Au sommet du G8 de L'Aquila, du 8 au 10juillet en Italie, la sécurité alimentaire sera une nouvelle fois au menu. Mais le sujet sera-t-il enfin pris au sérieux?
"De sommet en sommet, on assiste à de grandes déclarations sur la faim, et on lance des promesses de don. Mais il n'y a ni suivi ni sanctions", déplore Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation.
Il y a un an, du 3 au 6juin 2008, une "conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale" s'était tenue au siège de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) à Rome, réunissant quarante-deux chefs d'Etat et de gouvernement. 22milliards de dollars d'aides avaient été promis. La déclaration finale jugeait"urgent" d'aider les pays en développement et en transition à investir davantage et à développer leur production agricole et alimentaire. Mais seulement 2,5milliards de dollars (1,8milliard d'euros) ont effectivement été versés aujourd'hui.
Une partie des promesses étaient certes échelonnées sur cinq ans, d'autres sans précisions. Mais beaucoup d'engagements sont restés en suspens, la crise financière prenant le dessus. Il aurait pourtant suffi de moins d'un centième des sommes consacrées aux plans de relance et de sauvetage bancaire...
" Ce qui est important aujourd'hui, c'est de réaliser que le temps des paroles est désormais révolu ", a dit Jacques Diouf, directeur général de la FAO, début juin à propos de la crise alimentaire au Forum mondial des céréales à Saint-Pétersbourg. Ses mots sont le signe que très peu de décisions concrètes ont été prises pour relancer l'agriculture des pays pauvres ou mieux réguler les marchés.
Les prix agricoles se sont repliés à la suite de bonnes récoltes et les " émeutes de la faim " se sont éloignées. Mais la crise économique frappe encore plus durement. Le chiffre de 1milliard de personnes souffrant de la faim devrait être dépassé cette année, selon la FAO.
En dépit des bonnes intentions affichées, l'agriculture peine à redevenir une priorité. La part de l'aide publique au développement qui lui est consacrée a été divisée par plus de cinq en vingt-cinq ans, passant de 18,1% en 1979 à 3,5% en 2004, rappelaient des coalitions italiennes d'ONG et le CCFD Terre solidaire en avril, à l'occasion de la réunion des ministres de l'agriculture du G8. Ces organisations appelaient à retrouver le niveau d'il y a trente ans.
La question agricole dépend de trois agences de l'ONU - Programme alimentaire mondial (PAM), FAO et Fonds international pour le développement agricole -, ainsi que de l'Organisation mondiale du commerce, ce qui ne facilite pas son pilotage.
De plus, les Etats peinent à dépasser leurs intérêts divergents. En pleine crise, en 2008, ils n'avaient pu s'entendre sur des questions-clés comme les biocarburants, ou les subventions agricoles du Nord qui déstructurent les agricultures familiales du Sud. Depuis, le débat n'a pas avancé. Tout juste y a-t-il eu consensus sur les erreurs du passé, avec la dénonciation de la dépendance croissante des pays en développement envers les marchés agricoles mondiaux.
A la suite des politiques structurelles dictées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international dans les années1980 et 1990, les pays en développement ont délaissé les productions vivrières pour la culture et l'exportation de coton, de café ou d'autres produits tropicaux, et ont subi de plein fouet, vingt ans après, la flambée des cours des produits alimentaires. Tout le monde s'accorde donc sur la nécessité de soutenir l'agriculture paysanne... sans s'en donner pourtant les moyens.
D'autres sujets majeurs continuent à faire débat, tels que la libéralisation des échanges ou la régulation des marchés. Sur ce point, la crise financière a donné l'espoir que la réflexion s'engagerait. Le sujet devrait être évoqué à L'Aquila. Mais rien ne dit qu'il avancera réellement. "Des scénarios sont proposés, la volonté politique doit suivre désormais", martèle M.De Schutter.
MIEUX RéGULER LES MARCHéS
Une proposition faite par l'institut de recherche International Food Policy Research Institute (IFPRI) à New York, avec l'économiste en chef de la Banque mondiale Justin Lin, évoque ainsi trois lignes de défense face à une flambée des prix alimentaires comme celle de 2008: d'une part, une réserve alimentaire d'urgence, indépendante, pourrait être créée et confiée au PAM.
Ensuite, un système international de stocks publics de céréales, sous les auspices de l'ONU, pourrait être mis en place afin d'alimenter le marché en cas de déséquilibre.
Enfin, les pays participants s'engageraient aussi sur la constitution d'une réserve financière permettant d'intervenir sur les marchés dérivés agricoles en cas de flambée des prix due à la spéculation.
Les auteurs de ces propositions soulignent qu'elles complèteraient les autres réformes nécessaires des marchés agricoles: éviter les interdictions d'exportations auxquelles ont eu recours certains pays en 2008, mieux réguler les marchés physiques et les marchés dérivés. Mais beaucoup reste à faire: un rapport d'enquête bipartisan du Sénat américain publié mercredi 24juin et intitulé "Spéculation excessive sur le marché" du blé recommande de mieux cadrer les activités des fonds investissant sur les indices de matières premières.
Mais au final, très peu de réformes et d'actions ont déjà été engagées, alors qu'il est urgent d'agir. "Ce que nous avons vécu en 2008 doit être pris comme une alarme", rappelle Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO. Début juin, l'agence a annoncé que si "les disponibilités alimentaires mondiales apparaissent moins vulnérables aux chocs qu'elles ne l'étaient l'an dernier", il subsiste "des dangers potentiels".
Aussi, s'il faut se réjouir d'une production mondiale record qui permet aux stocks de se reconstituer, il faut noter qu'elle vient des pays riches et non des pays en développement importateurs, car ils n'ont pas eu les moyens d'investir dans des engrais ou de remettre des terres en culture.
MANQUE DE MOYENS
Les pays pauvres, et notamment africains, manquent de moyens pour mettre en place des politiques agricoles, ou tout simplement pour que les agriculteurs puissent participer au marché. Faute de silos, ils ne peuvent stocker leur production pour vendre au meilleur prix et, faute de routes ou de voies ferrées, ils ne peuvent acheminer leur production vers les lieux de vente. Le problème est connu, mais l'investissement pour les résoudre n'est pas financé.
Pourtant, la crise a bien fonctionné comme une alarme dans certains pays riches en capital, mais pauvres en terre et en eau - comme les Etats du Golfe - ou dont la population est nombreuse - comme l'Inde, la Chine et la Corée du Sud. En témoigne le phénomène d'accaparement des terres à l'étranger qui prend de l'ampleur. Ces Etats souhaitent en effet garantir par ce biais leurs approvisionnements en riz, en maïs ou en huile de palme.
La situation des pays pauvres a de quoi inquiéter. Les Objectifs du millénaire - la réduction de moitié d'ici 2015 du nombre de personnes souffrant de sous-alimentation - avaient été réaffirmés au sommet de Rome en juin2008. Désormais, M.Diouf estime qu'ils ne sont "plus réalistes". "Un monde affamé est un monde dangereux", prévient Josette Sheeran, la directrice du PAM. La prise de conscience ne suffit plus.
Sur les 22 milliards de dollars promis il y a un an pour relancer l'agriculture dans les pays pauvres, seuls 2,5 milliards ont été versés
Les Etats peinent à s'accorder sur les solutions concrètes