22 août 2012
REPORTAGE
Le président et le vice-président de l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP) posent avec leur groupe armé, à Kikuku (République démocratique du Congo).
MICHELE SIBILONI POUR " LE MONDE "
Katwé et Kikuku (République démocratique du Congo) Envoyé spécial
A la frontière avec le Rwanda, les ex-rebelles intégrés dans l'armée régulière en 2009 retournent dans la brousse. Une myriade de groupuscules terrorise les civils et des massacres ont déjà eu lieu.
A la paroisse catholique de Katwé, chaque nuit commence avec le même rituel d'angoisse. On allume le générateur pour une poignée d'heures, afin de maintenir éclairées quelques ampoules bas voltage, tout en faisant claquer les énormes cadenas qui ferment les portes. Les pères s'enferment et guettent les bruits. Des coups de feu tout proches ? Encore l'oeuvre de l'un de ces groupes armés qui se bousculent dans la région. Soulagement : ils s'éloignent. L'attaque de la paroisse, ce ne sera pas pour cette fois encore. On ne saura jamais qui tirait ce soir-là, tant les suspects sont nombreux.
Le village voisin de Kikuku fait figure de capitale régionale pour les groupes armés qui gonflent à vue d'oeil depuis qu'une mutinerie a éclaté en avril, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). La mutinerie devenue rébellion, baptisée M23, était initiée par des officiers tutsi et soutenue par le Rwanda voisin. Depuis, les groupes anti-M23 champignonnent, notamment à Kikuku où cinq d'entre eux s'évitent le jour et se frôlent la nuit tandis que les honnêtes gens s'enferment à double tour, espérant ne pas entendre le pas des hommes en armes.
Vers Kikuku, on trouve des maï maï (guerriers traditionnels) du colonel Janvier Banyene, les plus organisés, ainsi que d'autres groupes similaires plus marginaux. Ils côtoient les éléments du colonel Bapfakururimi et ceux de deux formations rivales issues des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les combattants hutu rwandais. Certains sont cachés dans les environs, d'autres ont été intégrés dans les groupes congolais, qui se disputent ces combattants aguerris.
Alors la nuit, dans un quartier de Kikuku, difficile de savoir à qui appartient la voix qui sort de l'obscurité et demande, avec une douceur plus inquiétante que toutes les menaces : " Vous avez fait bon voyage ? " Renseignement pris, il s'agit d'un " responsable de la sécurité " du colonel Bapfakururimi. A cette heure tardive, ce dernier n'est pas visible, et ce n'est pas faute d'éclairage. " Pour l'audience, il faudra revenir demain ", car la nuit, on ne sait de qui (ses amis ou ses ennemis), il faut le plus se méfier à Kikuku.
Dans le village, à une journée de route de Goma, la capitale du Nord-Kivu, les deux matériaux dominants sont la terre crue et la planche. Les plus riches édifient des chalets en bois à un étage qui ressemblent à des cabines de bateau. Les plus modestes ont recours aux toits en feuilles de bananiers. Tous devraient prospérer grâce aux richesses du sol : bananes, manioc, haricots. Mais en ces temps de malheur, les groupes armés et les maladies semblent s'acharner sur Kikuku. Le wilt bactérien décime les bananeraies. La striure brune menace le manioc. Seuls prospèrent les groupes armés.
Pourtant, comme ils promettent de sauver le Congo, tous ces hommes en uniforme ! Le colonel Bapfakururimi, au matin, se présente avec une délégation de son groupe " politico-militaire ", l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP), qui recrute parmi les anciennes milices locales hutu. Le colonel, ancien responsable de la milice Mongol, avait été intégré dans l'armée régulière lors des derniers accords de paix (2009), mais mis en " dispo " (sans affectation). La fausse guerre et le vrai drame en cours - dont les principales victimes sont civiles - ont leurs racines dans cette intégration mal réalisée d'une foule de groupes armés et d'ex-rebelles dans une armée régulière sans colonne vertébrale.
Au premier signe de délitement, en avril, chacun est retourné en brousse, songeant déjà à peser dans les futures négociations et à obtenir le plus possible de grades de colonels, plus de positions lucratives au prochain plan de paix.
Cela n'empêche pas des tensions plus graves et profondes de resurgir. En témoignent les FDLR, rebelles hutu rwandais, dont les éléments les plus anciens sont des vétérans de la période du génocide contre les Tutsi, commis au Rwanda en 1994. Déjà, dans les années 1990, ces derniers venaient dans ce village à forte population hutu aider les milices locales à s'organiser. Certains de ces vétérans, dans le groupe de soldats qui entoure le colonel, demeurent discrets sur leur passé, et disent refuser de négocier leur retour au Rwanda.
Des groupes locaux ont été armés et payés par les autorités rwandaises pour assassiner ces responsables hutu, comme celui du maï maï Cheka, ancien marchand de minerais et bon vivant de Goma, devenu chef de guerre et chasseur de FDLR dans les collines.
Aujourd'hui, les combattants hutu sont très demandés. Le groupe armé du colonel Janvier, celui qui monte dans la région, riche de ses mines, de ses soutiens politiques et de la qualité de son organisation, tente aussi de les recruter. Moussa Juma Pili, commandant, responsable local du colonel Janvier, promet un marché simple comme bonjour aux FDLR : conquérir d'abord le Congo, puis porter la guerre au Rwanda. " On doit les aider à rentrer, on va ouvrir le mur sombre pour qu'ils rentrent dans leur pays ", affirme ce commandant maï maï - guerriers traditionnels ayant recours aux " protections " (dawa) élaborées par un " docteur " -, qui fait le décompte des " trois forces " sur lesquelles il compte pour ce vaste projet : " Dieu, créateur et maître de toutes les circonstances, les ancêtres et la population ". Avant toute chose, l'officier songe à s'emparer de tout le Congo : " Si on trouve les moyens logistiques, les armes lourdes et consorts, on peut prendre le pays en trente jours ", affirme-t-il.
Au bord du chemin, ces mots claquent comme des oriflammes dans le vent. En réalité, à ce stade, aucun de ces groupes n'a la moindre intention, ni la possibilité, d'étendre la guerre au-delà de leurs villages, et encore moins l'envie de se frotter aux défenses du Rwanda voisin. Mais dans l'incertitude des temps de crise, les idées meurtrières ne sont pas perdues pour tout le monde. Il y a déjà eu des massacres (parfois plus de cent personnes) sur des bases ethniques à moins de cent kilomètres. Au sein de la population en détresse, certains slogans de violence pourraient entraîner des passages à l'acte, avec la bénédiction de la plupart des groupes dont la longue liste sonne comme un poème tragique.
L'UPCP est dirigée par un ancien du Panam (Parti national maï maï), Céleste Kambale Malonga, qui promet de " se libérer du joug des agresseurs " et tire son inspiration des mongols, une milice hutu qui n'a rien à voir avec la Mongolie, son nom signifiant " obtenir quelque chose par la ruse ". Pour mieux comprendre son origine, il faut remonter le long fleuve de drames et de souffrances ayant coulé dans la région depuis les premiers grands massacres de 1993 en RDC. A l'époque, les Hutu avaient été visés par une coalition d'autres ethnies à la suite de manipulations politiques du pouvoir central.
Timothée Mbonabucya se souvient avoir vu " sa mère percée à coups de lance, avec son enfant dans le dos. C'était un mercredi ". Cette mémoire est enfermée dans la coque de ses souvenirs. En temps de crise, ce genre de traumatisme a pratiquement la puissance d'une grenade. Avant qu'on ne la dégoupille, il faut espérer qu'un arrangement politique viendra mettre fin à l'escalade toxique des groupuscules armés.
Viateur Mojogo, président du Pareco, anciens " auto-défenseurs des collines " impliqués dans le processus de paix précédent, l'appelle de tous ses voeux. Il connaît par coeur les mécanismes en cours, et distingue comment chaque formation est en train de recruter à tour de bras pour essayer de se positionner pour la prochaine distribution de postes. " Ce qui arrive est aussi le fruit d'une certaine légèreté au niveau de l'Etat. Mais s'il y a reprise des hostilités, le combat sera très farouche ", avertit-il.
Jean-Philippe Rémy
© Le Monde
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