03/11/2010

En Inde, le secteur de la microfinance risque de s'effondrer


3 novembre 2010















Bombay : cette femme a emprunté 13 000 roupies (210 euros) à une société de microfinance pour démarrer son entreprise de fabrication de colliers. DANISH SIDDIQUI/REUTERS
New Delhi Correspondance
Les pouvoirs publics ont décidé d'intervenir face à la hausse du nombre d'emprunteurs surendettés

Après des années de croissance exponentielle, le secteur de la microfinance en Inde risque la crise de liquidités. En quelques semaines, une cinquantaine de villageois surendettés se sont suicidés dans l'Andhra Pradesh, un Etat du sud de l'Inde, incitant le gouvernement régional à publier un arrêté punissant d'une peine de prison les percepteurs de dette qui " harcèlent " leurs clients.
Des villageois, soutenus par des politiciens locaux, refuseraient déjà de rembourser leurs emprunts. " Ils sont exploités par les institutions privées de microfinance, à travers des taux d'intérêt d'usuriers et des moyens de recouvrement de dettes coercitifs qui conduisent à leur appauvrissement et, dans certains cas, à des suicides ", lit-on dans l'arrêté du gouvernement. Sa décision donne un répit aux surendettés tout en menaçant de faillite les organismes de microfinance. Avec 37 % de leur activité concentrée dans le seul Andhra Pradesh, c'est tout le secteur qui est menacé. " Nous risquons un effondrement ", a déclaré à l'AFP Vijay Mahajan, président du Réseau indien des institutions de microfinance (MFIN).
L'entrée en Bourse de la première société indienne de microfinance, SKS Microfinance, n'est pourtant pas lointaine. Le 16 août 2010, à Bombay, des micro-emprunteuses revêtues de leurs plus beaux saris avaient ouvert la séance en sonnant le gong sous les applaudissements des investisseurs. " Nous emmenons les pauvres vers les marchés de capitaux ", se félicitait alors SKS Microfinance, qui venait de lever plus de 350 millions de dollars (251 millions d'euros).
Ce symbole d'une Inde sortant de la pauvreté grâce aux marchés financiers est bien éloigné de la réalité. Quelques semaines plus tard, dix-sept clients de SKS, surendettés, se suicidaient dans l'Andhra Pradesh. La société a reconnu les faits, mais elle a rejeté toute responsabilité en expliquant que sa " manière éthique de faire de la microfinance n'a pas pu provoquer ces tragédies ". " Les institutions de microfinance ont prêté sans se soucier de savoir si les emprunteurs étaient solvables, rétorque Sanjay Sinha, directeur du cabinet de conseil Micro-Crédit Ratings International. Leur système de contrôle est inexistant. Et les employés qui travaillent sur le terrain manquent de formation. "
C'est l'afflux de capitaux plus que la solvabilité des emprunteurs qui a tiré la croissance du secteur.
Attirés par des retours sur investissements élevés et des risques apparemment limités, puisque les organismes de microcrédit enregistrent moins de défauts de remboursement que les banques classiques, les investisseurs se sont multipliés. Le secteur a connu une croissance annuelle moyenne de 107 % entre 2004 et 2009 et pèse 6,7 milliards de dollars. Mais chaque nouveau microcrédit ne sort pas nécessairement une famille de la pauvreté. De nombreux emprunts servent, en fait, à en rembourser d'autres. Dans l'Andhra Pradesh, ceux qui se sont suicidés en avaient contracté jusqu'à sept ou huit auprès d'organismes différents.
Code de conduite
Ces organismes ont-ils été victimes de la folie des grandeurs ? " Le critère de retour sur investissement est privilégié au détriment des indicateurs de performance sociale ", regrette Royston Braganza, directeur du fonds Grameen Capital India Limited, spécialisé dans la microfinance. La priorité donnée à la recherche de capitaux, au nom de l'éradication de la pauvreté, a transformé des ONG en de véritables établissements commerciaux. C'est ce qu'analyse MS Sriram, professeur à l'Institut indien de management d'Ahmedabad, dans une étude publiée en mars.
En épluchant les comptes des plus grandes institutions de microfinance, qu'a-t-il découvert ? Que des philanthropes à la tête d'organismes de microcrédit se sont versé des rémunérations qu'un directeur d'une banque d'investissement n'oserait même pas réclamer. Que les fonds d'investissement ont peu à peu remplacé les sociétés de micro-emprunteurs au capital des organismes. Et que les membres du conseil d'administration de SKS sont en partie rémunérés en fonction de la performance de l'entreprise en Bourse.
L'effondrement du secteur affecterait les banques qui versent 80 % des fonds utilisés dans le microcrédit. Mais aussi les pauvres, qui, sans microcrédit, dépendraient des usuriers et de leurs taux d'intérêt pouvant atteindre 100 % par mois. Faut-il abaisser les taux d'intérêt pour éviter les surendettements et sauver le secteur ? Entre des coûts de distribution élevés - les recouvreurs de dettes ont besoin d'aller chez leurs clients toutes les semaines - et le coût de l'argent emprunté par les organismes de microcrédit, les taux peuvent difficilement descendre au-dessous de 24 %.
En octobre, la Banque centrale a créé une commission qui proposera dans les prochains mois un système de régulation. Pour assainir le secteur, une des solutions consisterait à retirer la microfinance de la liste des " secteurs prioritaires " qui, en Inde, doivent bénéficier d'au moins 40 % du total des crédits accordés par une banque. Le Réseau indien de microfinance préfère l'autorégulation et va, dès janvier, établir un code de conduite, puis mettre à la disposition de ses membres une base de données contenant les informations financières de tous les emprunteurs. " Mais une autorégulation, avec seulement 80 % des acteurs du secteur, sans règles ni sanctions, est impossible ", estime M. Sinha.
Julien Bouissou
© Le Monde





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