30/07/2013

Conforter la démocratie, unifier le Mali : le président élu aura fort à faire


31 juillet 2013



A Sévaré, le décompte des bulletins de vote sous le regard des observateurs.
SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS POUR " LE MONDE "
Le bon déroulement du scrutin malien ne masque pas l'ampleur des défis à venir




Il n'y a pas eu de violences lors du premier tour de l'élection présidentielle au Mali, dimanche 28 juillet. Voici déjà une bonne raison de se féliciter. A ce stade, les attentats annoncés par le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) n'ont pas eu lieu. Cette tentative de bloquer le scrutin dès le premier tour a donc échoué. La participation, selon les premières estimations communiquées lundi par la mission des observateurs de l'Union européenne, aurait dépassé les 50 %. Le président par intérim, Dioncounda Traoré, a même déclaré en votant dimanche : " De mémoire de Maliens, c'est le meilleur scrutin qu'on organise depuis 1960 - année de l'indépendance - . "
Il s'agit moins d'un diplôme d'excellence décerné au scrutin du jour, que de l'aveu, en creux, de traditions électorales délétères dans un pays où, pourtant, les groupes d'observateurs ont constamment exprimé leur satisfaction à chaque élection depuis la chute, en 1991, du dictateur Moussa Traoré (qui coule des jours heureux dans le pays), tout en reconnaissant quelques " défauts " à des scrutins contestés par l'opposition, pour de bonnes raisons.
Voici le Mali devant le piège d'une nouvelle élection " à défauts ", que ne compense pas le fait qu'elle se tienne sous protection internationale, l'armée malienne étant appuyée par la mission des Nations unies, elle-même soutenue par des troupes françaises de l'opération " Serval ".
Les risques des élections approximatives tenues sous protection internationale sont connus : le cas du Congo-Kinshasa, où la fin du conflit a été annoncée un peu vite, alors que s'y rallument les mêmes foyers d'instabilité, est là pour le rappeler. Pour savoir si le Mali va échapper à cette spirale de l'échec, il ne lui suffira pas de voir s'organiser des élections sans violence. Il faut aussi que le scrutin apparaisse comme légitime à sa population, comme à ses voisins. Or il existe des incertitudes sur ce premier tour, comme, par exemple, le nombre exact d'inscrits n'ayant pu voter, quoique en possession de leur carte d'électeur. Ou encore le fait que des jeunes, des déplacés, des réfugiés, des Maliens de l'étranger (voir l'inexplicable chaos à Paris) n'aient pu voter.
Cette zone d'ombre, ainsi que d'autres encore, est de celles qui ont détruit la réputation des élections passées dans le coeur des Maliens. La preuve : à peine un tiers des inscrits allait glisser son bulletin dans l'urne dans le Mali si démocratique en apparence d'avant le coup d'Etat. Encore une partie de ces votes était-elle achetée.
Parallèlement à ce travail de sape, une dégradation du fonctionnement de l'Etat s'est engagée dans le pays. Les trafics de stupéfiants ont touché les plus hautes sphères, politiques ou militaires. Une industrie des otages est née, qui avait ses clients. Les chefs d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), venus d'Algérie, traitaient avec des intermédiaires qui avaient leurs entrées au palais présidentiel.
Puis l'armée s'est effondrée et le pouvoir est tombé. Début 2012, alors que les militaires maliens subissaient des revers au nord, face à une coalition de groupes armés (touareg et djihadistes), plusieurs coups d'Etat étaient en préparation à Bamako. C'est finalement un groupe d'outsiders qui a ramassé le pouvoir, composé de sous-officiers, d'hommes du rang et d'officiers subalternes, avec un capitaine à sa tête. Ensuite, l'armée a cessé de combattre. Les putschistes, à Bamako, ne sont jamais montés armes à la main vers le nord, dont la conquête a été achevée en quelques semaines par la coalition rebelle, d'où ont émergé bientôt AQMI, le Mujao, et leurs alliés.
Est-ce que l'Etat malien s'est alors effondré, comme on le dit si souvent ? La réponse est complexe. Dans la moitié du sud du pays, on a continué à travailler ; l'administration s'est redéployée. On a même augmenté de 15 %, au cours de 2012, la production d'or, dont le Mali est le troisième producteur africain, pour atteindre 50 tonnes (20 % du PNB). Mais on ignore la manière dont les taxes versées par les groupes miniers ont été utilisées. On ignore aussi dans quelles circonstances le dernier conseil des ministres, le 24 juillet, a conclu l'attribution de trois blocs pétroliers dans la région du bassin de Taoudéni. Les signatures de ce type s'accompagnent en général de confortables " bonus ".
C'est autour de ces questions et de la façon dont le futur président parviendra, ou pas, à instaurer la confiance, que se joue l'avenir du Mali. Le pays va bénéficier d'une aide importante : près de 3 milliards d'euros ont été promis par les bailleurs de fonds, attendant théoriquement que des autorités légitimes soient mises en place.
La légitimité des nouvelles autorités maliennes est d'une importance capitale puisque c'est elle, aussi, qui donnera le ton aux futures négociations avec les rebelles touareg. L'armée malienne a commencé à se redéployer dans le nord, notamment à Kidal, sans entraîner d'incidents majeurs, en raison de la présence de troupes des Nations unies, et d'un accord signé à Ouagadougou le 18 juin, qui prévoit que des négociations devront être engagées au plus tard quarante jours après la nomination d'un nouveau gouvernement au Mali.
Le nord du pays pourra-t-il bénéficier d'un statut particulier, avec une autonomie poussée ? C'est une éventualité. Sur ce Nord, riche de ressources minières et pétrolières encore inexploitées, l'Algérie a quelques velléités d'influence. Le futur président pourrait ne pas la trouver à son goût. La sortie de crise implique donc une dimension régionale délicate, parallèlement à des arbitrages locaux explosifs. Les rebelles touareg ne seront pas les seuls interlocuteurs du gouvernement. Il est prévu que d'autres groupes, armés ou pas, soient invités à la table des négociations. Certains peuvent jouer le blocage : là encore, l'autorité d'un président élu dans de bonnes conditions devra faire des merveilles.
Puis il faudra accompagner la renaissance de l'armée malienne, continuer le combat contre les groupes djihadistes, veiller au départ des troupes françaises. Et avant cela, le nouveau pouvoir devra aussi organiser des élections législatives après avoir encadré le retour chez eux des réfugiés et des déplacés. Sans réveiller les antagonismes mis à vif par les mois de guerre au nord. C'est dire s'il est un peu tôt pour triompher.
Jean-Philippe Rémy

© Le Monde

Burkina Faso : les Evêques inquiets de la situation nationale


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23/07/2013

L'excision reste une pratique généralisée dans une quinzaine de pays d'Afrique

 24 juillet 2013

Trente millions de femmes seront victimes de mutilations sexuelles dans les dix ans à venir, selon l'ONU




Plus de 125 millions de jeunes filles et de femmes d'Afrique et du Moyen-Orient vivent en ayant subi une mutilation sexuelle - le plus souvent une excision -, selon les chiffres inédits publiés par l'Unicef, lundi 22 juillet. Cette évaluation a été établie à partir des études réalisées au cours des vingt dernières années dans les vingt-neuf pays les plus touchés par ces pratiques.
Au niveau planétaire, l'estimation avoisinerait 140 millions de femmes et fillettes, selon l'agence des Nations unies consacrée aux droits de l'enfant.
Les nouvelles données intègrent pour la première fois des informations recueillies auprès des " jeunes filles de moins de 15 ans, permettant de cerner les dynamiques les plus récentes sur les pratiques - de mutilation - ".
Elles montrent que, en dépit de nets reculs observés dans certains pays, les interventions chirurgicales consistant à enlever en totalité ou en partie les organes génitaux externes de la femme demeurent largement répandues. Trente millions de fillettes ou d'adolescentes - dans la moitié des pays étudiés, la majorité des filles excisées le sont avant l'âge de 5 ans - risquent encore d'en être victimes dans les dix prochaines années, selon l'Unicef.
En tête des pays où ces mutilations demeurent la règle quasi absolue : la Somalie, avec 98 % des filles et des femmes de 15 à 49 ans excisées ; la Guinée avec 96 % ; Djibouti avec 93 % ; et l'Egypte avec 91 %.
" C'est la première fois que l'on dispose d'une vision comparative qui, non seulement nous renseigne sur l'ampleur du phénomène, mais nous permet de voir l'évolution d'une génération à l'autre ", explique le porte-parole de l'Unicef pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest, Laurent Duvillier.
Si la situation reste préoccupante dans nombre de pays, l'Unicef souhaite aussi montrer des évolutions positives. Ainsi, au Liberia, si 85 % des femmes entre 45 et 49 ans sont excisées, elles ne sont plus " que " 44 % entre 15 et 19 ans. Au Kenya, ces pourcentages passent de 49 % à 15 % entre les deux classes d'âge et au Burkina Faso de 89 % à 58 %.
Ces changements obtenus sur une trentaine d'années n'ont pas été aisés. " Nous avons compris que, pour faire évoluer les situations, ce n'était pas tant les choix individuels que les pratiques sociales, leur influence, comme la peur de ne pas trouver de mari, d'être exclue d'un groupe, qui jouaient un rôle important ", analyse M. Duvillier.
Dans vingt-cinq des vingt-neuf pays étudiés, ces mutilations sont interdites par la loi. Sans effet notable. Les coutumes sociales, familiales, ethniques pèsent. Dans certains pays, bien que se disant hostiles à cette pratique, des mères de famille la reproduisent. En Gambie par exemple, 54 % des filles dont les mères estiment que cette pratique doit cesser ont été excisées, contre 75 % pour celles dont les mères pensent qu'il faut continuer. Le scénario est identique en Mauritanie, au Soudan, etc.
Derrière les statistiques nationales, de grandes différences apparaissent selon l'appartenance ethnique. " Les mutilations génitales féminines sont étroitement liées à certains groupes ethniques, ce qui suggère que les normes sociales et les attentes au sein de communautés d'individus partageant les mêmes convictions jouent un rôle important dans la perpétuation de ces usages ", écrit l'Unicef.
Au Bénin, 72 % des filles peules ont été excisées mais aucune s'agissant des ethnies Adjas et Fons. Au Sénégal, les mêmes Peuls pratiquent ces mutilations génitales alors que les Wolofs non.
" L'influence sociale ou régionale sur ces pratiques se vérifie à l'intérieur même d'une ethnie, explique M. Duvillier. Au Sénégal, par exemple, aucune fille ou femme wolof n'est recensée comme ayant été excisée dans la région de Diourbel, au centre du pays, alors qu'un tiers des femmes de cette même ethnie le sont dans la région de Matam, au nord-ouest, où les Wolofs sont en contact avec les Peuls, ultramajoritaires dans cette zone. " Comment faire reculer ces pratiques ? Alors qu'elles sont souvent considérées comme l'expression d'un " contrôle patriarcal sur les femmes, sous-entendant ainsi que les hommes en seraient d'ardents défenseurs ", certaines données indiquent que femmes et hommes manifestent une volonté équivalente d'y mettre fin, note l'Unicef. En Guinée ou au Tchad, les hommes seraient même plus nombreux que les femmes à vouloir l'arrêt de l'excision.
Une question reste en débat : faut-il encourager des formes plus " modérées " de mutilations comme solution transitoire ? Non, répond l'Unicef, qui juge cette solution peu prometteuse et préfère soumettre la situation actuelle " à l'examen du grand public, de manière respectueuse ". " Le changement viendra de la confrontation avec ceux qui n'ont pas recours à ces pratiques ", espère Laurent Duvillier.
Rémi Barroux
© Le Monde

29/10/2012

Le développement, c'est nos oignons


30 octobre 2012


Au Niger, Salia Mahamane cultive son champ d'oignons et de légumes au moyen d'une paire de boeufs " et d'une motopompe de 3,5 chevaux pour l'irrigation ". Le tracteur est, ici, un luxe inaccessible. C'est sur de tels paysans - la catégorie de la population mondiale la plus touchée par la pauvreté - que repose l'espoir de nourrir la planète. Comme les 30 000 producteurs de la Fédération des coopératives maraîchères qu'il préside, Salia Mahamane se débrouille avec les moyens du bord pour arriver à faire pousser oignons et autres patates douces. Sa fédération groupe les achats de semences, forme les exploitants - un tiers sont des femmes - à l'utilisation d'engrais organiques et de biopesticicides. M. Mahamane apprécie le soutien de la coopération européenne, même s'il dépend de l'appui d'organisations non gouvernementales (ONG) comme Oxfam pour y accéder : les dossiers restent trop compliqués à monter.
Et, pourtant, le Niger est le premier producteur d'oignons de la région : 500 000 tonnes par an, dont 300 000 tonnes sont exportées dans les pays voisins. L'oignon est une ressource indispensable à la survie des habitants d'un pays parmi les plus pauvres du monde. Dans l'idéal, il devrait l'être bien davantage, si les importations européennes dans la région ne posaient pas un problème sérieux en faisant chuter les prix locaux : " Quand on prend le Sénégal, la Guinée et la Côte d'Ivoire, ce sont des pays qui importent 300 000 tonnes par an. Donc tout ce que nous produisons peut être exporté vers ces pays-là. Mais ces pays sont inondés par la production d'oignons européens, plus précisément néerlandais. Donc nous n'avons plus d'accès à ces marchés-là ", dit-il. Chaque année, les producteurs d'oignons perdent de l'argent, explique M. Mahamane, pour qui l'équation est simple : il faut taxer davantage ces importations. " Si les producteurs n'arrivent pas à écouler leurs oignons, on va continuer à être dans la pauvreté et on ne peut pas atteindre notre souveraineté alimentaire. "
Sous les ors du Palais Brongniart - où il était invité par le forum Convergences 2015 pour un débat sur la " cohérence des politiques européennes en faveur du développement des pays du Sud ", mercredi 19 septembre -, M. Mahamane a estimé possible de nourrir toute la population du Niger et de dégager des revenus supplémentaires pour moderniser les exploitations agricoles et inscrire les enfants des producteurs à l'école.
Pour y arriver, les marchés africains doivent être davantage protégés de la concurrence d'une agriculture européenne hautement productive, motomécanisée et bénéficiant de nombreux soutiens : " La France produit de l'oignon, et elle importe de l'oignon néerlandais : ça se comprend, parce que c'est l'Europe. Mais la France va exporter en Australie ou en Nouvelle-Zélande. C'est très loin... ", explique M. Mahamane. L'oignon néerlandais, à la fin, atterrit en Afrique alors qu'il pourrait être consommé en France ou dans d'autres pays développés. Et pour un produit humide qui fait des milliers de kilomètres, le bilan écologique n'est pas aussi bon...
L'objectif de cohérence des politiques européennes vise précisément à faire sortir l'aide au développement d'une seule logique de réparation des effets des autres politiques. Tant l'Union européenne (UE) que ses pays membres doivent ainsi tenir compte de l'objectif à long terme d'éradication de la pauvreté, selon l'article 118 du traité de Lisbonne. Des progrès ont été faits sur les aides à l'exportation : " Ce n'est plus un problème de politique agricole - seulement 0,5 % des exportations européennes sont subventionnées contre plus de 10 % voici quelques années. Il reste un problème de politique commerciale ", dit Françoise Moreau, chef d'unité politique et cohérence à la direction développement et coopération de la Commission européenne.
Les organisations paysannes africaines doivent donc essayer de se faire entendre dans les négociations en cours des accords dits de " partenariats économiques " entre l'UE et les pays africains. Tâche ardue. " Les négociations commerciales manquent énormément de transparence : tout cela se fait derrière des portes closes ", regrette Blandine Bouniol, coordinatrice de Concord, la plate-forme européenne des ONG. Même si elle note des progrès : ces accords doivent désormais, une fois conclus, être ratifiés par le Parlement européen. Mais, en amont, davantage de voix devraient être entendues.
" Le problème de la cohérence des politiques commerciales tient beaucoup au postulat qu'on nous martèle sans cesse, selon lequel le commerce et la libéralisation des échanges produisent une réduction de la pauvreté. Or il n'y a pas de lien logique. C'est beaucoup plus complexe ", explique Mme Bouniol.
Elle appelle à sortir de cette doctrine " dans laquelle on est enfermé et qui empêche le dialogue ", et à regarder les conditions à mettre en place pour faire du commerce un instrument positif : ne pas ouvrir les secteurs vulnérables, faire des réformes adaptées et à la bonne vitesse, prévoir des périodes de transition et de préparation, susciter l'appropriation par les populations de ces évolutions, et les inscrire surtout dans une politique globale de développement. Bref, accepter que le développement passe aussi par la protection des producteurs d'oignons du Niger.
Adrien de Tricornot

service Eco & Entreprise

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