23/09/2008

Pour une sécurité alimentaire mondiale

24 septembre 2008
Les initiatives prises pour lutter contre la faim dans le monde ne doivent pas déboucher sur de nouveaux déséquilibres Nord-Sud





Lors de la séance inaugurale de la Conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire à Rome le 3 juin, j'indiquais que " la solution structurelle au problème de la sécurité alimentaire dans le monde, c'est l'accroissement de la productivité et de la production dans les pays à revenu bas et à déficit vivrier. Cela suppose des solutions novatrices et imaginatives. Il faudra développer des accords de partenariat entre, d'une part, les pays qui ont des ressources financières et, d'autre part, ceux qui ont des terres, de l'eau et des ressources humaines. Ainsi seulement sera-t-il possible d'assurer des relations internationales équilibrées pour un développement agricole durable ".

S'il faut reconnaître, avec satisfaction, que de nombreuses initiatives ont été prises récemment dans ce sens en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Europe de l'Est, les modalités de leur mise en oeuvre dans certains cas sont un motif certain de préoccupation et exigent l'adoption rapide de correctifs appropriés. En effet, certaines négociations ont abouti à des relations internationales déséquilibrées pour une agriculture mercantile de court terme.

L'objectif devrait être la création de sociétés mixtes dans lesquelles chaque partie apporterait une contribution en fonction de son avantage comparatif. L'une assurerait le financement, la capacité de gestion et la garantie d'un marché pour les productions. L'autre fournirait les terres, l'eau et la main-d'oeuvre. Les complémentarités dans l'expertise technique, économique, comptable, fiscale et juridique ainsi que la connaissance de l'environnement écologique, social et culturel constitueraient le socle solide d'un partage des risques et des bénéfices dans une coopération de longue durée.

Ce que l'on constate cependant, c'est une propension à l'appropriation par l'une des parties de ce qui aurait dû être l'apport de l'autre partenaire. Achat de terres et baux de longue durée semblent avoir la préférence des investisseurs étrangers. Même dans certains pays où la terre est un bien comme un autre, objet d'échange et de spéculation ou refuge contre l'érosion monétaire, les revendications et protestations des travailleurs agricoles et des populations indigènes ne sont pas rares.

Dans d'autres, l'appropriation et la distribution des terres sont des sources de conflits latents. Si on ajoute la valeur émotionnelle, voire mystique, de ce qui est un des fondements de la souveraineté nationale, on imagine aisément les risques d'explosion sociale lorsqu'elle tombe entre des mains étrangères.

Or ce problème est réel à l'échelle planétaire si l'on prend en compte l'importance des fonds spéculatifs et l'augmentation du coût des terres dans un monde qui, d'ici à 2050, devrait doubler sa production pour faire face notamment à l'accroissement de la population mondiale et à la demande des pays émergents. L'exploitation des ressources naturelles dans le seul souci de la rentabilité financière n'est pas propice au type de production qui préserve le stock minéral et organique des terres ou empêche les brûlis et la déforestation. Elle ne permet pas non plus l'utilisation judicieuse des engrais et des pesticides pour éviter les pollutions.

PACTE NÉOCOLONIAL

Elle n'encourage ni la coexistence entre " labourage et pâturage " ni la rotation culturale propice à la lutte biologique et aux restitutions des éléments nutritifs exportés par les plantes. Elle risque d'entraîner l'émergence d'un pacte néocolonial pour la fourniture de matières premières sans valeur ajoutée dans les pays producteurs et des conditions de travail inacceptables pour les ouvriers agricoles.

Il convient donc d'éviter un mauvais usage d'une bonne idée. Ces investissements étrangers directs dans l'agriculture devraient permettre de générer des emplois, des revenus et des aliments, tout en favorisant l'amitié entre les peuples. C'est pourquoi la FAO a engagé une réflexion sur les conditions de succès de partenariats internationaux dans la production alimentaire. Quelles garanties pour les deux parties, quels facteurs incitatifs ? Quel cadre juridique ? Quelles conditions de production, de commercialisation et de transformation des produits ? Quel contrat social pour les travailleurs ? Quels bénéfices économiques pour les Etats, les petits agriculteurs et le secteur privé ?

Il s'agira de répondre à ces questions, après une réflexion interdisciplinaire interne et des consultations d'experts dans les centres d'excellence sur ces questions, en vue d'organiser une discussion intergouvernementale dans le forum neutre qu'est la FAO. L'adoption, par consensus, d'un cadre référentiel international permettrait ainsi d'éviter les problèmes qui se profilent à l'horizon de la sécurité alimentaire mondiale et de tirer profit, avec le sens de la mesure, des opportunités de la demande agricole croissante. " Gouverner c'est prévoir ", tant au plan national qu'international.

Jacques Diouf

Directeur général de l'Organisation

des Nations unies pour l'alimentation

et l'agriculture (FAO)

© Le Monde

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