14/02/2012

Mahamadou Issoufou : " La situation au Mali nous préoccupe beaucoup "

15 février 2012
Le président du Niger s'inquiète de la déstabilisation du Sahel après la chute du régime Kadhafi





Le président Issoufou à Saint-Cloud, le 9 février.

J. DANIEL/MYOP POUR " LE MONDE "
Mahamadou Issoufou (60 ans) est le président de la République du Niger depuis le 7 avril 2011, démocratiquement élu avec près de 58 % des voix. En 2010, une junte militaire avait pris le pouvoir, destituant le chef de l'Etat de l'époque, Mamadou Tandja, qui tentait de confisquer le pouvoir. Le Niger est bordé par des pays déstabilisés par des violences : Libye, Mali, Nigeria.
Quelles sont les causes de la rébellion touareg au Mali ?
C'est un dégât collatéral de la crise libyenne. On sait que les dépôts d'armes y avaient été pillés et transférés en partie au Niger, en Mauritanie, au Tchad... Après la défaite de Kadhafi, un certain nombre de ses soldats ont fui pour s'installer dans le Sahel. Mais ils n'ont pas pris pied au Niger. Malheureusement, ils sont allés au Mali, par petits groupes, d'abord. Puis c'est devenu un grand groupe de 400 à 500 combattants lourdement armés. Les pays du Sahel, Mali et Niger notamment, ont connu des rébellions récurrentes depuis le début des années 1990. La crise libyenne a catalysé les velléités d'indépendance de l'Azawad (au Mali). Rébellion ouverte depuis le 17 janvier.
Quelles sont les conséquences de cette crise pour le Niger ?
Nous avons déjà reçu 10 000 réfugiés maliens, y compris des soldats isolés dans des casernes qui ont afflué vers le Niger. Si la crise continue, il y en aura de plus en plus. - Près de 300 000 Nigériens - chassés par les crises libyenne et ivoirienne sont déjà revenus au pays. C'est beaucoup trop. Il y a des conséquences sociales et une augmentation des dépenses sécuritaires militaires pour faire face à la situation. En résumé, la situation au Mali nous préoccupe beaucoup.
Existe-t-il un risque de propagation de la rébellion touareg au Niger ?
Un effet de mimétisme et de contagion est toujours possible. Mais récemment, nous avons organisé un forum sur la paix dans les régions sahéliennes auquel participaient, notamment, les notables du Niger et les anciens chefs de rébellion. Nous avons tous fait le choix de la paix.
Le programme de renaissance nationale que j'ai défendu à la présidentielle ménage une place importante au développement des zones pastorales - où vivent de nombreux Touareg. - La misère est le terreau de toutes les rébellions et de tous les terrorismes. Donc, si à court terme la solution est sécuritaire, à long terme, la sécurité repose sur le développement économique et social.
Que sont devenus les ex-combattants nigériens en Libye ?
Je ne crois pas qu'ils aient rejoint la rébellion au Mali. Ils se sont réinsérés dans la vie sociale au pays. Certains ont maintenant des responsabilités politiques au Niger. Tout comme les chefs des anciennes rébellions dont beaucoup ont été élus lors des élections locales et régionales de 2011.
Comment le Niger peut-il participer à la résolution de la crise au Mali ?
C'est aux Maliens de déterminer la voie à suivre. Mais nous pouvons parler aux deux parties pour qu'elles négocient.
Y compris aux représentants du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), les rebelles touareg du Mali ?
Nous en avons même parlé avec le président malien. Tous les moyens qui peuvent contribuer à la paix sont bons.
Pourtant, les discussions à Alger ont échoué début février ?
Il ne faut pas se décourager. L'une des raisons de l'échec tient à l'absence du MNLA à Alger. Les anciens mouvements, eux, étaient présents. Il faut s'efforcer que les nouveaux viennent négocier.
Comptez-vous sur la France pour garantir votre sécurité si la crise dégénère ?
On ne confie jamais la défense de son pays à d'autres.
Il y a pourtant des forces spéciales françaises au Niger chargées de former vos troupes d'élite...
Pour l'instant, il n'y a ni soldat ni participation militaire française au Niger.
Que sont devenus les Libyens arrivés au Niger après la chute de Mouammar Kadhafi ?
Des Libyens ont été accueillis pour des raisons humanitaires à condition de ne pas mener d'activités subversives contre les nouvelles autorités libyennes. Dans ce contexte, les propos que vient de tenir Saadi Kadhafi - l'un des fils de feu le Guide libyen - depuis Niamey sont inacceptables. Nous ne l'extraderons pas vers Tripoli, mais nous allons resserrer la sécurité autour de lui.
Le Nigeria, autre pays frontalier, est aussi secoué par les violences de la secte Boko Haram. Avec quel impact sur le Niger ?
La situation au Nigeria nous inquiète mais Boko Haram connaîtra le même sort que d'autres mouvements du même genre au Nigeria : les autorités vont l'étouffer. 
La création d'un arc Boko Haram -AQMI ne vous inquiète pas ?
Des indices montrent des relations entre ces deux mouvements terroristes, et avec les chabab de Somalie. Nous faisons en sorte qu'elles ne se renforcent pas.
L'ONU annonce une crise alimentaire prochaine au Sahel. Y a-t-il des raisons de s'alarmer ? Nous avons un déficit énorme de 700 000 tonnes de céréales. Plus un déficit fourrager très important. La situation alimentaire est donc très alarmante. D'où le programme d'urgence (irrigation, vente de bétails, emplois ruraux, stock stratégique) mis en oeuvre en collaboration avec les agences internationales et les ONG. Mais l'essentiel de la charge repose sur le Niger.

Propos recueillis par Christophe Châtelot
L'intégralité de l'entretien
Sur Lemonde.fr
© Le Monde

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