24/05/2011

La colère de l'armée et l'ire de la jeunesse montent contre le président burkinabé



23 avril 2011

Blaise Compaoré s'est attribué le ministère de la défense dans le gouvernement nommé le 21 avril
Le vent des révoltes arabes soufflerait-il désormais sur le très paisible et très pauvre Burkina Faso ? Manifestations d'étudiants réprimées dans le sang, grève de magistrats, violences et pillages orchestrés par de jeunes soldats mutins. Ce pays enclavé, limitrophe de la Côte d'Ivoire, est agité depuis deux mois de soubresauts d'une ampleur inédite depuis l'arrivée au pouvoir par un coup d'Etat, en 1987, de Blaise Compaoré, considéré à Paris comme un ami.
La véritable razzia assortie de tirs à l'arme lourde opérée par des éléments du pourtant très privilégié régiment de sécurité présidentielle, dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 avril en plein centre de Ouagadougou, a donné l'image d'un pouvoir sans contrôle sur une armée de soudards. Vols de 4 × 4 en pleine rue sous la menace d'une arme, domiciles de plusieurs ministres, commerces et hôtels pillés, populations terrorisées. La tranquille capitale s'est réveillée groggy et traumatisée. " Ce n'est plus l'armée, c'est un vrai foutoir ", résumait, dès le 4 avril, le quotidien L'Observateur Paalga qualifiant les forces armées de " ramassis de racaille ".
" Nous avons évité le pire : la situation dans les casernes est en cours de normalisation ", tempère, jeudi 21 avril, le nouveau premier ministre, Luc Adolphe Tiao, dans un entretien au Monde, peu avant l'annonce de la composition de son gouvernement.
Celui-ci, contrairement à une promesse d'ouverture, n'est composé que de proches du chef de l'Etat, lequel s'est réservé le poste de ministre de la défense. " Les événements d'Afrique du Nord font rêver les populations africaines ", reconnaît M. Tiao. Cet ancien directeur du journal d'Etat Sidwaya, nommé en urgence pour tenter d'enrayer la crise, dément toute analogie entre les dictatures arabes et le Burkina, " où il existe une certaine démocratie ", notamment une réelle liberté de la presse.
" Grognes décousues "
Pourtant, comme en Tunisie, la mort d'un jeune aux prises avec les forces de l'ordre et l'exigence de justice ont fait étincelle. Justin Zongo, élève de 4e à Koudougou (centre) est décédé le 20 février après avoir été convoqué par la police à cause d'une banale embrouille avec une fille. La version officielle de cette mort - une méningite - n'a pas été acceptée. Cinq manifestants ont été tués par balles par la police lors de défilés de protestation. Ces décès ont alimenté à leur tour la colère de la jeunesse.
En mars, la peine de prison ferme infligée à six militaires qui avaient organisé une expédition punitive contre le rival amoureux de l'un d'eux avait déclenché une fronde de l'armée. Une nuit de pillage à Ouagadougou a suffi à faire libérer les soldats condamnés, mais aussi à provoquer... une grève inédite des magistrats ainsi désavoués.
Le président Blaise Compaoré doit aussi affronter la colère des commerçants pillés et celle des étudiants en grève et prompts à crier " Blaise dehors ! ". Sans oublier une grogne sociale alimentée par les incessantes coupures d'électricité et par la " vie chère ". Les restrictions consécutives au blocage du port d'Abidjan, principale porte d'accès des produits importés, et le retour de 500 000 émigrés, grands pourvoyeurs de liquidités, chassés de Côte d'Ivoire par les violences, ont encore appauvri un pays dont 80 % des habitants vit avec moins de 2 dollars (1,4 euro) par jour selon l'ONU.
Pourtant, ces multiples colères ne semblent pas en passe de se coordonner. Les victimes des exactions n'éprouvent nulle solidarité avec les militaires pilleurs. Et aucun chef militaire n'a cherché à prendre un pouvoir pourtant vacillant. Ce sont " des grognes décousues ", résume Damien Glez, dessinateur et directeur du Journal du jeudi, hebdomadaire satirique burkinabé.
Pris entre plusieurs feux, le président a limogé non seulement le gouvernement mais aussi les principaux responsables de l'armée. Seul a été épargné Gilbert Diendéré, son chef d'état-major particulier, qui détient de lourds secrets : ceux de la prise du pouvoir par M. Compaoré, au prix de l'assassinat de son frère d'armes, Thomas Sankara, père de la révolution. Quant au premier ministre, il promet, lui, de " s'attaquer à la vie chère ", de " ramener la sécurité " et d'" agir contre le sentiment d'impunité ".
Cela suffira-t-il à apaiser la hargne des jeunes recrues de l'armée, aux soldes minces, à l'égard d'officiers souvent mués en véritables hommes d'affaires ? A calmer le malaise d'une jeunesse nombreuse et désoeuvrée, condamnée, selon Salifou Parkouda, chroniqueur au quotidien Le Pays, à " se débrouiller " au jour le jour tandis qu'" une minorité s'amuse avec l'argent du peuple " ?
Philippe Bernard
© Le Monde
 
Un homme au pouvoir depuis vingt-quatre ans Le projet du parti du président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis vingt-quatre ans, de modifier la Constitution pour lui permettre de briguer un nouveau mandat, alimente le mouvement de colère des Burkinabés. Parvenu au pouvoir en 1987 par un coup d'Etat, le capitaine Compaoré a été élu en 1991 puis il a effectué deux septennats. En 2000, il a été contraint d'accepter une réforme constitutionnelle limitant à deux le nombre de quinquennats. Réélu en novembre 2010 avec 80 % des voix, M. Compaoré devrait atteindre cette limite en 2015. Des manifestants attendent que le président s'engage à raccrocher alors. Lors de sa récente allocution, le chef de l'Etat n'a fait aucune promesse dans ce sens.
 

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