27 mai 2012
Au Honduras, un agent sanitaire à la recherche de l'insecte vecteur de la maladie de Chagas.
ELMER MARTINEZ/AFP
Genève Correspondance
L'Organisation mondiale de la santé engage un processus qui pourrait conduire à une convention internationale destinée à mieux financer la lutte contre les maladies dans les pays pauvres
L'Organisation mondiale de la santé engage un processus qui pourrait conduire à une convention internationale destinée à mieux financer la lutte contre les maladies dans les pays pauvres
En soixante-quatre
ans d'existence, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a donné
naissance qu'à une seule convention-cadre : celle entrée en vigueur en
2005 et qui oblige les pays signataires (168 à ce jour) à se doter d'une
législation antitabac. Or la 65e Assemblée mondiale de la santé, qui
s'est tenue à Genève du 21 au 26 mai, a réussi la prouesse d'ouvrir un
processus qui pourrait conduire à l'adoption d'une convention
internationale sur la recherche & développement (R & D) sur les
pathologies des pays pauvres qui affectent 1,4 milliard d'individus.
Cet instrument contraignant ciblerait en particulier les " maladies négligées " (la leshmaniose viscérale, la maladie du sommeil, de Chagas ou l'éléphantiasis), pour lesquelles l'industrie pharmaceutique n'a développé qu'un nombre infime de traitements, faute de débouchés commerciaux. Après dix-sept heures de négociations étalées sur trois jours, un groupe de travail a accouché, vendredi 25 mai en fin de journée, d'une résolution qui invite les Etats membres de l'OMS à ouvrir un processus intergouvernemental. Elle devait être adoptée par consensus, samedi, jour de clôture des travaux de l'assemblée. Pour qui ne connaît pas les subtilités du jargon onusien, ce texte semble peu spectaculaire, puisqu'il ne mentionne pas explicitement le terme de " convention ". Mais il " salue " le rapport du groupe consultatif d'experts de l'OMS qui, début avril, avait placé en tête de ses recommandations l'adoption d'un tel traité contraignant. Il appelle les Etats à tenir des consultations nationales et le secrétariat de l'OMS à convoquer " une réunion ouverte à tous les Etats membres pour analyser en profondeur le rapport et la faisabilité des recommandations ", qui devra se tenir entre octobre 2012 et janvier 2013. " C'est le début d'un processus qui semblait inimaginable il y a deux ans ", se félicite German Velasquez, un ancien de l'OMS aujourd'hui conseiller pour la santé au sein du South Center, un think tank qui se bat depuis des années en faveur d'une convention. " Le rapport des experts a en quelque sorte été adopté, puisqu'il sert de base de travail ", ajoute-t-il Ce rapport souligne " l'incapacité " du système actuel de R & D à répondre aux besoins de santé des pays en développement et constate que l'innovation fondée sur les brevets et la défense de la propriété intellectuelle n'a profité qu'aux pays les plus riches. Il invite les Etats membres de l'OMS, dans le cadre d'une convention, à consacrer au moins 0,01 % de leur produit intérieur brut (PIB) aux maladies négligées. Ce qui pourrait faire passer les financements annuels de 3 à 6 milliards de dollars. D'autres solutions sont avancées, comme les communautés de brevets (gestion collective des droits de propriété intellectuelle) ou encore les " prix à l'innovation " récompensant les travaux les plus prometteurs. Dès le premier jour des discussions, une forte polarisation entre pays du Sud et du Nord s'est dessinée. Mercredi soir, quatre projets de résolutions étaient sur la table du groupe de travail mis en place en vue d'un consensus. Le Kenya et l'Union des nations sud-américaines (Unasur), fervents défenseurs d'une convention, demandaient l'ouverture de négociations. La Suisse était partisane de discussions " informelles " et du report du processus d'un an. Les Etats-Unis, ainsi que le Japon, le Canada, l'Australie et Monaco, se disaient totalement opposés à l'idée d'un instrument contraignant. Washington soulignait qu'un grand nombre d'Etats ne seraient pas en mesure de s'acquitter d'une contribution de 0,01 % de leur PIB, surtout en période de crise. L'Union européenne (UE), par la voix de la France, rejoignait le camp des " anticonvention ", provoquant la colère des organisations non gouvernementales. " Nous ne pouvons pas regarder une poignée de pays développés, au premier rang desquels la France, faire dérailler cette initiative ", s'insurgeait, jeudi soir, Médecins sans frontières. " Les pays qui abritent une forte industrie pharmaceutique ont tout fait pour diluer le projet initial ", confie l'un des participants aux débats. L'UE en effet a tenté, sans succès, de limiter la liste des maladies pour lesquelles la R & D doit être stimulée aux pathologies touchant majoritairement ou exclusivement les pays pauvres, alors que les experts mentionnent aussi des maladies comme le cancer ou le diabète qui commencent à faire des ravages dans les pays en développement, mais sont pour l'instant la chasse gardée des grands laboratoires occidentaux. Négociant pied à pied, les pays de l'Unasur sont finalement parvenus à renverser la tendance pour qu'un processus intergouvernemental démarre avec le soutien du groupe africain et asiatique. L'Argentin Carlos Correa, l'un des experts du groupe consultatif de l'OMS et également conseiller du South Center, estime qu'" une bataille a été remportée, mais pas encore la guerre. " Selon lui, un changement de paradigme pour la recherche médicale est aussi dans l'intérêt des pays développés. " Le modèle de l'industrie pharmaceutique est en crise. Il y a de moins en moins d'innovation et de nouvelles molécules, et c'est une logique commerciale qui domine, pas de santé publique ", explique-t-il. Agathe Duparc
© Le Monde
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