23 décembre 2010
Face aux mises en garde du Quai d'Orsay concernant certains pays d'Afrique, des voyagistes imaginent des destinations inédites
Randonnée à dos de chameau à Tataouine, dans le sud Tunisien.
Où partir cet hiver si on aime marcher dans le désert ? La question, au moment où le ministère des affaires étrangères cherche à dissuader les voyages dans la plupart des pays du Sahara, est moins futile qu'elle ne le paraît. En septembre 2009, l'enlèvement dans le nord du Niger de sept personnes travaillant pour le groupe industriel français Areva, revendiqué par l'organisation Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a déclenché l'alarme.
Le Niger, mais aussi la Mauritanie, l'Algérie et une partie du Mali ont été placés en " zone rouge ", c'est-à-dire fortement déconseillée par le quai d'Orsay. Tant pis pour les 50 000 à 100 000 voyageurs qui effectuent, chaque année, une " randonnée chamelière " : un circuit à pied accompagné de chameaux transportant les vivres. Privés de désert, ils ont renoncé aux sables de Chinguetti (Mauritanie) et aux rocailles du Hoggar, dans le Sud algérien.Sur place, les conséquences sont parfois dramatiques. Il y a un an exactement, la compagnie Point Afrique inaugurait en grande pompe, avec 150 invités venus de France, un vol direct entre Paris et Timimoun, une oasis située en plein centre de l'Algérie. Aujourd'hui, les vols ont été suspendus et la petite ville a retrouvé sa torpeur, plongeant hôteliers, guides et chameliers dans l'inactivité.
Tamanrasset, plus au sud, ne mise que sur la clientèle locale, " Algériens ou expatriés vivant à Alger ", témoigne Nicolas Loizillon, conseiller de l'agence Akar-Akar.
La malédiction frappe aussi le port de Mopti, sur le fleuve Niger, au Mali, et atteint le pays dogon, qui concentre, en temps normal, 80 % du tourisme malien. Dans cette région - marquée en orange (" déconseillée sauf raisons impérieuses ") par le Quai d'Orsay depuis la mi-novembre -, " on ne court aucun danger, par plus que dans l'Adrar, en Mauritanie ", affirme pourtant Maurice Freund, fondateur de Point Afrique.
Afin de surmonter la peur des voyageurs et de leur entourage, la compagnie proposait, voici quelques semaines, des vols Paris-Mopti au prix concurrentiel de 99 euros l'aller. Sans aucun succès. " Ça m'a rapporté quatre clients ", lâche le voyagiste.
Seuls quelques habitués bravent les interdits. Anne-Marie Yeromonahos, une voyageuse francilienne qui ne saurait vivre sans sa " dose de désert " annuelle, passera la semaine du Nouvel An en Mauritanie. " Si les voyageurs anonymes cèdent à un excessif principe de précaution, les Sahariens seront les premières victimes ", affirme-t-elle, en ajoutant que le voyage dans ces pays menacés constituerait " un moyen de combattre le terrorisme ".
D'autres touristes, moins conscients ou plus craintifs, se rabattent vers des destinations considérées comme sûres. L'Egypte, où le tourisme constitue un produit à haute valeur ajoutée, en profite pour vanter son " désert blanc ". Située à cinq heures de route au sud-ouest du Caire, cette petite région réserve " des paysages tout à fait originaux, faits de pitons de craie qui rappellent un musée d'art moderne ", assure Thierry Laprévote, fondateur de l'agence de voyages Zig-Zag à Paris. La destination, assure le spécialiste, " attire des centaines de personnes, soit le double de l'an dernier ", au point d'obliger les voyagistes à une logistique complexe, car " la région compte peu de chameaux ".
La Tunisie et le Maroc, bien que peu réputés pour le tourisme de désert, redeviennent attrayants. Le Sud marocain constitue, cet hiver, la première destination vendue par l'agence La Balaguère. La Tunisie souffre certes " de son image de destination de masse, mais on y trouve, loin des lieux fréquentés, de grandes dunes propices à la réflexion intérieure ", détaille Elisabeth Verret, fondatrice de l'association L'Ami du vent, un voyagiste spécialisé situé à Thionville (Moselle). Au Moyen-Orient, le Wadi Rum (Jordanie) et le sultanat d'Oman bénéficient également du report d'une partie de la clientèle saharienne. Toutefois, pour Christophe Leservoisier, fondateur du tour-opérateur lyonnais Atalante, " seul le Sahara offre à la fois la beauté des paysages et la saveur des rencontres denses avec des nomades ".
Tablant sur cette passion des Français pour le Sahara, M. Freund ouvrira, en février 2011, une ligne aérienne entre Paris et Faya-Largeau, au nord du Tchad. Le massif de l'Ennedi, avec ses " tassilis remarquables et ses arches de 30 mètres de haut ", réunit, selon lui, " toutes les conditions " pour satisfaire les marcheurs, qui doivent jusqu'à présent atterrir à N'Djamena puis rouler trois jours sur de redoutables pistes avant d'atteindre le lieu de randonnée. La menace terroriste favorise aussi la conversion touristique de la riche Libye, désireuse de ne plus compter sur les seuls revenus du pétrole.
" On sent une augmentation de la clientèle touristique ", admet Najoua Mahmoud, responsable de la compagnie libyenne Afriqiyah Airways à Paris. Le désert libyen, boudé par les Français au lendemain de la visite de Mouammar Kadhafi à Paris, fin 2007, redevient tendance, malgré l'obligation de se faire accompagner d'un détachement de la " police touristique " au service du colonel. Car, en Libye comme en Tunisie ou en Egypte, la dictature " présente au moins l'avantage de permettre une protection des touristes ", estime Mme Verret, de L'Ami du vent.
Olivier Razemon
© Le Monde