plus importants, le blanchiment par l'intermédiaire de la construction de routes, de fermes d'élevage, de plantations de palmiers à huile, le mélange de bois légal et illégal pendant le transport ou dans les scieries "... Sans oublier les classiques pots-de-vin. Ainsi en Indonésie, le rapport accuse " les plantations de servir souvent de couverture à l'objectif réel qui est l'abattage du bois ". Comme l'extension de routes qui, en passant dans des zones protégées, permettent de " récolter " des essences précieuses. La destruction des forêts tropicales met en péril la lutte contre le changement climatique. C'est au nom de cette menace qu'Interpol et le PNUE justifient leur mobilisation commune. La déforestation est à l'origine de 15 % environ des émissions de gaz à effet serre, soit autant que le secteur du transport au niveau mondial. Le commerce illégal sape, pour eux, les efforts entrepris pour freiner la déforestation à travers notamment le mécanisme REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts), qui prévoit de rémunérer les efforts de conservation sur la base des tonnes de carbone séquestrées. Cette initiative en discussion depuis des années est souvent présentée comme " l'arme lourde " pour protéger les bassins tropicaux. Des milliards de dollars ont déjà été investis, même si pour l'instant le REDD n'a d'existence que sur un marché carbone forestier volontaire ou sous forme de projets pilotes. Interpol et le PNUE, qui soutiennent cette idée, oublient toutefois de dire que le REDD est déjà la cible de fraudes. Les aventures des " carbon cow-boys " - ces trafiquants d'un nouveau genre qui surfent sur l'appétit de carbone forestier - témoignent d'un système lui aussi loin d'être sécurisé. Laurence Caramel
© Le Monde
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