14/10/2010

Al-Qaida, une tentation pour de jeunes Touareg


15 octobre 2010

Les conditions de vie difficiles et l'attrait de l'argent facilitent le recrutement de jeunes nomades par AQMI

Au lendemain d'un raid de l'armée mauritanienne mené au nord de Tombouctou, sur le territoire malien, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avait publié, le 20 septembre, un communiqué dans lequel l'organisation dénonçait la mort de civils, et présentait ses condoléances à des tribus maures et aux " Touareg de l'Azawad ". Cette référence, qui désigne par extension l'ensemble des Touareg de la région du nord du Mali, a conforté les services de renseignement occidentaux dans leurs craintes : les combattants d'AQMI entretiendraient des relations de plus en plus étroites avec les Touareg sur des territoires où les uns et les autres se croisent depuis le milieu des années 2000.
" Avec le temps, il y a eu des mariages, et les échanges commerciaux se sont développés, mais AQMI reste un corps étranger ", relativise Pierre Boilley, spécialiste des peuples nomades qui dirige le Centre d'études des mondes africains du CNRS. Auteur notamment d'un livre consacré aux Touareg Kel Adagh du nord du Mali (éditions Karthala, 1999), il note néanmoins une plus grande proximité entre " salafistes " et jeunes Touareg. " Beaucoup échappent au contrôle des anciens et certains peuvent être séduits par un discours antioccidental ".
Comme lui, de plus en plus de chercheurs renoncent à se rendre dans cette région classée zone rouge (" déconseillée sauf motifs impérieux ") par le Quai d'Orsay. " Le fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS envoie mail sur mail, soupire M. Boilley. Maintenant, je suis un otage potentiel. " Un message que les amis touareg ont fait eux-mêmes passer, par crainte de ne pas pouvoir assurer la sécurité de leurs invités. Les enlèvements d'Occidentaux passeraient par des " intermédiaires " touareg rétribués par AQMI. Une aubaine dans une région pauvre.
" Je ne suis pas étonnée, c'est un terreau extrêmement favorable, affirme Linda Gardelle, chercheuse-enseignante, auteur de Pasteurs touaregs du Sahara malien (Buchet-Chastel 2010). Les Touareg vivent dans une région très isolée, sans développement, et les jeunes ont le sentiment qu'ils n'ont pas d'avenir. "
L'essor, depuis quelques années, du trafic de drogue, qui " prend des proportions inquiétantes ", selon M. Boilley, et la prise d'otages auraient facilité des rapprochements. " Quand on vous propose 1 million de francs CFA (près de 1500 euros) pour un enlèvement, c'est normal que les rangs d'AQMI grossissent, le choix est vite fait ", souligne Abdoulaye Tamboura, doctorant à l'université de Paris-VIII, et coauteur d'une étude, en 2007, sur les crises touareg au Mali et au Niger, à l'Institut français des relations internationales. " Depuis les années 2002-2004, ajoute-t-il, le danger salafiste était connu mais personne ne l'a pris au sérieux. "
Les rencontres se sont multipliées dans une région difficile d'accès. Les membres de la katiba (groupe) d'Abdelhamid Abou Zeid, l'un des chefs d'AQMI qui a revendiqué le rapt des sept employés d'Areva et de Satom au Niger, dans la nuit du 15 au 16 septembre, se sont installés à l'est de la zone touareg, tout près, dans le massif de Timétrine qui abritait la rébellion touareg au milieu des années 1960. " Il y a des sources d'eau et des caches, explique M. Boilley. Ce n'est pas l'Afghanistan, mais c'est une zone difficile. " La période où Touareg et combattants d'AQMI se heurtaient a pris fin. " En 2007, il y a eu des accrochages car les services algériens ont fourni des armes aux Touareg pour combattre les salafistes, mais ensuite ils se sont réconciliés ", déclare M. Tamboura. Dans les rangs d'AQMI est ainsi apparu un nouveau nom, Abdelkrim le Touareg, sans que l'on sache qui il est réellement. Et les Etats, malgré la méfiance qu'ils suscitent, tentent désormais de retourner la situation en enrôlant des Touareg pour affronter AQMI.
L'échec des rébellions touareg a laissé chez les jeunes un sentiment profond d'amertume. " Les Etats malien et nigérien ont essayé de résoudre les problèmes en donnant des sous à quelques nobles, mais les autres n'ont rien eu et la région est totalement délaissée ", affirme M. Tamboura. A cela s'ajoute un autre élément avancé par tous les connaisseurs de la région : l'image dégradée de la France, vécue comme une puissance exploitante qui expulse des étrangers. Dans ce contexte, beaucoup constatent une rutpture quasi générationelle. " Ceux qui s'en sortent le mieux sont ceux qui vivent en campement dans le groupe, mais les jeunes envoyés par leurs familles dans les banlieues de Gao ou Tombouctou pour faire deux, trois années d'école sont en perte complète de repères, assure Mme Gardelle. Ils y apprennent des programmes scolaires qui ne mettent pas du tout leur culture en valeur. "
Malgré la présence de nombreux prédicateurs venus du Pakistan dans la région, depuis le milieu des années 1990, le risque d'un radicalisme religieux paraît peu élevé comparé à l'attrait de l'argent, généré par la drogue et les enlèvements. " Cela reste de la sous-traitance, car je suis persuadé que la grande majorité des Touareg, qui pratiquent un islam modéré, n'aiment pas AQMI ", affirme M. Boilley.
Dans un entretien au quotidien algérien El-Watan, le 11 octobre, le chef des Touareg du Sud algérien, Ibedir Ahmed, laissait percer son inquiétude : " Ce n'est pas évident de se faire entendre comme avant, déclarait-il. Les jeunes d'aujourd'hui sont moins réceptifs. (...) Avant, la parole était unifiée et se répandait comme un éclair. (...) Aujourd'hui, il est difficile de les obliger à respecter un ordre établi par la communauté. "
Isabelle Mandraud
© Le Monde

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