13/08/2009

En Inde, le spectre de " guerres de l'eau " se profile


14 août 2009

Manifestation contre la pénurie d'eau, le 30 juillet, à Chandigarh, ville du nord de l'Inde. REUTERS

New Delhi Correspondance
Le sous-continent puise dans ses nappes phréatiques à un rythme qui compromet la pérennité de cette ressource

En Inde, les nappes phréatiques s'épuisent, mettant en péril les ressources en eau du pays. Un article paru jeudi 13 août dans la revue scientifique Nature établit qu'en six ans, de 2002 à 2008, les réserves d'eau souterraine de trois régions du nord de l'Inde, l'Haryana, le Pendjab et le Rajasthan, ont diminué de 109 milliards de mètres cubes, soit le dixième des réserves annuelles du pays.

L'Inde est prise au piège entre une consommation qui ne cesse d'augmenter et des réserves qui baissent. L'eau souterraine est gratuite et abondante, même en temps de sécheresse. Depuis quarante ans, les agriculteurs se sont donc tournés vers l'exploitation des nappes phréatiques, sans se donner la peine de demander des autorisations. En l'absence de législation et de contrôle des autorités, 19 millions de puits ont été forés.

Cette eau souterraine, qui constitue 38,5 % des ressources disponibles, est pourtant précieuse. S'il suffit de seulement quelques minutes pour extraire l'eau des profondeurs, il faut des années pour reconstituer une nappe phréatique. Dans son rapport intitulé " Propriété et gestion des nappes phréatiques ", le commissariat au plan indien met en garde contre leur surexploitation : entre 1995 et 2004, " la proportion de districts surexploités est passée de 4 % à 15 %, faisant de la surexploitation des nappes phréatiques un objet de préoccupation ". Dans les régions arides ou semi-arides comme le Gujarat, le Tamil Nadu ou le Rajasthan, plus de la moitié des districts sont classés comme étant dans une situation critique ou semi-critique ou comme surexploités.

Cette pénurie conduit les agriculteurs à creuser des puits de plus en plus profonds. Mais tous n'ont pas les moyens de s'équiper de pompes à eau suffisamment puissantes. Dans un article paru mardi 11 août dans les Lettres de la recherche environnementale (ERL), Tushaar Shah montre que ces pompes à eau, qui fonctionnent avec des générateurs alimentés au gazole ou au kérosène, sont responsables de 4 % à 6% des gaz à effet de serre émis par l'Inde, le quatrième pollueur de la planète. Or le réchauffement climatique réduit les chances de renouvellement des nappes phréatiques.

En 2001, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) a montré qu'une augmentation des températures se traduirait par de plus fortes précipitations, sur une moindre durée. Ce changement pourrait ralentir le rythme de réapprovisionnement des réserves d'eau souterraines. Enfin la montée du niveau de l'océan provoque la salinisation des nappes phréatiques côtières, les rendant impropres à la consommation. La contamination chimique des nappes phréatiques, à l'arsenic ou au fluor, est en outre déjà à l'oeuvre dans certains Etats, comme l'Andhra Pradesh ou le Bengale-Occidental.

Les nappes phréatiques servent à irriguer des cultures à haut rendement, où sont aussi utilisés des pesticides et des engrais. Or " les systèmes d'irrigation souterrains sont particulièrement vulnérables à la contamination chimique. Une fois contaminés il est très difficile, voire impossible de les décontaminer ", lit-on dans un des articles publiés dans ERL.

Des tensions

La pénurie d'eau suscite déjà des tensions en périphérie des grandes agglomérations. " La guerre de l'eau a commencé ", va même jusqu'à affirmer Sunita Narain, rédactrice en chef de la revue environnementale Down to Earth. " Aux alentours de New-Delhi, les citadins utilisent les ressources en eau des paysans. Et les paysans ont à leur tour recours aux maigres ressources en électricité des citadins pour pomper l'eau dans des puits profonds ", explique Sunita Narain. En 2005, cinq paysans ont été tués au cours de manifestations, dans le Rajasthan, pour protester contre l'acheminement de l'eau du barrage de Bisalpur vers la ville de Jaipur.

Le gouvernement expérimente la possibilité de recharger artificiellement les nappes phréatiques et commence à peine à contrôler les creusements de puits. Restreindre l'accès à l'eau dans les régions agricoles s'avère difficile à contrôler et risqué politiquement. Le gouvernement central préfère donc étendre le réseau d'irrigation en surface. " Depuis 1990, les gouvernements du centre et des régions ont investi plus de 20 milliards de dollars dans la construction et la réhabilitation de systèmes d'irrigation par canaux, alors que la surface alimentée par cette irrigation a baissé de 3 millions d'hectares ", écrit Tushaar Shah.

Le temps presse pour éviter la surexploitation des nappes phréatiques. Alors que l'agriculture consomme 85 % de l'eau douce du pays, la situation pourrait s'aggraver avec l'industrialisation et l'urbanisation de l'Inde. Le commissariat au plan indien prévoit qu'à ce rythme, l'Inde souffrira en 2050 d'un déficit de 320 milliards de mètres cubes d'eau par an.

Julien Bouissou

© Le Monde

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