27 mai 2012
(PRESQUE) PLUS PERSONNE N'EN PARLE
New Delhi, correspondant régional
Le Prix
Nobel de la paix 2006 avait été écarté il y a un an de la tête de la
Grameen Bank, vitrine de son expérience de microcrédit, par le
gouvernement du Bangladesh. La cabale officielle n'a toutefois pas mis
un terme à son autorité
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REUTERS
Voilà un an qu'il a
chuté. Une année de repli et d'effacement, mais l'homme est loin
d'avoir disparu : son ombre continue de peser sur le Bangladesh. Le 12
mai 2011, Muhammad Yunus avait été contraint à la démission de son poste
de directeur général de la Grameen Bank à l'issue d'une cabale
gouvernementale. L'affaire avait fait grand bruit car M. Yunus est le
Bangladais le plus connu à travers le monde.
A la tête de sa Grameen Bank (" banque du village "), basée à Dacca, la capitale, le professeur Yunus s'est rendu célèbre par son rôle pionnier dans l'expérience du microcrédit, un outil de lutte contre la pauvreté qui a essaimé aux quatre coins de la planète. En 2006, le prix Nobel de la paix l'a consacré icône internationale. La disgrâce du " banquier des pauvres " dans son propre pays, aussi fâcheuse qu'elle fût pour l'image du Bangladesh, n'avait au fond rien de si étonnant. La gloire du professeur Yunus avait fini par attiser d'âpres jalousies locales. La première ministre, Sheikh Hasina, la fille du " père de la nation ", Sheikh Mujibur Rahman - héros de la guerre d'indépendance du Bangladesh en 1971-1972 -, nourrissait une aversion non dissimulée pour ce M. Yunus qui concentrait sur sa seule personne les projecteurs étrangers. Dans les allées du pouvoir, des conseillers aux motivations plus idéologiques rêvaient d'en découdre avec ce que symbolisait M. Yunus : la mouvance des organisations non gouvernementales (ONG) aux connexions internationales jugées suspectes. L'orage a éclaté début 2011. Le clan autour de Mme Hasina a tiré parti d'un documentaire critique de la télévision norvégienne sur l'oeuvre de Yunus pour déclencher l'assaut. Mme Hasina dénonça les " suceurs du sang des pauvres " que représentaient, à ses yeux, les institutions de microcrédit. L'attaque était fort opportune : après des années de célébration lyrique, des dérives mercantiles commençaient à entacher le secteur du microcrédit, dont certaines entités pratiquaient des taux usuriers et acculaient les emprunteurs au surendettement. Le modèle était en crise et le gouvernement du Bangladesh portait le fer dans la plaie. Haro sur Yunus ! L'offensive de déboulonnage recourut à des motifs bien futiles : l'" âge du capitaine ". On reprocha au professeur d'avoir dépassé de dix ans l'âge requis pour être patron de la Grameen Bank. Après une bataille judiciaire perdue, M. Yunus jeta l'éponge. " Suceur de sang " Un an plus tard, l'heure est à la " drôle de guerre ", selon le mot d'un observateur étranger. En surface, le climat est à l'apaisement. La première ministre ne traite plus M. Yunus de " suceur de sang ". Elle a même suggéré, en février, sa nomination à la présidence de la Banque mondiale. L'initiative était plutôt étrange, car l'apôtre du microcrédit n'était nullement candidat et, surtout, n'avait jamais ménagé ses critiques contre l'institution de Washington. " Un tel geste venant après sa mise à l'écart de la Grameen Bank n'était pas sérieux, c'est une plaisanterie ", commente David Bergman, rédacteur en chef du quotidien bangladais New Age. Au moins les invectives publiques avaient-elles cessé. Mme Hasina a compris tout le tort que l'affaire avait causé à la réputation du Bangladesh, notamment aux Etats-Unis. De passage à Dacca, le 6 mai, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a mis en garde le gouvernement contre toute tentation d'" affaiblir " la Grameen Bank ou d'" interférer " dans son fonctionnement. M. Yunus aura encore bien besoin d'appuis extérieurs, car la partie de bras de fer n'est pas close. Le pouvoir veut prendre le contrôle de la banque, qu'il considère comme une entité gouvernementale (alors que sa part dans le capital est très minoritaire), et notamment des activités d'" entrepreneuriat social " qui lui sont liées. Les résistances demeurent vives. Un an après le limogeage de M. Yunus, aucun successeur n'a pu être désigné. Le conseil d'administration, composé majoritairement de pro-Yunus, tient tête aux manoeuvres officielles. Pendant ce temps, M. Yunus continue d'exercer une influence informelle et sillonne la planète pour défendre son oeuvre. Frédéric Bobin
© Le Monde
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