07/09/2011

La révolution en Libye fragilise le Sahel


8 septembre 2011
Alger Envoyée spéciale
Réunis à Alger, les pays de la région aux prises avec le terrorisme expriment leurs inquiétudes




Le chantier de la lutte antiterroriste est immense, l'avenir rempli de craintes en raison de la situation en Libye et de ses répercussions potentielles. C'est avec ces préoccupations communes que s'est ouverte, mercredi 7 septembre, à Alger, une conférence internationale sur la lutte antiterroriste et la criminalité autour de quatre pays du Sahel, l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger, à laquelle ont été conviées 38 délégations internationales, dont l'Union européenne et les Etats-Unis. Pour l'Algérie, puissance invitante, cette initiative, prévue de longue date, ne pouvait pas mieux tomber.
Accusée par les rebelles libyens pour son soutien supposé, malgré ses dénégations, au régime de Mouammar Kadhafi - dont elle vient d'accueillir des membres de la famille -, l'Algérie est confrontée à une situation inédite : deux de ses frontières sont fermées. La première, avec le Maroc, l'est depuis des années ; la seconde fermeture, sur près de 2 000 km, est bien plus récente et concerne la Libye, par crainte de débordements.
Plus de 500 Touareg algériens, qui se disent victimes de représailles de la part des rebelles, auraient récemment reflué en Algérie. " Nous avons accueilli jusqu'ici 45 nationalités différentes et plus de 6 000 Algériens, sur les 8 000 qui travaillaient en Libye ", a affirmé au Monde, mardi soir, Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des affaires maghrébines et africaines.
" L'Algérie a eu du mal à trouver où placer le curseur sur le conflit libyen, relève Manuel Lopez Blanco, directeur de la Commission européenne pour l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique centrale et les Caraïbes, mais cette conférence vient à point nommé pour nous permettre de réexaminer notre stratégie. "
A l'unisson, les participants à la conférence partagent les mêmes inquiétudes : la circulation des armes, facilitée par le conflit libyen, dans une région où opèrent déjà les djihadistes d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et surtout le retour de mercenaires et de migrants armés dans des pays voisins, sources potentielles de déstabilisation. " Nous redoutons ces retours dans des pays déjà extrêmement pauvres, acquiesce Gilles de Kerchove, coordinateur de la lutte antiterroriste de l'Union européenne (UE). Nous devons prendre l'initiative le plus tôt possible d'un désarmement - des combattants libyens - . "
Démenti formel de Niamey
L'UE a déjà annoncé une rallonge de 150 millions d'euros, sur une enveloppe régionale globale de 650 millions d'euros, pour les seuls pays du Mali, de la Mauritanie et du Niger. " Ces pays ne doivent pas être abandonnés, ce qui s'y passe nous concerne aussi ", souligne un diplomate français.
Embarrassé, le Niger doit aussi se défendre, après l'Algérie, d'accueillir sur son territoire des proches du colonel Kadhafi. Mohamed Bazoum, ministre des affaires étrangères, dément ainsi formellement l'existence d'un convoi de 200 véhicules qui aurait franchi sa frontière mardi matin. " Je l'aurais su, ce n'est pas possible ", tranche-t-il. " Un premier convoi de neuf personnes est arrivé dimanche matin avec Abdallah Mansour, qui était un chef du renseignement libyen, notre vis-à-vis sur la question touareg, et d'illustres inconnus, relate M. Bazoum. Nous les avons désarmés et convoyés jusqu'à Niamey puis un autre petit groupe est arrivé, avec un blessé. "
Niant l'existence d'un accord avec le Burkina Faso ou le Mali pour accueillir le colonel Kadhafi, le ministre nigérien ajoute : " Si Kadhafi se présentait, ce serait un problème pour nous, mais il n'a aucune famille au Niger. Les derniers membres de sa tribu, les Kadhafa, ont quitté notre territoire en 1985. " Le Niger - qui a reconnu le Conseil national de transition (CNT) libyen -, ajoute-t-il, " a pour seul objectif d'empêcher les Touareg arabes nigériens de rentrer avec leurs armes ".
Le pays, qui a intercepté au mois de juin 500 kg de Semtex, un explosif, en provenance de Libye, réclame sans complexe l'aide internationale et en particulier celle de la France. " Le pillage des arsenaux, la distribution d'armes par Kadhafi mais aussi, de façon anarchique, dans le camp adverse, par l'OTAN, les nombreux vols de Toyota en Libye, tout cela favorise la logistique du crime ", souligne M. Bazoum. La délégation française relativise ces craintes. " Il n'y a pas beaucoup d'éléments tangibles sur la circulation de missiles ou d'armes lourdes ", souligne un diplomate, plus soucieux de tordre le cou " au fantasme permanent d'une réinstallation d'une base française au Sahel ".
C'est en effet le grief formulé à mots couverts par Alger, et dont s'est fait amplement l'écho la presse nationale. L'intervention de la France en Libye, la multiplication de ses partenariats avec les pays voisins font craindre un " encerclement " français : avec ce sommet sur la lutte antiterroriste, l'Algérie, incontournable sur ce sujet dans la région, espère sortir de son isolement.
Isabelle Mandraud
© Le Monde

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