25/09/2010

La montée en puissance des salafistes déstabilise le Mali


26 septembre 2010

Laïc, musulman à 95 %, se réclamant d'un islam tolérant, le Mali est confronté à la montée en puissance des salafistes. Notre envoyé spécial à Bamako décrit ce tournant majeur dont la première victime est le code de la famille progressiste adopté par les députés. " Si nous continuons de laisser les salafistes "dire la vérité" sur l'islam, nous fonçons droit dans le mur, déclare au Monde Mahamadou Diallo, imam de la grande mosquée de Torokorobougou. L'islamisation de la société malienne est en train de déboucher sur un intégrisme totalement étranger à nos traditions. "

L'irruption des religieux salafistes bouleverse la scène politique au Mali

 
L'imam Mahmoud Dicko (au centre), président du Haut Conseil islamique, s'adresse, le 22 août 2009 
à Bamako, à la foule des manifestants contre la réforme du code de la famille. H. KOUYATE/AFP
Bamako Envoyé spécial
La contestation de la réforme du code de la famille marque un tournant dans un pays laïque, à tradition confrérique musulmane tolérante
Violent, le premier tonnerre d'applaudissements a surpris. " La femme doit être soumise ", avait asséné un étudiant bamakois au micro de RFI. S'agissait-il d'un simple défoulement du gros millier de jeunes Maliens - très majoritairement des hommes - venus pour l'enregistrement d'un débat sur le statut des femmes, lundi 20 septembre à l'université de Bamako, dans une chaleur de four ? La suite a montré qu'il n'en était rien.
Systématique fut l'acclamation des propos tenus par un responsable musulman défendant le droit des maris à " corriger " leurs épouses et fustigeant les femmes courant après le " le mirage de l'égalité au détriment de la maternité ". Quant aux trois personnalités féminines invitées à défendre l'émancipation, elles furent vigoureusement huées et sans cesse condamnées à la défensive. A l'image du débat qui déchire la société malienne depuis le 22 août 2009.
Ce jour-là, à l'appel des organisations musulmanes, plus de cent mille personnes réunies dans un stade de Bamako ont réclamé et obtenu le retrait du code de la famille progressiste que venaient d'adopter les députés. Une première dans un pays laïque, musulman à 95 %, se réclamant d'un islam confrérique tolérant. Et une sérieuse source de préoccupation dans un Mali rongé par la pauvreté, dont le Nord désertique sert de sanctuaire aux preneurs d'otages d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
" Les salafistes ont pris les rênes de l'islam malien, se désole Mahamadou Diallo, imam de la grande mosquée de Torokorobougou, à Bamako, représentant de la tradition soufie. Si nous continuons de les laisser dire la vérité sur l'islam, nous fonçons droit dans le mur ". " Avec l'irruption des religieux sur la scène politique, l'islamisation de la société malienne est en train de déboucher sur un intégrisme totalement étranger à nos traditions ", diagnostique Coumba Sangaré, cadre dans une grande société, l'une des rares femmes qui tient encore publiquement ce discours.
Les traditions, c'est pourtant au nom de leur défense que le Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), interface entre les religieux et l'Etat, a décrété, voici un an, une mobilisation qui s'est diffusée dans le pays comme une traînée de poudre. " Chez nous, le père de famille est comme un chef de service : toute la famille lui doit obéissance, énonce l'imam Mahmoud Dicko, président du HCIM et grand organisateur de la fronde. La société malienne est solidement bâtie sur des valeurs telles que la complémentarité entre les hommes et les femmes, pas sur leur égalité. Ceux qui défendent la réforme ont été formés par les Blancs. Pourquoi devrions-nous accepter une loi dictée par les Occidentaux alors que vous interdisez la burqa au nom de la défense de votre identité ? "
Cette rhétorique, visant aux besoins le " colonisateur ", a justifié le rejet des dispositions de la réforme portant notamment sur les obligations de l'épouse ainsi que sur le droit des femmes et des enfants naturels à hériter. " Dans notre culture, un enfant né hors mariage ne peut jamais être légitime ", martèle M. Dicko. Quant à l'âge du mariage des filles, le président du HCIM souhaite qu'il reste fixé à 15 ans " puisqu'on ne peut les empêcher d'être enceintes ".
Même si l'islam est mis en avant, " les ressorts de la contestation du code de la famille sont d'abord identitaires, analyse l'anthropologue Gilles Holder, chargé de recherches au CNRS. La réforme du code de la famille a été perçue comme une ingérence de l'Etat dans des pratiques sociales. "
L'argument de la recolonisation culturelle a ainsi montré sa puissance de mobilisation. Le thème de la perte de pouvoir sur les femmes a aussi contribué à radicaliser des hommes déstructurés par l'exode rural et le chômage. Dans un Mali majoritairement analphabète, des religieux ont même réussi à faire croire que le nouveau texte autorisait le mariage homosexuel.
Un autre ferment de radicalisation réside dans la concurrence que se livrent les tendances de l'islam malien. Le courant " wahhabite " (qui prône une interprétation littéraliste du Coran) a pris le contrôle du HCIM en 2007. Mais son président, Mahmoud Dicko, a pour ennemi juré le très populaire Chérif Ousmane Madani Haïdara, " guide spirituel " dont le talent oratoire digne d'un prédicateur évangélique et l'islam délibérément festif remplissent un grand stade de Bamako à chaque fête du Mouloud.
Il contrôle aussi Banconi, le quartier populaire de la ville où il vit avec ses quatre femmes et leur vingtaine d'enfants. Là, dans un dédale de rues boueuses, sa prodigalité fait surgir mosquée et centre de santé.
Face à ces poids lourds, les défenseurs de la réforme préfèrent désormais se taire, tant le souffle de la contestation a été violent. " Les femmes musulmanes qui luttaient pour l'égalité ont été laminées et les féministes privées de tout espace ", constate Gilles Holder. Le silence et les ambiguïtés d'Aminata Traoré, figure de l'altermondialisme malien, en disent long sur la force de cette lame de fond. Le code la famille ? " Je n'en pense rien ", glisse la militante qui considère cette réforme comme une nouvelle manifestation de la soumission aux injonctions des Occidentaux.
Nul ne peut encore mesurer les conséquences pour la jeune démocratie malienne du camouflet infligé à des députés souvent déjà perçus comme des profiteurs. " Nous avons été plus forts que les élus. Ça leur pose un problème de légitimité ", exulte Hamadou Diamoutani, secrétaire général du HCIM. " Les religieux ont récupéré la question sociale abandonnée par les politiques ", résume Gilles Holder. Alors que la politique du " consensus " menée par le président Amadou Toumani Touré (surnommé " ATT ") a anesthésié le débat public, les religieux contribueraient, selon M. Holder, à repolitiser la société et, ce faisant, à relégitimer l'idée d'Etat.
Un an après l'annonce par " ATT " d'un " renvoi en deuxième lecture " du texte, une nouvelle concertation avec les religieux est en cours. Le rapport de forces est désormais tel qu'un code plus " musulman " que l'actuel pourrait sortir de l'exercice. Il n'est d'ailleurs pas certain que le chef de l'Etat prenne le risque d'un nouveau vote à l'approche de l'élection présidentielle de 2012.
D'autant que l'imam Dicko et ses proches sont bien décidés à pousser leur avantage. " Avec une telle force, on ne peut pas rester en dehors du champ politique ", avouent-ils. Déjà, ils envisagent d'exiger la fermeture des débits de boisson pendant le ramadan. L'école, la corruption mais aussi " la paix et la sécurité dans la bande sahélo-saharienne " font partie de leurs centres d'intérêt. L'imam Dicko refuse d'ailleurs de condamner les enlèvements d'étrangers par AQMI. Il botte en touche, affirmant qu'" aucune religion n'est autant prise pour cible que l'islam aujourd'hui ".
Alors que rien n'étaie, pour l'heure, l'hypothèse selon laquelle la société malienne islamisée pourrait constituer un terrain propice au terrorisme, plusieurs observateurs maliens n'hésitent pas à établir ce lien. " Les conflits israélo-palestinien et afghan ont des résonances parmi nos jeunes qui forment 75 % de la population. Le terreau est idéal pour les islamistes. AQMI menace non seulement nos Etats mais nos sociétés, estime Soumeylou Boubeye Maiga, ancien ministre de la défense.
Quant au journaliste Adam Thiam, éditorialiste au quotidien Le Républicain, il craint " à moyen terme une jonction entre l'islam militaire d'AQMI et l'islam politique des dirigeants de l'islam malien ". Une analyse que ne sont pas loin de partager de hauts diplomates français. " Au Mali pas plus qu'au Niger, le terrorisme n'a d'écho dans la société pour le moment, constate l'un d'eux. Et d'appuyer son propos : " Pour le moment. "
Philippe Bernard
© Le Monde

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