23/05/2009

En Afrique, l'Européen filme la tragédie, l'Africain la vie


24 mai 2009




















" Mon voisin, mon tueur ", d'Anne Aghion. DR

" Min Ye " est un drame de la bourgeoisie de Bamako raconté par l'un des siens, Souleymane Cissé

L'Armée silencieuse Sélection officielle/ Un certain regard

Mon voisin mon tueur Sélection officielle/ Hors compétition

Min Ye Sélection officielle/ Hors compétition

Sur la planète cinéma, la place de l'Afrique n'est pas très différente de celle qu'elle occupe dans le monde globalisé. Les réalisateurs des pays plus riches y trouvent la matière première de fictions ou de documentaires. Et pas plus que l'on achète des chaussures ou des voitures fabriquées au sud du Sahara, on ne va voir des films qui y ont été produits.

Cette année à Cannes, trois films ont illustré cet état de fait. L'Armée silencieuse, du Néerlandais Jean Van De Velde, met en scène, à la mode du film d'aventures, la tragédie des enfants soldats d'Ouganda. Documentaire réalisé par une Française, Anne Aghion, Mon voisin mon tueur évoque avec précision et rigueur les tribunaux mis en place par le pouvoir rwandais dans le but proclamé de soigner les séquelles du génocide de 1994. Et comme un pied de nez à ces tragédies automatiquement associées à l'Afrique, Min Ye, du vétéran malien Souleymane Cissé, seul film réalisé par un Africain, est un drame bourgeois de la jalousie.

A plusieurs reprises, les personnages de L'Armée silencieuse reprochent au monde son indifférence face au drame des enfants enrôlés de force. Les rebelles chrétiens du film de Van De Velde sont inspirés de l'Armée de résistance du seigneur qui terrorise le nord de l'Ouganda depuis plus de vingt ans. Sans doute dans l'espoir de briser cette indifférence, le scénario imagine que l'un des enfants enlevés, forcé de tuer un parent, puis un camarade, est l'ami d'un petit Européen, Néerlandais en l'occurrence. Le jeune Tommy et son père se lancent sur les pistes dans l'espoir de libérer l'enfant.

PUDIQUES ELLIPSES

Le jeu incertain des acteurs néerlandais et les libertés résolument prises avec la vraisemblance s'entrechoquent violemment avec ce que L'Armée silencieuse veut montrer du sort des enfants soldats. La transformation de petits enfants en êtres dépourvus d'affect, prêts à tous les crimes, réclame une mise en scène autrement réfléchie que les pudiques ellipses qu'a choisies Van De Velde entre deux scènes d'action, qui ressemblent aux parents désargentés des films hollywoodiens sur ce sujet, Blood Diamond ou Lord of War.

Le génocide des Tutsi rwandais par le pouvoir hutu est l'autre stigmate que porte l'Afrique, depuis 1994. Pour, sinon l'effacer, du moins le rendre supportable, le pouvoir rwandais a institué les tribunaux gacaca, une dizaine d'années après l'assassinat d'environ 800 000 morts, tutsi ou opposants hutu aux tueurs. Les tribunaux gacaca ne sont pas destinés à punir les génocidaires mais à les forcer à reconnaître leurs crimes et à demander pardon aux survivants. Les sessions se tiennent sur chaque colline. Sur l'une d'elles, Anne Aghion a suivi le difficile travail qui oppose plusieurs femmes (une Hutu a vu ses enfants, nés d'un Tutsi, massacrés à coup de machettes sous ses yeux) au chef local des tueurs.

Réalisé avec une extrême sobriété, monté rigoureusement, si bien qu'aucun commentaire n'est nécessaire, Mon voisin mon tueur ignore délibérément le contexte politique, la stratégie de maintien au pouvoir du Front patriotique rwandais de Paul Kagame et la contribution que les tribunaux gacaca y apportent. Mais il était sans doute plus important de saisir la réalité humaine de ces confrontations, ces moments où l'indicible est dit, où les limites de la justice et du pardon sont atteintes et où pourtant, la vie continue.

Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard si Souleymane Cissé a choisi d'ignorer la violence, la misère ou la maladie. En 1995, son précédent film, Waati, évoquait la fin de l'apartheid. Revenu filmer au Mali, Cissé raconte l'histoire d'un cinéaste qui aime une femme impossible, médecin brillante et ambitieuse, infidèle de surcroît. Mimi (Sogona Gakou) est une force de la nature auprès de laquelle les autres pâlissent. Elle prend de front les obstacles qu'elle rencontre, la première épouse de son mari, la jalousie de la femme de son amant.

Souvent répétitif, et donc trop long, Min Ye n'en reste pas moins une double bonne nouvelle : Souleymane Cissé s'est remis au cinéma, et il a réalisé un film entièrement nouveau.

Thomas Sotinel

L'Armée silencieuse, film néerlandais de Jean Van De Velde.

Avec Marco Borsato, Andrew Kintu. (1 h 32)

Mon voisin mon tueur, film documentaire français d'Anne Aghion.

(1 h 20)

Min Ye (Dis-moi qui tu es), film malien de Souleymane Cissé.

Avec Assane Kouyaté, Sogona Gakou. (2 h 15)

© Le Monde



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